Le Sisyphe en nous et l'invitation à réaliser notre vraie nature
Les anciens grecs avaient une connaissance intime des rouages de la souffrance humaine. On le voit à la manière dont ils ont imaginé le Hadès, leur enfer impitoyable et l'incroyable inventivité des punitions subies par ceux tombés en disgrâce par les dieux de l'Olympe et condamnés à y demeurer éternellement.
Derrière le foisonnement des tortures subies par leurs pensionnaires pour l'éternité, il y a un leitmotiv de base qui semble invariable dans sa structure, infini dans ses modalités d'application et dans le raffinement exquis de sa cruauté. Il s'agit de la condamnation ad vitam eternam à une tâche impossible ou extrêmement douloureuse, mais toujours répétitive et ne pouvant jamais être totalement accomplie, et qui possède par ailleurs tous les attributs de l'absurde causant une frustration infinie.
Sisyphe qui se serait joué des Dieux et tenté de se soustraire à la mort est ainsi condamné à pousser un rocher jusqu'au sommet d'une montagne. Mais le rocher en question retombe inexorablement dans la vallée avant qu'il n'ait atteint la crête. Quoi de plus terrible qu'un tel châtiment pour un homme comme Sisyphe, particulièrement connu de son "vivant" pour son astuce, que d'être contraint à effectuer éternellement un travail aussi inutile que vain. L'absurdité du personnage de Sisyphe se révèle d'ailleurs autant dans sa désespérante tentative d'échapper à la mort avant sa condamnation définitive que dans sa condamnation ultime à effectuer un travail interminable.
Dés que j'en pris connaissance à la fin de l'adolescence, le mythe de Sisyphe me toucha profondément. Il me fallut quelques années pour réaliser à quel point ce mythe nous parle en réalité de la condition humaine ? Car, si l'on y regarde de plus près, n'est-ce pas là une magnifique métaphore de nos vies sur terre ?
Perséphone surveillant Sisyphe dans les Enfers, amphore attique à figures noires, v. 530 av. J.-C., Staatliche Antikensammlungen |
En continuant à répéter les mêmes processus mentaux, en reproduisant sans cesse le connu, en cherchant sans cesse à solidifier nos images de nous-mêmes et du monde, à fortifier nos pseudo savoirs, en cherchant la paix et le bonheur dans les situations et les expériences, ne nous éloignons-nous pas de la source même de notre être ?
En pointant inlassablement la flèche de notre attention conditionnée vers des désirs imaginaires, en étant sans cesse en quête de lendemains qui chantent, omnibulés par les pensées du passé et de l'avenir, ne sommes-nous pas devenus des robots insensibles d'une destinée humaine tragique ayant perdu la connexion avec la vraie vie et les trésors de notre véritable intériorité ?
« Sphère » de Jeanne Bouchard, faisant partie de l’exposition : "Du vent dans les branches" dans le jardin du Luxembourg |
Qu'en est-il de cette recherche effrénée de plaisirs (matériels, physiques, intellectuels ou spirituels) par nature impermanents qui, lorsqu'ils sont brièvement expérimentés nous laissent par la suite dans un vide angoissant où le sentiment d'incomplétude nous pousse ensuite à repartir de plus belle vers d'inaccessibles étoiles pour remplir notre tonneau des Danaïdes ?
N'y a-t-il pas une dimension tragique dans les héros du quotidien que nous sommes ?
Sculpture de Hervé Delamare. Métal,silicone, touches de clavier d’ordinateur, image numérique sur vinyle 90 x 110 x 32 cm. Conçu pour être suspendu ou vissé sur socle miroir |
Ne sommes nous pas devenus étrangers à nous même et indifférents à la vraie vie, comme le personnage de Camus du même nom ("L'Étranger") ? Y a-t-il une sortie de cette absurde répétition de la souffrance et du sentiment de séparation que nous expérimentons ?
Tel Sisyphe, l'homme moderne n'est-t-il pas impliqué dans une folle course vers des sommets illusoires ? Ne cherche-t-il pas par tous les moyens à accroître ses biens, à accéder à une reconnaissance sociale, à fonder une famille, en adhérant sans la remettre en question à l'identité que la société lui a fourguée ? N'a-t-il pas dans cette ascension chimérique oublié sa véritable nature et perdu de vue que rien n'est jamais définitivement acquis, et qu'à l'apogée succède nécessairement le déclin ?
Le mythe de Sisyphe montre à quel point s'élever pour s'élever est fallacieux, voire insensé. Il met l'accent sur la somme titanesque de travail, la charge d'efforts et renforce le sentiment d'une volonté individuelle qu'il faut acquérir pour parvenir au sommet. À l'inverse, il met également en évidence la célérité avec laquelle tout s'effondre et dégringole. (La vitesse avec laquelle le rocher redescend dans la vallée avant d'avoir atteint le sommet). Il traduit la nature aléatoire de l'existence, l'impossibilité d'obtenir une situation ou une expérience et de s'y maintenir éternellement. Il oppose la réalité dans laquelle tout est impermanence. Or, l'homme, dans son désir de sécurité et de confort, tente désespéremment de résister à cette puissance dynamique.
Il y a bien des tentatives incessantes de
révolte dans le monde. Des révoltes collectives d'ordre militaire, politique,
religieux, citoyen, artistique ou poétique, ainsi que des actes de révolte
individuels dont certains ont abouti au suicide. Camus dans son livre "Le
mythe de Sisyphe" écrit : "Il n'y a qu'un problème philosophique
vraiment sérieux, c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la
peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie".
Il fait ensuite une interprétation héroïque de Sisyphe et prend le contrepied de l'interprétation habituelle du mythe en écrivant : « Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile, ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. »
Ainsi le Sisyphe de Camus trouve son bonheur dans l'accomplissement de la tâche qui est une sorte de lutte désespérée qu'il entreprend, et non dans le sens conféré à la tâche. Ce serait presque du Karma Yoga, dans la même veine que l'invitation de Krishna à Arjuna d'agir sans chercher les fruits de l'action, conscient qu'il n'y a pas d'acteur.
Il y a encore chez dans ce mythe cette importance accordée à la lutte vers les sommets et la croyance qu'il y a la possibilité pour l'Homme de trouver un sens dans la vie. Et n'est-ce pas dans cette lutte même vers un avenir meilleur, même utopique que se trouve le cœur du problème ? N'est-ce pas la croyance même d'un sens à trouver que naît la souffrance ?
Pouvons-nous réellement trouver la complétude de notre être véritable, ici, en croyant devoir faire un effort pour aller vers une image d'espoir, là-bas ? Le sommet est-il réellement situé là-bas, dans l'espace et dans le temps ? Le bonheur est-il au bout d'un long chemin de labeur ? Ne se trouve-t-il pas plutôt ici-même en notre centre le plus mystérieux que nous n'avons jamais cessé d'être ? Ne nous sommes-nous pas trompés, non pas de destination en tant que telle, mais dans l'idée même qu'il y aurait une quelconque destination à accomplir pour atteindre le bonheur ?
La véritable révolte ne serait-elle pas de remettre complètement en question les définitions que nous avons de nous-mêmes et réaliser l'inanité de la quête elle-même ? La véritable révolution comme le disait Krishnamurti n'est-elle pas la révolution intérieure ? Le geste le plus révolutionnaire ne serait-ce pas de changer radicalement pour une fois, une seule fois, le regard, la direction même de l'attention ? Que se passe-t-il lorsque la flèche de l'attention, habituellement tournée vers l'extérieur, vers les choses, vers un futur meilleur, vers le monde des pensées et tout ce qu'on pourrait aisément résumer par "la quête de l'espoir" ou de l' "avoir plus", soudain, comme par miracle, se retourne à 180 degrés vers sa propre source ?
Le geste le plus révolutionnaire n'est-il pas celui celui de nous poser enfin les véritables questions comme "qui suis-je, "que suis-je" ou "où suis-je" ?
Le véritable geste révolutionnaire ne serait-ce pas celui que la vie nous invite à faire à chaque seconde : d'arrêter tout attention vers et aller à rebours de l'attention ?
Non seulement Douglas Harding, dans la lignée des grands maîtres spirituels avait compris que ce retournement de l'attention était à la source de toute spiritualité authentique, mais il a consacré sa vie entière à l'élaboration et au partage d'une cinquantaine de jeux magnifiques de révélation de nous-mêmes à nous-mêmes. Et voici cette invitation sur laquelle je reviens sans cesse, car elle est tellement simple et ne nécessite aucune culture ou préparation particulière, puisqu'il s'agit de la reconnaissance de ce que nous n'avons jamais cessé d'être.
Quelle est cette invitation ? Retourner le doigt généralement pointé vers les perceptions du monde extérieur (perceptions des sens) ou intérieur (sensations et pensées) vers ce qui en nous perçoit et réaliser que tout a toujours été perçu depuis un espace de Présence silencieuse, transparente et consciente au-dessus de nos épaules ?
La réalité tragique de l'humanité est qu'elle se complaît dans un rêve collectif de séparation né de la somme des conditionnements particuliers comme autant de rêves individuels de séparation. Et chaque rêve individuel est un rêve sans lucidité, où le personnage se croit libre alors qu'il n'est qu'un personnage rêvé et conditionné dans le rêve. Tels Sisyphe, nous sommes empêtrés dans une répétition mécanique à tous les niveaux de notre vie. Qu'elles soient d'ordre amoureux, familial, professionnel ou amical, nos relations sont toutes basées sur un ensemble d'images que nous avons fixées dans notre mémoire. Par ignorance, nous nous croyons dans un face à face, source de tous les conflits entre moi et le monde. En vérité on ne se rencontre jamais vraiment ou si rarement dans l'intensité de l'intimité, dans l'ouverture à la Présence, dans le face (là-bas) à espace (Ici). Il suffit pourtant d'un seul vrai regard pour voir qu'il n'en a jamais été autrement.
Notre relation avec la vie même est entachée d'absurde car nous avons pour la plupart d'entre nous troqué l'Être, le "Je Suis" qui est, pour un personnage limité, un simple masque ou un ensemble de masques. Nous avons laissé le soin aux masques des ceci et des cela ("je suis ceci" ou "je suis cela") d'usurper notre identité véritable, la Présence silencieuse en laquelle les masques apparaissent et disparaissent. Au lieu de ressentir la vie nous pensons la vie. Nous vivons nos expériences au travers de nos conditionnements, de nos jugements, de nos étiquettes et de nos incessants bavardages, toujours les mêmes. Et la pensée qui est mémoire est une façon terriblement mécanique et dénuée d'intensité et de saveur pour se baigner dans le fleuve de la vie. Comme Sisyphe nous répétons les mêmes erreurs à chaque instant en nous prenant pour ce que nous ne sommes pas.
C'est la croyance même d'être libre, d'être une entité au contrôle de notre vie personnelle, séparée de l'environnement et des autres qui nous enferme encore plus insidieusement dans notre conditionnement en lui donnant une apparence de densité et de réalité. Plus le rêve semble réel au personnage du rêve et plus ce nous sommes en réalité, le Rêveur continue à rêver.
Remarquez combien cette pierre que nous roulons est lourde dés que l'on prête foi à l'idée d'être un moi séparé au contrôle de sa vie, doté de libre arbitre et toutes ces croyances autour de l'idée que quelqu'un peut échouer ou réussir sa vie ! Puis, remarquez que tout d'un coup, lorsque nous réalisons que nous ne sommes pas ce personnage imaginaire et contracté autour d'une multitude de conditionnements mais que nous nous éprouvons comme la Présence silencieuse en laquelle tous ces conditionnements émergent et se dissolvent, tout sentiment d'effort s'effondre.
Ne vivons nous pas en permanence tournés vers le moment suivant, vers un autre moment que celui qui se présente ? Nous vivons dans l'espoir et nous disons volontiers : "l'espoir fait vivre". Mais n'est-ce pas le contraire ? Vivre d'espoir n'est-ce pas au fond désespérer ? Car dés que nous nourrissons en apparence un espoir, son pendant duel inexorable - le désespoir - que nous refusons de considérer, bout sous le couvercle de notre préférence. Aussitôt que l'on désire que quelque chose advienne, il y a la peur que cela n'advienne pas. Vivre tourné vers l'espoir, n'est-ce pas au contraire vivre de façon morbide en mettant l'accent sur ce qui est mort c'est à dire le futur qui n'est que de la projection de mémoire et donc du passé, in fine quelque chose qui par définition n'est pas ? Ne nous nourrissons-nous pas continuellement d'espoir toute la journée ? Ne pensons-nous pas sans cesse à ce qui va arriver dans 10 mn, dans une heure, demain, dans un mois, à la fin de nos études, de nos vacances ?
Vivre d’espoir c’est vivre en refusant la vie d'instant en instant. Vivre d'espoir c'est avoir perdu la connexion avec le ressenti. Ressentir ce qui est là, juste là, être en osmose avec ce qui se présente génère une joie incroyable, un émerveillement permanent. Lorsque j'ai cessé de m'étonner de goûter, humer, voir, entendre, sentir, la vie c'est que "penser la vie" a pris le dessus sur "ressentir la vie". Nous ne sentons plus ce qui vibre dans l'instant présent. Alors on se met en quête de toujours plus, de nouvelles sensations, d'expériences plus intenses, et nous semblons avoir de plus en plus besoin de sources extérieures de stimulation pour nous sentir vivant. De plus, nous consommons une énergie hallucinante pour créer et maintenir toutes ces images que nous avons de nous-mêmes. Ne sommes-nous pas comme Sisyphe, le mental sans cesse rivé sur le sommet à atteindre, horizon chimérique que nous n'atteignons jamais ?
Nous nous sommes installés dans des définitions tellement réduites de nous-mêmes, des définitions dans lesquelles nous étouffons littéralement. Or, la vie en nous s'étouffe (notre souffle se contracte littéralement) dés qu'il y a tentation de la définir, de circonscrire ou conclure. Nous vivons sans cesse dans le savoir et la conclusion.
La seule voie de sortie c'est le STOP : arrêter le mouvement obsessionnel de la quête vers l'espoir ou d'un mieux être et revenir au ressenti silence pour nous rendre vulnérable Ici-même. C’est un surcroît de sensibilité auquel la vie nous convie. Nous pouvons seulement constater le fait de voir que nous refusons sans cesse de voir et de ressentir. Le regard désencombré, la vision sans tête, cet Espace silencieux et conscient à tout ce qui est est ce que nous sommes. Rien n'est jamais perdu. Tout est là disponible depuis toujours, maintenant. Le mythe du Sisyphe nous invite à constater l'absurdité du fonctionnement de notre esprit qui s'est identifié à une image erronée, court après des chimères et refuse constamment ce qui est. De la façon la plus étrange et paradoxale, constater le non sens objectif de la vie, non pas intellectuellement, mais avec une intense attention, nous relie immédiatement à son sens le plus immédiat, le sens subjectif, le plus sublime, ce que nous sommes vraiment vraiment : Je suis la Vie.
Il fait ensuite une interprétation héroïque de Sisyphe et prend le contrepied de l'interprétation habituelle du mythe en écrivant : « Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile, ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. »
Ainsi le Sisyphe de Camus trouve son bonheur dans l'accomplissement de la tâche qui est une sorte de lutte désespérée qu'il entreprend, et non dans le sens conféré à la tâche. Ce serait presque du Karma Yoga, dans la même veine que l'invitation de Krishna à Arjuna d'agir sans chercher les fruits de l'action, conscient qu'il n'y a pas d'acteur.
Il y a encore chez dans ce mythe cette importance accordée à la lutte vers les sommets et la croyance qu'il y a la possibilité pour l'Homme de trouver un sens dans la vie. Et n'est-ce pas dans cette lutte même vers un avenir meilleur, même utopique que se trouve le cœur du problème ? N'est-ce pas la croyance même d'un sens à trouver que naît la souffrance ?
Pouvons-nous réellement trouver la complétude de notre être véritable, ici, en croyant devoir faire un effort pour aller vers une image d'espoir, là-bas ? Le sommet est-il réellement situé là-bas, dans l'espace et dans le temps ? Le bonheur est-il au bout d'un long chemin de labeur ? Ne se trouve-t-il pas plutôt ici-même en notre centre le plus mystérieux que nous n'avons jamais cessé d'être ? Ne nous sommes-nous pas trompés, non pas de destination en tant que telle, mais dans l'idée même qu'il y aurait une quelconque destination à accomplir pour atteindre le bonheur ?
La véritable révolte ne serait-elle pas de remettre complètement en question les définitions que nous avons de nous-mêmes et réaliser l'inanité de la quête elle-même ? La véritable révolution comme le disait Krishnamurti n'est-elle pas la révolution intérieure ? Le geste le plus révolutionnaire ne serait-ce pas de changer radicalement pour une fois, une seule fois, le regard, la direction même de l'attention ? Que se passe-t-il lorsque la flèche de l'attention, habituellement tournée vers l'extérieur, vers les choses, vers un futur meilleur, vers le monde des pensées et tout ce qu'on pourrait aisément résumer par "la quête de l'espoir" ou de l' "avoir plus", soudain, comme par miracle, se retourne à 180 degrés vers sa propre source ?
Le geste le plus révolutionnaire n'est-il pas celui celui de nous poser enfin les véritables questions comme "qui suis-je, "que suis-je" ou "où suis-je" ?
Le véritable geste révolutionnaire ne serait-ce pas celui que la vie nous invite à faire à chaque seconde : d'arrêter tout attention vers et aller à rebours de l'attention ?
Non seulement Douglas Harding, dans la lignée des grands maîtres spirituels avait compris que ce retournement de l'attention était à la source de toute spiritualité authentique, mais il a consacré sa vie entière à l'élaboration et au partage d'une cinquantaine de jeux magnifiques de révélation de nous-mêmes à nous-mêmes. Et voici cette invitation sur laquelle je reviens sans cesse, car elle est tellement simple et ne nécessite aucune culture ou préparation particulière, puisqu'il s'agit de la reconnaissance de ce que nous n'avons jamais cessé d'être.
Quelle est cette invitation ? Retourner le doigt généralement pointé vers les perceptions du monde extérieur (perceptions des sens) ou intérieur (sensations et pensées) vers ce qui en nous perçoit et réaliser que tout a toujours été perçu depuis un espace de Présence silencieuse, transparente et consciente au-dessus de nos épaules ?
Ici "Espace" qui accueille là-bas, la "face", des chaussures et des feuilles. |
Notre relation avec la vie même est entachée d'absurde car nous avons pour la plupart d'entre nous troqué l'Être, le "Je Suis" qui est, pour un personnage limité, un simple masque ou un ensemble de masques. Nous avons laissé le soin aux masques des ceci et des cela ("je suis ceci" ou "je suis cela") d'usurper notre identité véritable, la Présence silencieuse en laquelle les masques apparaissent et disparaissent. Au lieu de ressentir la vie nous pensons la vie. Nous vivons nos expériences au travers de nos conditionnements, de nos jugements, de nos étiquettes et de nos incessants bavardages, toujours les mêmes. Et la pensée qui est mémoire est une façon terriblement mécanique et dénuée d'intensité et de saveur pour se baigner dans le fleuve de la vie. Comme Sisyphe nous répétons les mêmes erreurs à chaque instant en nous prenant pour ce que nous ne sommes pas.
C'est la croyance même d'être libre, d'être une entité au contrôle de notre vie personnelle, séparée de l'environnement et des autres qui nous enferme encore plus insidieusement dans notre conditionnement en lui donnant une apparence de densité et de réalité. Plus le rêve semble réel au personnage du rêve et plus ce nous sommes en réalité, le Rêveur continue à rêver.
Remarquez combien cette pierre que nous roulons est lourde dés que l'on prête foi à l'idée d'être un moi séparé au contrôle de sa vie, doté de libre arbitre et toutes ces croyances autour de l'idée que quelqu'un peut échouer ou réussir sa vie ! Puis, remarquez que tout d'un coup, lorsque nous réalisons que nous ne sommes pas ce personnage imaginaire et contracté autour d'une multitude de conditionnements mais que nous nous éprouvons comme la Présence silencieuse en laquelle tous ces conditionnements émergent et se dissolvent, tout sentiment d'effort s'effondre.
Ne vivons nous pas en permanence tournés vers le moment suivant, vers un autre moment que celui qui se présente ? Nous vivons dans l'espoir et nous disons volontiers : "l'espoir fait vivre". Mais n'est-ce pas le contraire ? Vivre d'espoir n'est-ce pas au fond désespérer ? Car dés que nous nourrissons en apparence un espoir, son pendant duel inexorable - le désespoir - que nous refusons de considérer, bout sous le couvercle de notre préférence. Aussitôt que l'on désire que quelque chose advienne, il y a la peur que cela n'advienne pas. Vivre tourné vers l'espoir, n'est-ce pas au contraire vivre de façon morbide en mettant l'accent sur ce qui est mort c'est à dire le futur qui n'est que de la projection de mémoire et donc du passé, in fine quelque chose qui par définition n'est pas ? Ne nous nourrissons-nous pas continuellement d'espoir toute la journée ? Ne pensons-nous pas sans cesse à ce qui va arriver dans 10 mn, dans une heure, demain, dans un mois, à la fin de nos études, de nos vacances ?
Vivre d’espoir c’est vivre en refusant la vie d'instant en instant. Vivre d'espoir c'est avoir perdu la connexion avec le ressenti. Ressentir ce qui est là, juste là, être en osmose avec ce qui se présente génère une joie incroyable, un émerveillement permanent. Lorsque j'ai cessé de m'étonner de goûter, humer, voir, entendre, sentir, la vie c'est que "penser la vie" a pris le dessus sur "ressentir la vie". Nous ne sentons plus ce qui vibre dans l'instant présent. Alors on se met en quête de toujours plus, de nouvelles sensations, d'expériences plus intenses, et nous semblons avoir de plus en plus besoin de sources extérieures de stimulation pour nous sentir vivant. De plus, nous consommons une énergie hallucinante pour créer et maintenir toutes ces images que nous avons de nous-mêmes. Ne sommes-nous pas comme Sisyphe, le mental sans cesse rivé sur le sommet à atteindre, horizon chimérique que nous n'atteignons jamais ?
Nous nous sommes installés dans des définitions tellement réduites de nous-mêmes, des définitions dans lesquelles nous étouffons littéralement. Or, la vie en nous s'étouffe (notre souffle se contracte littéralement) dés qu'il y a tentation de la définir, de circonscrire ou conclure. Nous vivons sans cesse dans le savoir et la conclusion.
La seule voie de sortie c'est le STOP : arrêter le mouvement obsessionnel de la quête vers l'espoir ou d'un mieux être et revenir au ressenti silence pour nous rendre vulnérable Ici-même. C’est un surcroît de sensibilité auquel la vie nous convie. Nous pouvons seulement constater le fait de voir que nous refusons sans cesse de voir et de ressentir. Le regard désencombré, la vision sans tête, cet Espace silencieux et conscient à tout ce qui est est ce que nous sommes. Rien n'est jamais perdu. Tout est là disponible depuis toujours, maintenant. Le mythe du Sisyphe nous invite à constater l'absurdité du fonctionnement de notre esprit qui s'est identifié à une image erronée, court après des chimères et refuse constamment ce qui est. De la façon la plus étrange et paradoxale, constater le non sens objectif de la vie, non pas intellectuellement, mais avec une intense attention, nous relie immédiatement à son sens le plus immédiat, le sens subjectif, le plus sublime, ce que nous sommes vraiment vraiment : Je suis la Vie.
NB : Pour ceux qui sont intéressés par un accompagnement individuel, veuillez me contacter au 06 63 76 90 81 ou sur mon mail : adnnn1967@gmail.com
Si vous voulez vous inscrire pour les rencontres non duelles (sur la base d'une participation en conscience) qui ont lieu de façon bi-mensuelle à chez moi dans le 19e à Paris, écrivez-moi un sms sur le numéro ci-dessus.
Un très bon article
RépondreSupprimerTrès bien, je trouve ça très juste. Merci
RépondreSupprimerIntéressant sur le fond! Mais "omnibulé"...
RépondreSupprimerOmniscient, Omnipotent, Omniprésent oui... Homme nibulé... NON... Tout à fait d'accord...
RépondreSupprimerQuel beau texte. Merci Dan...
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