Frôler la mort dans un accident ou vivre une expérience de mort imminente, peut parfois être une porte d’entrée dans le Royaume de l’Un.
Dans le Vijnanabhaïrava Tantra, un texte majeur de la tradition non duelle du tantrisme Shivaïte du cachemire ( il y a une stance où il est dit que la terreur est une porte vers l'éveil à notre vraie nature.
Traduction de Pierre Feuga stance 95 :
"Au commencement et à la fin de l'éternuement , dans la terreur et l'anxiété, quand on surplombe un précipice, lorsqu'on fuit un champ de bataille, à l'instant où une intense curiosité nous point, quand la faim s'éveille ou qu'elle est rassasiée, etc(dans toutes ces émotions) c'est la nature même de Brahman qui se manifeste."
118. "Dans la stupeur ou l'anxiété, à travers l'expérience des sentiments extrêmes, quand tu surplombes un précipice, que tu fuis le combat, que tu connais la faim ou la terreur, ou même lorsque tu éternues, l'essence de la spatialité de ton propre esprit peut être saisie." (Traduction de Daniel Odier, stance 118)
Le Vijnanabhaïrava Tantra, le « Tantra de la Connaissance Suprême » est l'un des textes shivaïtes des plus anciens. Il se présente sous la forme d'un recueil de 112 sutras ou pratiques méditatives. C'est un yoga qui utilise le spectre intégral des pensées, des émotions et des sensations du yogin placé au coeur de la diversité de la réalité comme voie mystique. Il constitue avant tout un yoga de l'action dans le monde des sens. Il n'y a pas de scission entre la vie mystique et la vie phénoménale. Toute perception, toute pensée, toute émotion permet de glisser spontanément dans la conscience, le divin en soi, matrice de laquelle tout émerge et à laquelle tout retourne dans un cycle immuable.. Tout est saturé d'essence divine. Rien n'est à éviter, rien n'est à rechercher.
J’ai vécu quelques expériences de ce type, comme par exemple cette chute de 10 m, suite à l’effondrement d’une partie du décor d’Otello de Verdi, en compagnie d’une quarantaine de collègues d’infortune du chœur de l’opéra de Paris, à l’opéra de la Maestranza à Séville, lors de l’exposition universelle de 1992. Une collègue y perdit sa vie et de nombreux autres furent gravement blessés et demeurèrent handicapés à vie.
Lorsque je me suis extirpé du tas de corps, je vivais un pur état de grâce. Le mental a alors connu un arrêt total. Je n’étais plus que pure Conscience. Alors que les cris de douleurs et les gémissements étaient audibles, je vivais un pur état d’intimité avec l’expérience. Toute l’expérience était imbibée d’amour. Et j’étais cet Amour. Cet état de grâce dura quelques mois et me laissa un parfum de nostalgie que je n’eus ensuite de cesse de chercher jusqu’à la reconnaissance que Cela ne pouvait ni être obtenu ni perdu.
Cette expérience-ci ainsi que d’autres ont fait office de « porte de la perception » (Aldous Huxley), préfigurant et traçant le chemin de retour vers la reconnaissance de ma vraie nature atemporelle.
On connaît l'expérience de mort imminente vécue en rêve éveillé par Ramana Maharshi*. Mais connaissiez-vous l’étonnante expérience mystique de Blaise Pascal, le grand mathématicien et inventeur français devenu ensuite philosophie et écrivain ?
C’est un accident de la circulation sur le pont de Neuilly en 1654, alors qu’il se rendait tranquillement à Argenteuil, dans le carrosse de son ami Artus de Roannez, qui va radicalement transformer la vie de Blaise Pascal (1623-1662) ; il y verra un signe que Dieu lui adressait.
On ne connaît pas la date exacte de l’accident, mais selon le chanoine Arnoul, curé de Chambourcy et chanoine de l’abbaye de Saint-Victor, celui-ci eut lieu « quelques années avant sa mort » :
« M. Pascal étant allé, selon sa coutume, un jour de fête, à la promenade au pont de Neuilly avec quelques-uns de ses amis, dans un carrosse à quatre ou six chevaux, les deux chevaux de volée prirent le frein aux dents à l’endroit du pont où il n’y avait point de garde-fou et, s’étant précipité dans l’eau, les laisses qui les attachaient au train de derrière se rompirent en sorte que le carrosse demeura sur le bord du précipice… »
Donc, Pascal qui, le moment d’avant devisait tranquillement, se découvre soudain sur le « bord du précipice ». Il croit qu’il va mourir ; mais le carrosse s’arrête in extremis au bord du précipice. Pascal est sauvé, il pense qu’il s’agit là davantage que d’un simple sauvetage, mais bien d’un véritable Salut que Dieu lui a accordé.
Il semble avoir vécu, à partir de là, une véritable métanoïa spirituelle. Dans le prolongement directe de cet accident, un autre événement marque en effet, la naissance du véritable Pascal.
Le 23 novembre 1654, Pascal eut alors une nuit d’illumination et d’extase. Ce soir là, le naufragé incrédule saisit la bouée miraculeusement à portée de sa main. Il écrivit à la hâte ce qu’il voyait et ressentait, puis il cousit ce qu’on appelle depuis lors le Mémorial de Pascal, dans la doublure de son vêtement où on le trouva après a mort.
"Mémorial" de Blaise Pascal
Texte trouvé cousu dans l'habit de Blaise Pascal après sa mort.
" L'an de grâce 1654, (à 31 ans).
Lundi, 23 novembre, jour de saint Clément, pape et martyr et autres au martyrologe,
Veille de saint Chrysogone, martyr, et autres.
Depuis environ 10 heures et demie du soir jusques environ minuit et demi,
Feu.
«Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob» non des philosophes et des savants
Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix.
Dieu de Jésus-Christ.
Deum meum et Deum vestrum (mon Dieu et votre Dieu)
«Ton Dieu sera mon Dieu»
Oubli du monde et de tout, hormis Dieu.
Il ne se trouve que parmi les voies enseignées dans l'Évangile.
Grandeur de l'âme humaine.
«Père juste, le monde ne t'a point connu, mais je t'ai connu».
Joie, joie, joie, pleurs de joie.
Je m'en suis séparé:
Dereliquerunt me fontem aquae vivae. (Ils m'ont abandonné, moi, la source d'eau vive )
«Mon Dieu me quitterez-vous?»
Que je n'en sois pas séparé éternellement.
Cette est la vie éternelle, qu'ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.»
Jésus-Christ.
Jésus-Christ.
Je m'en suis séparé; je l'ai fui, renoncé, crucifié.
Que je n'en sois jamais séparé.
Il ne se conserve que par les voies enseignés dans l'Évangile:
Renonciation totale et douce.
Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur.
Éternellement en joie pour un jour d'exercice sur la terre.
Non obliviscar sermones tuos (Que je n'oublie pas tes paroles), Amen."
Blaise Pascal
Peu de jours après la mort de M. Pascal, dit le Père Guerrier, un domestique de la maison s'aperçut par hasard que dans la doublure du pourpoint de cet illustre défunt il y avait quelque chose qui paraissait plus épais que le reste, et ayant décousu cet endroit pour voir ce que c'était, il y trouva un petit parchemin plié et écrit de la main de M. Pascal, et dans ce parchemin, un papier écrit de la même main: l'un était une copie fidèle de l'autre. Ces deux pièces furent aussitôt mises entre les mains de Mme Périer qui les fit voir à plusieurs de ses amis particuliers. Tous convinrent qu'on ne pouvait douter que ce parchemin, écrit avec tant de soin et avec des caractères si remarquables, ne fût une espèce de mémorial qu'il gardait très soigneusement pour conserver le souvenir d'une chose qu'il voulait avoir toujours présente à ses yeux et à son esprit, puisque depuis huit ans, il prenait soin de le coudre et découdre à mesure qu'il changeait d'habits». Le parchemin est perdu; mais au commencement du manuscrit de la bibliothèque nationale se trouve le papier qui le reproduisait, écrit de la main de Pascal, et dont l'authenticité est attesté par un billet signé de l'abbé Périer, neveu de Pascal. En tête, une croix entourée de rayons.
Évidemment, une expérience mystique , aussi belle et exaltante soit-elle est et demeure une simple expérience avec un début et une fin.
Or, ce à quoi je vous invite ici n’est bien sûr pas de chercher à glaner des expériences d’expansion de conscience ou à vivre des extases mystiques, mais de re dé couvrir votre vraie nature atemporelle, sans commencement et sans fin.
Dans la Mandukya Upanishad on appelle cela le 4ème état, Turiya, qui en réalité est un non état, notre état naturel, le Soi.
Turīya est un terme sanscrit qui signifie le quatrième état de conscience au-delà de ceux de veille, rêve et sommeil. Dans les différents courants de philosophie monastique hindoue, Turīya est un état de conscience pure. Il s'agit d'un quatrième état de conscience qui sous-tend et qui transcende les trois états de la conscience commune : l'état de veille (Jagrata), l'état de rêve (Svapna), et le sommeil sans rêve (Sushupti).
Pascal a cherché toute sa vie à retrouver cet état de félicité. Cet écrit qu’il portait toujours sur soi atteste de la véracité de l’expérience.
Mais il ne disposait pas comme nous de moyens d’investigation simples et pratiques pour ramener l’attention à sa source, il n’avait pas à sa disposition les Upanishad pas encore traduites, ni l’enseignement non duel de Jésus au travers de l’évangile gnostique de Thomas retrouvé en 1947 à Nag Hammadi, et encore moins des expériences de la Vision Sans Tête de Douglas Harding. Il n’avait pas eu connaissance des merveilleux enseignements de Ramana Maharshi et Nisargadatta Maharaj.
Il se référa donc à la Bible, puisque c’était ce Livre-ci qui imprégnait son environnement spatio-temporel.
Nous vivons une époque formidable où les clés non duelles sont pléthore et où les moyens de réalisation de votre vraie nature sont disponibles gratuitement sur des blogs ou des chaînes YouTube !
Profitez-en si tel est votre vrai désir !
De toute façon derrière la façade de tous de vos apparents désirs, je sais que vous n’avez qu’un seul vrai désir : Reconnaître en Vous la Paix et l’amour que vous êtes.
Je vous souhaite de tout cœur de réaliser votre vraie nature infinie et atemporelle, qui imprègne toute chose.
Amor Fati
Les méthodes que propose le Vijnànabhairava en vue d’anéantir les structures mentales abstraites et artificielles — pensée rigide et son verbalisme — revêtent des aspects variés : les unes aiguisent la vigilance de l’attention ou de la sensibilité, d’autres brisent l’automatisme des fonctions naturelles ou dissocient les impressions en les privant de leur environnement habituel, à moins qu’elles ne les vident systématiquement de leur substance ou de leur forme spécifique. Certaines concentrations cherchent à transformer notre vision coutumière à l’aide d’impressions aussi banales que la lumière tamisée, l’obscurité qui, en brouillant les structures, peuvent nous précipiter dans un domaine nouveau et insolite, ce brusque change- ment de perspective mettant à nu la grande réalité ineffable, l’en-soi dépouillé de ses notions. D’autres versets nous enseignent la manière de nous emparer de l’essence des choses, au premier instant de la vision ou du désir, alors que l’objet est sur le point de pénétrer dans la conscience ; ou au dernier instant, quand il va s'y résorber après s’être mani- festé ; à moins que, délaissant le mouvement perpétuel qui nous pousse d’une chose à une autre, nous freinions brusquement en nous arrêtant sur la chose même, coupée de tout le reste, ou sur le vide qui sépare les choses (rnadhya).
* C’est à la mi-juillet 1896 qu’eut lieu spontanément la grande transformation de sa vie. Une après-midi, sans raison apparente, le jeune garçon fut submergé par une soudaine et violente peur de la mort. Des années plus tard, Sri Ramana raconta cette expérience comme suit :
« Ce fut environ six semaines avant mon départ définitif de Madurai qu’un grand changement eut lieu dans ma vie. J’étais assis dans une pièce du premier étage, dans la maison de mon oncle. J’étais rarement malade et ce jour-là ma santé était parfaite, mais soudain une peur violente de la mort me saisit. Rien dans mon état de santé ne pouvait l’expliquer. Je n’essayais pas de l’expliquer ni d’en chercher une quelconque raison. J’eus la sensation : « je vais mourir » et aussitôt je me suis demandé ce qu’il fallait faire. Il ne me vint à l’esprit de faire appel ni à un médecin ni à la famille ni à des amis. J’ai senti que je devais résoudre le problème moi-même, sur-le-champ. »
« Le choc de la peur de la mort me plongea dans l’introspection. Je me demandai : « Maintenant la mort est là, qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce qui meurt ? C’est ce corps qui meurt. » Aussitôt j’ai joué intensément la scène de la mort. Je raidis mes membres comme si la rigidité cadavérique s’était installée. J’imitai la condition d’un cadavre pour donner un semblant de réalité à mon introspection. Je retins ma respiration et serrais les lèvres pour qu’aucun son ne pût s’en échapper, pour que le mot « je » ou tout autre mot ne pût être prononcé. « Eh bien ! me disais-je, ce corps est mort. On va le porter tout raide au champ crématoire où il sera brûlé et réduit en cendres. Mais, avec cette mort de ce corps, suis-je moi-même mort ? Ce corps est-il le « je » ? Il est silencieux et inerte, mais je sens la pleine force de ma personnalité et même la voix du « je » en moi, séparément du corps. Ainsi je suis Esprit qui transcende le corps. Le corps meurt, mais l’Esprit qui le transcende ne peut être touché par la mort. Cela veut dire que je suis l’Esprit qui n’a pas de mort. »
« Tout cela n’était pas un simple processus intellectuel. Cela me traversa tel un éclair, comme une vérité vivante que je percevais directement, presque sans raisonnement. Ce « Je » était quelque chose de très réel, la seule chose réelle en cet état ; et toute l’activité consciente en relation avec le corps était centrée sur ce « Je ». Dès cet instant, le « Je » ou « Soi », par une fascination puissante, centra son attention sur lui-même. La peur de la mort avait disparue une fois pour toutes. L’absorption dans le Soi s’est poursuivie dès lors jusqu’à ce jour de manière continue. D’autres pensées peuvent s’élever et disparaître comme des notes de musique, mais le « Je » demeure toujours comme la sruti, la note fondamentale qui sous-tend toutes les autres notes et s’harmonise avec elles. Le corps pouvait bien parler, lire ou quoi que ce soit d’autre, j’étais toujours centré sur le « Je ». Avant cette crise je n’avais pas de perception claire de mon « Soi » et je n’étais pas attiré consciemment vers lui. Je ne ressentais pour lui aucun intérêt faible ou fort, encore moins une tendance à demeurer en lui d’une manière permanente. »
L’effet de cette expérience de la mort changea complètement les centres d’intérêt de Venkataraman ainsi que sa vision. Il devint humble et soumis, sans se plaindre ni riposter lorsqu’on le traitait injustement. Plus tard, il devait décrire ainsi son état :
« L’une des particularités de mon nouvel état était mon changement d’attitude envers le temple de Meenakshi. Auparavant, j’y allais occasionnellement avec des amis regarder les images et mettre à mon front le rouge et la cendre sacrée, et je rentrais à la maison sans être particulièrement touché. Mais après l’Eveil, j’y allais presque chaque soir. J’y allais seul et restais longtemps sans bouger devant une image de Shiva ou de Meenakshi ou de Nataraja et des soixante-trois saints et je restais là, submergé par des vagues d’émotion. »