Feel it !




Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

RÉSONANCES

Extraits du livre d'entretiens 
"Je suis" 
de Nisargadatta Maharaj


Dialogue 1.

 Q: Au réveil le monde surgit tous les jours nous en faisons l’expérience. D’où cela vient-il?
Maharaj : Avant qu’une chose ne vienne à être, il faut qu’il y ait une personne à qui elle puisse se manifester. Toute apparition, comme toute disparition, présuppose un changement par rapport à un arrière-plan sans changement.
Q: Avant de m’éveiller j’étais inconscient.
M: Dans quel sens ? D’avoir oublié, ou de n’avoir rien ressenti ? Même inconscient, ne ressentez-vous rien ? Pouvez-vous exister sans connaître ? Un trou de de mémoire est-il une preuve de non-existence ? Et pouvez-vous vraiment. parler de votre propre non-existence comme d’une expérience réelle ? Vous ne pouvez même pas dire que votre mental n’existait pas. Est-ce un appel qui vous a réveillé ? Et en vous réveillant n’est-ce pas la sensation « je suis » qui s’est d’abord manifestée ? Une sorte de graine de conscience devait exister, même pendant votre sommeil ou votre évanouissement. Au réveil l’expérience se déroule ainsi « Je suis... le corps... dans le monde ». Cela peut avoir l’apparence d’une succession, mais, en fait, il y a simultanéité : l’idée d’avoir un corps dans le monde. Peut-il y avoir la sensation du « je suis » s’il n’y a pas quelqu’un ou quelque autre chose ?
Q: Je suis toujours quelqu’un avec ses souvenirs et ses habitudes. Je ne connais aucun autre « je suis ».
M: Petit-être quelque chose vous empêche-t-il de connaître. Quand vous ne connaissez pas une chose que d’autres connaissent, que faites-vous ?
Q: Je cherche la source de leur connaissance en suivant leurs indications.
M: N’est-il pas important pour vous de savoir si vous n’êtes qu’un simple corps ou quelque chose d’autre ? Ou peut-être rien du tout ? Ne voyez-vous pas que tous vos problèmes sont ceux de votre corps nourriture, vêtements, maisons, amis, nom, réputation, sécurité, survie, tout cela perd son sens quand vous réalisez que vous pouvez ne pas être qu’un simple corps.
Q: Quel bénéfice tirerai-je de savoir que je ne suis pas ce corps ?
M: Même dire que vous n’êtes pas le corps n’est pas tout à fait vrai. D’une certaine manière vous êtes tous les corps, les cœurs, les esprits, et bien plus encore. Plongez profondément dans la sensation je suis et vous trouverez. Comment retrouvez-vous une chose égarée ou oubliée ? Vous la gardez présente à l’esprit jusqu’à ce qu’elle vienne à vous. La sensation d’être, du je suis est la première à émerger. Demandezvous d’où elle vient, ou contentez-vous de la contempler avec calme. Lorsque le mental se fixe, immobile, sur je suis vous entrez dans un état que vous ne pouvez exprimer mais que vous pouvez expérimenter. Tout ce que vous avez à faire, c’est d’essayer sans relâche. Après tout, cette sensation je suis vous est toujours présente, mais vous y avez greffé toutes sortes de choses corps, sentiments, pensées, opinions, possessions intérieures ou extérieures, etc. A cause d’elles, vous vous prenez pour ce que vous n’êtes pas.
Q: Mais alors que suis-je ?
M: Il vous suffit de savoir ce que vous n’êtes pas. Vous n’avez pas besoin de savoir ce que vous êtes. Car tant que connaissance signifie description en fonction de ce qui est déjà connu, perceptions ou concepts, il ne peut y avoir connaissance de soi, car ce que vous êtes ne peut être décrit que comme une négation de tout. Tout ce que vous pouvez dire c’est Je ne suis pas ceci, je ne suis pas cela vous ne pouvez raisonnablement dire : « Voilà ce que je suis ». Cela n’a tout simplement aucun sens. Ce que vous pouvez désigner par « ceci » ou « cela » ne peut pas être vous. Pas plus que vous ne pouvez être « quelque chose d’autre ». Vous n’êtes rien d’imaginable. Cependant, sans vous, il ne peut y avoir ni perception ni imagination. Vous observez votre cœur sentir, votre mental penser, votre corps agir; le fait même de percevoir montre que vous n’êtes pas ce que vous percevez. Peut-il y avoir expérience ou perception sans vous ? Une expérience « doit appartenir à » Quelqu’un doit venir la réclamer comme sienne. Sans l’expérimentateur l’expérience n’a pas de réalité. C’est l’expérimentateur qui donne sa réalité à l’expérience. De quelle valeur serait pour vous une expérience que vous ne pourriez pas avoir ?
Q: La sensation d’être expérimentateur, la sensation du je suis n’est-ce pas aussi une expérience ?
M: Évidemment toute chose expérimentée est une expérience. Et chaque expérience manifeste son expérimentateur. La mémoire crée l’illusion de la continuité. En réalité chaque expérience a son propre expérimentateur et l’impression d’identité est due au facteur commun qui est à la racine de toute relation expérience-expérimentateur. Identité et continuité ne sont pas la même chose. De même que chaque fleur possède sa couleur propre mais que toutes les couleurs sont causées par la même lumière, des expérimentateurs apparaissent dans la conscience pure indivisée et indivisible, séparés dans la mémoire, identiques dans leur essence. Cette essence est la racine, la base, la possibilité intemporelle et non-spatiale pour toute expérience d’apparaître.
Q: Comment puis-je l’atteindre ?
M: Vous n’avez pas à l’atteindre, vous l’êtes. Cela viendra à vous si vous lui donnez une chance. Débarrassez-vous de votre attachement à l’irréel et le réel prendra sa place rapidement et sans heurt. Cessez d’imaginer que vous existez, ou que vous faites ceci ou cela, et vous réaliserez que vous êtes la source et le cœur de toute chose. Il vous viendra alors un grand amour qui ne sera ni un choix, ni une prédilection, ni un attachement, mais un pouvoir qui rend toute chose aimable et digne d’amour. 

2. 

Q: Maharaj, vous êtes assis-la, devant moi, et je suis à vos pieds. Quelle différence fondamentale y a-t-il entre nous ?
M: Il n’y a pas de différence fondamentale.
Q: Cependant, il doit bien y en avoir une. Je viens vous voir, vous non.
M: Parce que vous imaginez des différences, vous allez ici et là, à la recherche de gens supérieurs
Q: Mais vous êtes une personne « supérieure ». Vous dites connaître le réel alors que je ne le connais pas.
M: Vous ai-je jamais dit que vous ne savez pas et que par conséquent vous êtes inférieur ? Laissez ceux qui inventent de telles distinctions en faire la preuve. Je ne prétends pas savoir ce que vous ne savez pas. En fait j’en sais bien moins que vous.
Q: Vos paroles sont sages, votre comportement noble, votre grâce toute puissante.
M: Je ne sais rien de tout cela et ne vois aucune différence entre vous et moi. Ma vie, comme la vôtre, est une succession d’événements. Seulement je suis détaché et je considère le spectacle qui passe comme un spectacle qui passe alors que vous adhérez aux choses et que vous vous déplacez en même temps qu’elles.
Q: Qu’est-ce qui vous rend si calme, si détaché ?
M: Rien de particulier. Il s’est trouvé que j’ai fait confiance à mon Maître. Il m’a dit que je n’étais rien d’autre que moi-même et je l’ai cru. En lui faisant confiance, je me suis conduit en conséquence et j’ai cessé de me tourmenter pour ce qui n’était pas moi ni à moi.
Q: Pourquoi avez-vous eu la chance de faire entière confiance à votre Maître, alors que nous n’avons confiance que dans les mots et les paroles ?
M: Qui petit le dire ? C’est arrivé ainsi. Les choses arrivent sans cause ni raison. et après tout, quelle importance de savoir qui est qui ? La haute opinion que vous avez de moi est vôtre. Vous pouvez en changer à tout momemt. Pourquoi attacher de l’importance aux opinions, même aux votre?
Q: Cependant vous êtes différent. Votre mental semble en permanence calme et heureux. Et des miracles se produisent autour de vous.
M: Je ne connais rien en matière de miracles et je me demande si la nature tolere des exceptions à ses lois. À moins d’admettre que tout est miracle. En ce qui concerne mon mental, il n’y a rien de tel. Il y a la conscience dans laquelle tout arrive. Cela est évident et l’expérimenter est à la portée de tous. C’est simplement que vous ne regardez pas assez attentivement. Regardez attentivement et voyez ce que je vois.
Q: Que voyez-vous ?

M: Si le centre de votre attention n’était pas mal placé vous pourriez voir, ici et maintenant, ce que je vois. Vous ne prêtez aucune attention à vous-même. Votre mental s’attache totalement aux choses, aux gens et aux idées et ne porte jamais vers vous. Centrez votre attention sur vous, devenez conscient de votre propre existence. Regardez-vous agir, examinez les motivations et les résultats de vos actions. Étudiez la prison que, par inadvertance, vous avez construite autour de vous, en sachant ce que vous n’êtes pas vous en arriverez à vous connaître. Le retour vers vous-même passe par les refus et les rejets. Une chose est certaine, le réel n’est pas imaginaire, ce n’est pas un produit de la pensée. Même la sensation du « je suis » n’est pas continue, bien qu’elle soit une indication utile elle montre où chercher mais pas que chercher. Simplement, étudiez-la bien. Dès l’instant où vous serez profondément convaincu de ne rien pouvoir dire d’autre de vous que je suis et que rien qui puisse être désigné soit vous, le besoin du je suis sera dépassé et vous ne serez plus appliqué à vous définir avec des mots. Tout ce dont vous avez besoin, c’est de vous débarrasser de la tendance à vous définir. Toutes les definition ne s’appliquent qu’au corps et à ses expressions. Une fois l’obsession du corps disparue vous retournerez spontanément et sans effort à votre etat naturel. La seule différence qu’il y ait entre nous c’est que je suis conscient de mon état naturel alors que vous êtes dans la confusion. De même que l’or des bijoux n’est pas supérieur à la poudre d’or, sauf si l’esprit le décide, de même dans l’être nous sommes un, seule notre apparence est differente. Nous le découvrons en étant sérieux, en cherchant, en enquêtant, en questionnant à longueur de jours et d’heures, en consacrant notre vie à la recherche, à la découverte.
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Quelques extraits des Upanishad qui m'ont particulièremement touché

Upanishad est un terme sanscrit qui vient de "upa", proche de, "ni",  bas, et shad être assis. Ce terme signifie être assis aux pieds du guru pour recevoir l'enseignement.

Les Upanishad forment le Vedanta, qui est une contraction des termes Veda-anta signifiant la fin des Vedas. D'abord parce qu'elles en constituent la partie finale, mais aussi et surtout parce qu'elles en sont l'expression la plus aboutie métaphysiquement parlant. La contemplation de ces joyaux ont le pouvoir de provoquer directement l'éveil à votre vraie nature. Shopenhauer disait des Upanishad qu'ils étaient la consolation de sa vie. Elles forment l'essence de la philosophie hindoue et également de la non dualité. Elles concernent la nature de la connaissance. Dans ces textes le thème essentiel est l'identité entre Brahman (la nature de la Réalité) et du jivatman (de l'être incarné ou de l'âme individuelle). On y enseigne la nature de la Réalité et des différents moyens pratiques de s'y éveiller en cette vie ci. "Tat tvam asi" : "Tu es Cela" est la phrase clé résumant le cœur du message non duel se trouve formulée dans la Chandogya Upanishad. 

Ce qui caractérise les principales Upanishad, c'est leur universalité et leur absence de dogmatisme. Elles constituent certainement le plus extraordinaire outil de connaissance de la réalité Ultime, jamais conçue par l'homme. 

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Kena Upanishad (extraits)

I-1. Sous la direction et la volonté de qui l'esprit se dirige-t-il vers les objets ? Sous la direction et la volonté de qui le prana, cette énergie primordiale, se meut-il ? Sous la direction et la volonté de qui les paroles sortent-elles de la bouche des humains ? Qui est-Il, cet être rayonnant qui unit l'œil et l'oreille aux objets qu'ils captent ?

I-2. Il est l'oreille derrière l'oreille, l'esprit derrière l'esprit, le discours derrière le discours, la vitalité derrière la vitalité, et le regard derrière le regard. En vertu de cela, les sages, qui se sont affranchis de l'identité aux sens et qui ont renoncé au monde, parviennent à l'immortalité.

I-3. L'œil ne peut L'atteindre, ni la parole, ni le mental, et nous ne connaissons pas Sa nature. De ce fait, nous ne savons pas comment délivrer un enseignement à Son sujet. Car Cela est différent du connu, mais aussi de l'inconnu. Voici, en leurs propres termes, ce que les anciens nous ont enseigné à Son sujet.

I-4. Cela qui n'est pas exprimé par la parole, mais dont le monde est l'expression, sache que Cela seul est Brahman, et que n'est pas Brahman ce à quoi les humains rendent un culte, ordinairement.

I-5. Cela qui n'est pas pensable pour le mental, mais dont le mental est la réflexion, sache que Cela seul est Brahman, et que n'est pas Brahman ce à quoi les humains rendent un culte, ordinairement.

I-6. Cela qui n'est pas visible pour l'œil, mais par quoi l'homme se rend compte de l'activité de sa vue, sache que Cela seul est Brahman, et que n'est pas Brahman ce à quoi les humains rendent un culte, ordinairement.

I-7. Cela qui n'est pas audible pour l'oreille, mais par quoi l'homme se rend compte de l'activité de son ouïe, sache que Cela seul est Brahman, et que n'est pas Brahman ce à quoi les humains rendent un culte, ordinairement.

I-8. Cela qui n'est pas inhalé avec le souffle, mais par quoi le souffle est inhalé, sache que Cela seul est Brahman, et que n'est pas Brahman ce à quoi les humains rendent un culte, ordinairement.

II-1. Si tu penses : “Je connais bien Brahman, maintenant”, c'est que tu n'as compris que bien peu de la vraie nature de Brahman. Ce que tu connais de Sa forme, de même que cette forme que tu te figures à propos des divinités, est également bien peu. Tu dois donc poursuivre ton enquête sur la nature de Brahman.

II-2. Je ne pense pas que je connais Brahman, je ne pense pas non plus qu'Il m'est inconnu. Je le connais et ne le connais pas, tout à la fois. Celui parmi nous qui connaît cette vérité paradoxale, connaît Brahman; mais pas celui qui pense bien Le connaître, ou ne pas du tout Le connaître.

II-3. Celui qui pense ne pas Le connaître, celui-ci Le connaît. Et celui qui pense Le connaître, celui-là ne Le connaît pas. Les vrais connaisseurs pensent qu'on ne peut jamais Le connaître parfaitement (en raison de son Infinitude), tandis que l'ignorant pense qu'il Le connaît bien.

II-4. Dès lors que Brahman est perçu comme le Soi intérieur, reconnaissable à travers tous les états de conscience, Il est connu réellement, et cette connaissance mène à l'immortalité. A travers son propre Soi, on acquiert la force intérieure; et à travers la connaissance, on atteint à l'immortalité.

II-5. En cette vie-ci, si on Le réalise, il y a alors accomplissement parfait. Si on ne Le réalise pas, la perte (karmique) est importante. Ayant réalisé la présence de Brahman en tout être vivant, et s'étant libéré des chaînes qui le retenaient au monde, le sage devient immortel.


Nota Bene : Traduction de Martine Buttex qui a fait un travail de grande qualité et monumental en traduisant l'intégralité des 108 Upanishad. Gratitude.

Katha Upanishad (extraits)

2-I-1 Yama : "Le Seigneur suprême, a créé les cavités des sens en les orientant vers le monde extérieur. C'est pourquoi l'humain voit l'extérieur et non l'intérieur. Mais parfois une âme en quête d'immortalité s'est retournée vers elle-même et s'est trouvée.

2-I-2 Yama : "Les insensés courent derrière les objets du désir, dans le monde extérieur; ils tombent dans les mailles   de la mort, qui tend ses filets grand ouverts. Mais les sages, connaissant déjà l'immortalité, n'iront pas chercher ce qui est immuable dans ce monde inconstant.

2-I-3 Ce par quoi l'homme peut voir, goûte, sentir (odorat) entendre ou ressentir dans le plaisir charnel, par cela seulement il peut connaître. Est-il quelque chose qui reste inconnaissable à l'Atman (pure conscience d'être ou le pur "je suis", traditionnellement désigné par le Soi) ? Oui c'est Cela (Tat).

2-III-12 "Ni par la parole, ni par la pensée, ni par la vision, l'Atman n'est connaissable. Il est!. Par cette formule on peut le comprendre, mais d'aucune autre façon.

2-III-13 "Il est" Il n'est donc pas compréhensible qu'en tant qu'il est conjointement les deux modes d'être (sujet et objet). "Il est !" Pour qui le comprend ainsi, sa nature lumineuse devient claire.

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Lumière de la Brihad-Aranyaka – Upanishad: Le sage et son épouse (Article de Patrick lebail)

28 Dec 2012
(Revue Être. No 1. 1974. 2e  Année)
V – LE SAGE ET SON ÉPOUSE
Le puissant et subtil Yâjnavalkya entre en scène. Son thème est l’essence de l’amour. Alors que nous imaginons de l’amour qu’il s’attache à quelque objet, il manifeste en réalité un Amour suprême, celui qu’Ajâtasatru qualifiait de “félicité”. La tendresse d’un dernier entretien, qui prélude à la séparation définitive, imprègne l’exposé de cette vérité. Elle prépare à celui de la doctrine du Soi sous une forme poétique et compréhensive. Le passage se trouve en deux endroits dans la Brihad-Aranyaka.
On rapporte que Yâjnavalkya avait deux épouses, Maitreyî et Kâtyâyanî. Maitreyî parlait du Brahman, tandis que Kâtyâyanî ne se préoccupait que des pensées habituelles aux femmes (IV-5- l).
L’Upanishad n’est pas antiféministe : nous verrons au chapitre VI que lors d’une discussion publique le même Yâjnavalkya ne rencontre qu’un seul adversaire à sa taille : une femme nommée Gârgi. Dans le Veda ne pointe aucune notion de distinction. L’humanité védique est indivise : chaque Védique coopère au rita selon sil capacité fonctionnelle. Les hymnes nuptiaux [1] célèbrent le rôle de la femme. Les déesses féminines sont à la fois charmantes et bénéfiques aux hommes les tâches ardues de l’administration et les brutalités de la guerre. Il n’est pas rare que le rishi, le “voyant” des hymnes, soit une femme [2]. Dans la Brihad-Aranyaka Upanishad surgissent deux femmes exceptionnelles : Maitreyî et Gârgî. Il est bien vrai qu’elles contrastent avec Kâtyâyanî niais le manque de profondeur n’est pas le fait de l’un ou de l’autre sexe. La démonstration en sera administrée par Yâjnavalkya lui-même lors de son tournoi philosophique.
Yâjnavalkya résolut d’embrasser un autre état de vie. “Maitreyi’’, lui dit-il, “ma très chère, je vais sortir de mon présent état. Je vais donc rompre ta relation avec cette Katyâyainî’’ 
Il n’y a guère de tendresse dans la tournure sanscrite qu’emploie Yâjnavalkya à l’égard de son autre épouse, mais beaucoup de douceur à l’égard de Maitreyî : are, “O aimée”, “O très chère”. Dans l’Inde védique, le départ du mari pour l’état d’ascète errant rend aux épouses leur liberté. Confrontée au déchirement d’un amour sincère, Maitreyi fait preuve de pénétration en n’exigeant de son époux qu’un ultime enseignement.
Alors Maitreyî dit : “Vénérable Seigneur, si toute cette terre regorgeant de richesse était mienne, pourrais-je ainsi parvenir à l’immortalité ? — “Non “, répondit Yâjnavalkya. “Ta vie serait celle des gens bien nantis. I1 n’est dans la richesse aucun espoir d’immortalité” (II-4-2).
Maitreyî répliqua “Qu’ai-je à faire de ce qui ne me rend pas immortelle ? Vénérable Seigneur, dis-moi, je t’en prie, ce que tu en sais” (11-4-3).
Yâjnavalkya dit : “Bien-aimée, tu m’es chère, et tu prononces une parole que j’aime. Viens, assieds-toi; je m’en vais t’enseigner : concentre-toi bien sur ce que je t’explique.
O bien-aimée, l’époux n’est pas aimé pour lui-même mais pour l’amour du Soi. O bien-aimée, l’épouse n’est pas aimée pour elle-même, mais pour l’amour du Soi. O bien-aimée, les fils ne sont pas aimés pour eux-mêmes, mais pour l’amour du Soi. O bien-aimée, la richesse n’est pas aimée pour elle-même, mais pour l’amour du Soi. O bien-aimée, le brahmine n’est pas aimé pour lui-même, mais pour l’amour du Soi. O bien-aimé, les mondes ne sont pas aimés pour eux-mêmes, mais pour l’amour du Soi. O bien-aimée, les Dieux ne sont pas aimés pour eux-mêmes, mais pour l’amour du Soi. O bien-aimée, les êtres ne sont pas aimés pour eux-mêmes, mais pour l’amour du Soi. O bien-aimée, il n’est rien qui soit aimé pour soi-même, c’est pour l’amour du Soi qu’on l’aime.
O très chère, il faut voir le Soi. Il faut en entendre parler, réfléchir sur lui, méditer sur lui, O Maitreyî !
En voyant le Soi, en entendant parler du Soi, en pensant au Soi, en exerçant son discernement sur le Soi, tout se trouve connu (1-4-4).
Voici donc énoncée la voie du discernement védantique — sravanamanananididhyâsana — évoqué au premier chapitre. Le Soi est à la fois la base de toute existence et l’amour qui réside en elle. “Connaître le Soi”, c’est baigner dans la source de tout amour.
Le Brahmine rejette celui qui le connaît comme différent du Soi. Le Kshatriya rejette celui qui le connaît comme différent du Soi. Les mondes rejettent celui qui les connaît comme différents du Soi. Les Dieux rejettent celui qui les connaît comme différents du Soi. Toute chose rejette celui qui la connaît comme différente du Soi : le Brahmine, le Kshatriya, les mondes, les Dieux, les êtres et toutes choses ne sont pas différents du Soi.
Yâjnavalkya explique ensuite par des analogies que la diversité du monde sensible est tout à la fois distincte et non distincte du Soi :
De même qu’on ne peut pas saisir les diverses sonorités qu’engendre (à la fois) un tambour frappé, mais que l’on saisit la sonorité du tambour  ou, si l’on veut, des coups frappés sur lui…
(Yâjnavalkya ajoute, dans les mêmes termes, l’exemple de la conque où l’on souffle et de la vina — l’antique instrument à cordes — que l’on joue).
… De même que d’un feu dont le combustible est mouillé s’élèvent diverses sortes de fumées, de même, o très-chère ! de cette immense Réalité sont exhalés le Rig-Véda, le Sâma-Véda, l’Atharva-Véda, les Chroniques, les Légendes [Les Purana(s)], les Savoirs, les Upanishads, les Versets [Les Mantra(s) du Véda], les Aphorismes, les Elucidations [Sur la signification des rites védiques] et les Gloses : c’est d’elle qu’ils sont tous exhalés.
Le savoir védique constituait en ces temps anciens la somme de ce que la réflexion humaine avait découvert sur la nature du monde. Selon l’esprit indien, le concept et l’objet conceptualisé ne font qu’un. Yajnavalkya dit en termes érudits que du Brahman émanent toutes choses sous l’aspect des noms comme sous celui des choses, du signifiant et du signifié. C’est l’esprit même de l’upâsana.
Il revient ensuite au microcosme humain :
De même que toutes les eaux ont la mer pour domaine, tous les touchers ont la peau pour lieu, toutes les olfactions ont le nez pour lieu, tous les goûts ont la langue pour lieu, toutes les formes ont l’œil pour lieu, tous les sons ont l’oreille pour lieu, toutes les idéations ont le mental pour lieu, tous les discernements ont le cœur pour lieu, toutes les actions ont les mains pour lieu, toutes les voluptés ont le pénis pour lieu, toutes les déjections ont l’anus pour lieu, tous les cheminements ont les pieds pour lieu, tous les Védas ont le verbe pour lieu; …
Le Verbe (vâk) l’expression divine qui “prononce” les Védas et le monde.
… De même qu’un morceau de sel jeté dans l’eau s’y dissout et nul ne peut plus l’y reprendre mais, de quelque point que l’on y puise, l’eau a le goût salé :
De même, o très chère, cette immense Réalité, sans borne et sans limite, n’est qu’une Intelligence homogène.
Il suffit de connaître cette Réalité.
Quand il y a dualité, pour ainsi dire, l’un sent l’autre, l’un voit l’autre,  l’un entend l’autre,  l’un parle de l’autre,  l’un pense à l’autre,  l’un connaît l’autre.
“Pour ainsi dire” : la dualité sujet-objet n’est pas plus réelle que les différences entre les choses. Yâjnavalkya ne peut exprimer la non-dualité à Maitreyî que par des expressions négatives. Elles épurent l’entendement en vue d’une intuition du brahmane qui est inexprimable :
Lorsque, par contre, tout est devenu le Soi, que pourrait-on sentir et par quoi ? Que pourrait-ont voir et par quoi ? Que pourrait-on ouïr et par quoi ? Que prononcerait-on et par quoi ? Que penserait-on et par quoi ? Que connaîtrait-on et par quoi ?
En l’état de libération nulle dualité n’est plus ressentie : il n’y a plus que le Soi, reconnu à travers tous les messages sensoriels, toutes les volitions, toutes les cognitions. Yâjnavalkya termine par une double question [cf. l’argument de la Mundaka Upanishad, mantra I-I-3, op.cit., p. 100], car l’énigme du monde et le mystère de la félicité s’élucident, hors de la dialectique, dans les profondeurs successives du silence :
Par quoi connaîtrait-on ce par quoi tout ceci est connu ?
O très chère, par quoi connaîtrait-on le Connaisseur ?

[1] R.V., X-85, Y V., III-60, R V., VIII-3I … Ils sont encore récités dans l’Inde lors des épousailles.
[2] L’admirable R.V., X-85, est le legs de la “Voyante” Sûryâ.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Extrait de la Chandogya Upanishad
Il y a des milliers d'années, le grand sage Uddalaka Aruni envoya son fils de douze ans, Svetaketu, auprès d'un grand maître afin qu'il apprenne à connaître la réalité ultime dans toute sa profondeur. Durant une douzaine d'années, Svetaketu étudia sous la direction de son maître et mémorisa toutes les Védas. À son retour, son père constata que son fils agissait comme s'il avait appris tout ce qu'il était possible d'apprendre. Uddalaka décida donc de poser une question au jeune homme :

- Mon fils lettré, quelle est donc cette chose qui ne peut être entendue mais qui rend l'audition possible, qui ne peut être vue mais qui rend la vue possible, qui ne peut être connue mais qui rend possible la connaissance, qui ne peut être imaginée mais rend possible l'imagination ? Svetaketu, perplexe, restait silencieux.
Son père reprit :

- Lorsque nous connaissons une seule particule de terre, tous les objets de terre sont connus. Lorsque nous connaissons un seul grain d'or, tous les objets d'or sont connus. La différence entre une pièce d'orfèvrerie en or et une autre ne réside que dans leur nom et leur forme. En réalité, tous les bijoux sont seulement de l'or, et tous les pots sont seulement de la terre. Peux-tu me dire, mon fils, quelle est cette chose par laquelle, si on la connaît, on peut tout connaître ?

- Hélas, mon maître ne m'a pas donné cette connaissance, répondit Svetaketu. Le feras-tu ?
  - Très bien, dit Uddalaka. Je vais te la dire.
L'univers tout entier est une réalité, et cette réalité est pure conscience. La pure conscience est l'existence absolue. C'est le Un qui n'est pas suivi d'un Second. Au commencement le Un se dit à lui-même : "Je vais me différencier en multitude, et devenir ainsi tous ceux qui voient et tout ce qui est vu." Le Un entra dans la multitude, et devint le Soi de chaque chose. Les êtres de toutes les choses sont le Un, et ce UN Un est l'essence subtile de tout ce qui existe. Tu es cela, Svetaketu.
De cette même façon, les abeilles font du miel à partir du nectar de nombreuses fleurs, mais une fois que le miel est fait, le nectar ne peut dire "je proviens de cette fleur-ci ou de cette fleur-là." De même, lorsque tu te fonds dans ton Soi non localisé, tu deviens un avec le Soi de tout ce qui existe. C'est le véritable Soi de toute chose, et toi Svetaketu Tu es Cela.
  - Éclaire-moi davantage, mon père, répondit le jeune homme.
UDDALAKA fit une pause avant de reprendre :
  - Le fleuve Gange s'écoule vers l'est. L'Indus s'écoule vers l'ouest. Cependant tous deux finissent par devenir la mer. Une fois devenus la mer, ils ne pensent plus : "Je suis le Gange" ou "Je suis l'Indus." De même, mon fils, tout ce qui existe a sa source dans le Soi non localisé, et le Soi est l'essence la plus subtile de toute chose. C'est le vrai Soi. Svetaketu, tu es cela.
Lorsque le corps décline et meurt, l'eau ne peut le mouiller, le vent ne peut le sécher, les armes ne peuvent l'anéantir. Il est incréé, il n'a ni commencement ni fin. Au-delà des limitations de l'espace et du temps, il pénètre l'Univers entier. Svetaketu, tu es cela.
  - Éclaire-moi encore, père, dit Svetaketu avec enthousiasme.
  - Apporte-moi un fruit de l'arbre nyagrodha, demanda Uddalaka.
Svetaketu amena le fruit.
  - Ouvre-le.
Svetaketu obéit.
  - Que vois-tu, mon fils ?
  - De toutes petites graines, père.
  - Maintenant, casse une de ces graines.
Svetaketu cassa une petite graine.
  - Que vois-tu mon fils ?
  - Je vois qu'il ne reste rien, père.
  - Ce que tu ne vois pas est l'essence subtile, et la totalité de l'arbre nyagrodha en provient. De même, l'univers germe et surgit du Soi non localisé.
Pour finir Uddalaka demanda à Svetaketu de placer un petit cube de sel dans un seau d'eau. Le lendemain, le sage demanda à son fils de lui redonner le morceau de sel.
  - Je ne peux te le rendre, dit le jeune homme. Il s'est dissout.
Uddalaka demanda à son fils de goûter la surface de l'eau.
  - Dis-moi, comment est-elle ?
  - Elle est salée, père.
  - Goûte-la au milieu, et dis-moi comment elle est.
  - Elle est salée, père.
  - Goûte-la au fond, et dis-moi comment elle est.
  - Elle est salée, père.
  - Tout comme le sel est localisé dans le cristal et se disperse dans l'eau, ton Soi est localisé dans ton corps en même temps qu'il pénètre l'Univers entier.
Mon cher fils, dit Uddalaka, tu ne perçois pas le Soi dans ton corps, mais sans lui les perceptions seraient impossibles. Tu ne peux conceptualiser le Soi, mais sans lui la conceptualisation serait impossible. Tu ne peux imaginer le Soi, mais sans lui l'imagination serait impossible. Cependant, quand tu deviens le Soi et quand tu vis au niveau de ce Soi non localisé, tu es connecté à tout ce qui existe parce que le Soi est la source de tout ce qui existe.
Vérité, Réalité, Existence, Conscience, Absolu – appelle-le comme tu veux – c'est l'absolue réalité, le fondement de tout être. Et tu es cela, Svetaketu.
Vis à ce niveau, et tous tes désirs se réaliseront parce qu'à ce niveau ils ne seront pas seulement tes propres désirs, ils seront alignés sur les désirs de tout ce qui existe.
Svetaketu pratiqua tout ce qu'il avait appris et devint l'un des plus grands sages de la tradition du Vedanta.
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Ashtavakra Gita (extraits)


L'Ashtavakra Gita est un grand texte védantique probablement écrit au 8eme siècle. Il est sans doute le fruit d'une très longue tradition orale et a été composé sous la forme d'un dialogue entre le maître Ashtavakra et son disciple, le roi Janaka. Si dans la tradition non duelle il n'y a rien à faire, il y a ici une invitation constante à se défaire des fausses identités. Cette décréation a lieu par une invitation à la réalisation de ce qui est réel, permanent, le Soi. Évidemment, sans la désidentification avec le corps-mental rien n'est possible. Tant que la Conscience ne s'est pas désidentifiée de l'expérience elle ne peut réaliser sa vraie nature. On surfe ici tout le temps sur le fil ténu, entre faire et non faire, injonction à l'abandon de la tension vers les fausses idées et en quelque sorte une invitation à la Conscience à se réabsorber en elle-même, à se reconnaître en tant que Présence consciente...


1.10
"Tu es La Présence consciente sans attaches -
Félicité - Suprême félicité -
dans laquelle l'univers apparaît
comme le mirage du serpent dans la corde.
Sois heureux.

1.11
C'est vrai ce qu'ils disent :
"Tu es ce que tu crois".
Si tu crois que tu es attaché, tu es attaché.
Si tu penses que tu es libre tu es libre.

1.14
Tu as longtemps cru ; "je suis une personne".
Laisse le savoir : "Je suis seulement Présence consciente"
être l'épee qui te libère.

1.16
Tu es pure Conscience -
La substance de l'univers.

1.16
De même que l'Espace existe 
à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de la jarre,
l'Un atemporel, pénétrant toute chose
se manifeste également en tant que tout ce qui est."

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Le Sutra du Cœur ( Bouddha)

Sūtra du Cœur de la Perfection de Connaissance Transcendante (traduction de l’Anagārika Prajñānanda, 1981)
Hommage à la Sublime, Noble Perfection de Connaissance Transcendante (Prajñā) !
Le Noble Bodhisattva Avalokiteśvara se mouvait dans le cours profond de la Perfection de Connaissance Transcendante ; il regarda attentivement et vit que les cinq agrégats d’existence n'étaient que vides dans leur nature propre.
Ici Śāriputra, forme est vacuité (sūnyatā) et vacuité est forme ; forme n’est autre que vacuité, vacuité n’est autre que forme ; là où il y a forme, il y a vacuité, là où il y a vacuité, il y a forme ; ainsi en est-il des sensations, des notions, des facteurs d’existence et de la connaissance discriminative.
Ici Śāriputra, tous les phénomènes (dharma : phénomènes conditionnés et inconditionnés) ont pour caractéristique la vacuité ; ils sont sans naissance, sans annihilation, sans souillures et sans pureté, sans déficience et sans plénitude.
En conséquence, Śāriputra, dans la vacuité, il n’y a ni forme, ni sensation, ni notion, ni facteur d’existence ni connaissance discriminative ; ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni mental ; ni formes, ni sons, ni odeurs, ni goûts, ni objets tangibles, ni objets mentaux ; ni élément de la vue jusqu’à ni élément de la connaissance mentale ; ni absence de Vue, ni cessation de l’absence de Vue jusqu’à ni déclin et mort, ni cessation du déclin et mort ; ni souffrance, ni origine, ni extinction, ni Sentier ; ni connaissance, ni obtention, ni absence d’obtention.
En conséquence, Śāriputra, le Bodhisattva, par sa qualité de « sans obtention », prenant appui sur la Perfection de Connaissance Transcendante, demeure, la psyché libre d’obstruction. N’ayant pas d’obstructions de la psyché, il est sans crainte, il a surmonté les méprises vers l’Éveil (nirvāṇa).
Tous les Éveillés (Buddha) qui se tiennent dans les trois périodes de temps, prenant appui sur la Perfection de Connaissance Transcendante, se sont pleinement éveillés du parfait et complet Éveil.
C’est pourquoi on doit connaître la Perfection de Connaissance Transcendante comme le grand mantra, le mantra de grande Vue, le mantra ultime, le mantra sans égal, celui qui soulage de toute douleur, essentiel, sans erreur. Par la Perfection de Connaissance Transcendante ce mantra a été proclamé ainsi :
« Allez, allez, allez au-delà, allez complètement au-delà, et que l'Éveil (Bodhi) soit réalisé (svāhā)! ».
Telle est la conclusion du Cœur de la Perfection de Connaissance Transcendante.

Autre traduction :

Hommage à l'Arya Triple Joyau !
Ainsi ai-je entendu. Un temps le Bhagavan se trouvait à Rajagriha, sur le Pic des Vautours, entouré d'une grande congrégation de moines et d'une grande assemblée de Bodhisattvas. À ce moment-là, le Bhagavan était absorbé en la concentration sur les catégories de phénomènes, appelée "Perception Profonde".
Au même moment, le Bodhisattva Mahâsattva ârya Avalokiteshvara contempla la pratique même de la profonde perfection de la sagesse et il vit que les cinq agrégats également étaient vides de nature propre.
Puis, par le pouvoir du Bouddha, le vénérable Sharipoutra s'adressa en ces termes au bodhisattva Mahâsattva ârya Avalokiteshvara :
"Les fils et les filles de la lignée désireux de pratiquer la profonde perfection de la sagesse, comment doivent-ils s'y prendre ?"
Le Bodhisattva mahâsattva ârya Avalokiteshvara répondit alors au vénérable Sharadvatiputra : "Shariputra, les fils ou les filles de la lignée qui désirent pratiquer la profonde perfection de la sagesse doivent la considérer de la manière suivante : ils doivent contempler, correctement et à maintes reprises, le fait que les cinq agrégats, eux aussi, sont vides de nature propre.
La forme est vide. La vacuité est la forme. La vacuité n'est pas autre que la forme et la forme n'est pas autre que la vacuité. De même, la sensation, l'identification, les facteurs composés et la conscience sont-ils vides.
Shariputra, ainsi tous les phénomènes sont-ils vacuité ; ils sont sans caractéristique ; ils ne naissent ni ne cessent ; ne sont ni souillés ni non souillés ; ni déficients; ni parfaits.
En conséquence, Shariputra, dans la vacuité il n'y a ni forme, ni sensation, ni identification, ni facteurs composés, ni conscience ; ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni mental ; ni forme, ni son, ni odeur, ni saveur, ni objet du toucher, ni phénomène mental. De l'élément de l'œil et ainsi de suite, jusqu'à l'élément de la conscience du mental, il n'y a pas d'élément. Il n'y a ni ignorance ni élimination de l'ignorance et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il n'y ait ni vieillissement et mort, ni élimination du vieillissement et de la mort. Et à l'avenant[pas clair], il n'y a ni souffrance, ni origine de la souffrance, ni cessation, ni voie ; il n'y a ni sagesse transcendante, ni obtention, ni non-obtention.
Shariputra, ainsi, puisqu'il n'y a pas d'obtention, les bodhisattvas se fondent-ils sur la perfection de la sagesse et ils demeurent en elle, l'esprit sans voile et sans peur. Et comme ils sont passés bien au-delà de toute erreur, ils parviennent au stade final du Nirvāṇa. C'est en s'appuyant sur la perfection de la sagesse que tous les bouddhas des trois temps eux aussi font naître pleinement l'insurpassable éveil parfaitement accompli.
Aussi le mantra de la perfection de la sagesse, le mantra de la grande connaissance, le mantra auquel rien n'est supérieur, le mantra égal à l'inégalable, le mantra qui apaise à jamais toute souffrance, doit être reconnu comme véridique car il ne trompe pas. Et voici le mantra de la perfection de la sagesse :
Tadyathā [oṃ] gate gate pāragate pārasaṃgate bodhi svāhā (aller, aller, aller au-delà, au-delà du par delà, que l'éveil soit réalisé!)
Sharipoutra, c'est ainsi qu'un bodhisattva Mahâsattva doit s'exercer à la profonde perfection de la sagesse."
Puis le Bhagavan sortit de sa concentration et loua le bodhisattva Mahâsattva ârya Avalokiteshvara en disant : "Bien ! Bien ! Ô fils et filles de la lignée, il en est ainsi, il en est bien ainsi. C'est exactement comme tu viens de l'exposer qu'il convient de pratiquer la profonde perfection de la sagesse et les tathagatas eux-mêmes se réjouissent.
Lorsque le Bhagavan eut dit cela, le vénérable Sharadvatiputra, le bodhisattva Mahâsattva ârya Avalokiteshvara, l'entourage au complet, ainsi que le monde des dieux, des hommes, des asuras et des gandharvas, furent remplis de joie et louèrent les paroles du Bhagavan.

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Einstein 

"Tout l'univers n'est qu'une condensation d'un même vide".

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MAÎTRE ECKHART 1260-1329


De la pauvreté en esprit (Matthieu, V, 3)

......La Béatitude elle-même ouvrit sa bouche de sagesse et dit : Bienheureux les pauvres en esprit, le royaume du ciel est à eux ! Tous les anges et tous les saints et tout ce qui est jamais né, cela doit se taire quand la sagesse éternelle du Père parle ; car toute sagesse des anges et de toutes les créatures est un rien frivole devant la sagesse de Dieu qui est insondable. Et cette sagesse dit : que les pauvres sont bienheureux.


......Il y a deux espèces de pauvreté : l'une est une pauvreté extérieure, et celle-ci est bonne et très louable en l'homme qui l'embrasse volontairement, par amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme il l'a lui-même pratiquée sur terre. De cette pauvreté je ne parlerai pas davantage. Mais il y a encore une autre pauvreté, une pauvreté intérieure, et ce n'est qu'à celle-ci qu'il faut rapporter la parole de Notre-Seigneur : " Bienheureux les pauvres en esprit, ou : qui sont pauvres d'esprit ! "

Maintenant, je vous prie, soyez vous-mêmes de tels pauvres, et, en tant que tels, comprenez ce discours ! Car je vous le dis, par la vérité éternelle : à moins que vous ne correspondiez vous-mêmes à la vérité dont nous parlons en ce moment, vous n'êtes pas en état de me comprendre ! Une série de gens m'ont demandé ce qu'était donc la " pauvreté ". Nous allons prendre position sur ce point.



......L'évêque Albert dit que c'est un homme pauvre celui qui ne trouve de satisfaction dans rien de ce que Dieu a créé ; et ceci est bien dit ! Mais nous le disons encore mieux : nous prenons " pauvreté " dans un sens plus élevé : ceci est un homme pauvre : qui ne veut rien, qui ne sait rien, et qui n'a rien. Je vais parler de ces trois points :



......En premier lieu, j'appelle un homme pauvre : qui ne veut rien. Certaines gens n'en comprennent pas correctement le sens : ce sont les gens qui, au milieu des œuvres de pénitence et des exercices extérieurs, ne font pourtant que maintenir leur être particulier. Que de tels hommes soient considérés comme grands, que Dieu les prenne en pitié ! Ces hommes s'appellent saintes d'après l'image qu'ils fournissent, mais du dedans ce sont des ânes, car ils ne saisissent pas le sens profond de notre vérité divine. Ces gens disent aussi : un homme pauvre est celui qui ne veut rien. Ils l'interprètent ainsi que l'homme doit être ainsi fait qu'il ne cède jamais à sa volonté, à aucun égard, mais il doit s'efforcer de suivre la sainte volonté de Dieu. Ces hommes ne sont pas méchants en cela, car leur intention est bonne ; nous devons même les en louer ! Que Dieu les garde dans sa miséricorde ! Mais je dis à bon droit : ces gens ne sont pas des pauvres, ni semblables intérieurement à de tels hommes. Il s passent pour grands aux yeux de ceux qui ne connaissent rien de mieux. Pourtant je dis : ce sont des ânes qui ne comprennent rien à la vérité divine. En raison de leur bonne intention le royaume des cieux peut, peut-être, leur être accordé, mais de la pauvreté dont je veux maintenant parler, ils ne savent rien !



......Maintenant, quand on me demande ce qu'est donc " un homme pauvre qui ne veut rien ", je réponds ainsi : aussi longtemps que l'homme a quelque chose vers quoi sa volonté est dirigée - et même si sa volonté est de remplir la volonté bien-aimée de Dieu - un tel homme n'a pas la pauvreté dont il s'agit ici. Car cet homme a encore une volonté, avec laquelle il veut satisfaire à la volonté de Dieu ; et ceci n'est pas encore ce qu'il faut. Car, pour être vraiment pauvre, l'homme doit être aussi vide de sa volonté créée qu'il l'était quand il n'était pas encore. Et je vous dis, par la vérité éternelle : aussi longtemps que vous avez la volonté de remplir la volonté de Dieu et que vous avez un désir quelconque - même vers l'éternité, même vers Dieu - vous n'êtes pas vraiment pauvres ! Car seul est un homme pauvre : celui qui ne veut rien, qui ne connaît rien, qui ne désire rien. Quand j'étais encore dans ma cause première, je n'avais pas de Dieu, je m'appartenais à moi-même ! Je ne voulais rien, je ne désirais rien, car j'étais là un être sans détermination et me connaissais moi-même dans la vérité divine. Là je me voulais moi-même, et je ne voulais rein d'autre : ce que je voulais, je l'étais, et ce que j'étais, je le voulais. Ici je me tenais vide de Dieu et de toutes choses. Mais quand je sortis de cette libre volonté qui était la mienne et reçus mon essence créée, par là j'eus aussi un Dieu. Car avant que les créatures ne fussent, Dieu n'était pas Dieu : il était ce qu'il était ! Et, de même, quand les créatures devinrent et commencèrent leur essence créée, il n'était pas en lui-même " Dieu ", mais dans les créatures il était " Dieu ". Eh bien, nous affirmons que Dieu, simplement comme il est Dieu, n'est pas le but final de la création et ne possède pas une plénitude d'essence aussi grand que celle qu'a en Dieu la plus chétive créature ! Et si nous supposons qu'une mouche ait de la raison et puisse, au moyen de la raison, s'efforcer vers l'abîme éternel de l'essence divine dont elle est sortie : nous disons que Dieu, y compris tout ce qu'il est en tant que Dieu, ne pourrait même pas donner à cette mouche de quoi se réaliser et se satisfaire ! C'est pourquoi prisons qu'il nous donnée d'être libres de Dieu : saisissons la vérité et faisons usage de notre éternité ! Car les âmes sont égales aux anges les plus hauts, là où j'étais et voulais ce que j'étais, et étais ce que je voulais. -- C'est de cette manière qu'est pauvres celui qui " ne veut rien ".



......En second lieu, un homme pauvre est celui qui ne sait rien. Nous venons d'exposer que l'homme doit vivre comme s'il ne vivait pas, ni pour lui-même, ni pour la réalité, ni pour Dieu. Nous arrivons maintenant à quelque chose de nouveau et nous disons : l'homme à qui cette pauvreté doit échoir, il faut que soit vrai de lui tout ce qui était vrai de lui quand il " ne vivait en aucune manière, ni pour lui, ni pour la réalité, ni pour Dieu ". Il faut donc qu'il soit en outre si libre et si vide qu'aucune représentation de Dieu ne soit plus vivante en lui. Car quand l'homme était encore dans la nature de Dieu, en lui ne vivait pas encore un autre : tout ce qui vivait là, il l'était lui-même. C'est pourquoi nous disons que l'homme doit être aussi vide de tout savoir propre qu'il l'était quand il n'était pas ; et qu'il laisse Dieu créer ce qu'il veut et se tienne pur de toute détermination, comme quand il sortit de Dieu !



......Il faut ici que nous nous occupions de la question : sur quoi repose en première ligne la béatitude ? Quelques maîtres ont dit qu'elle reposait sur l'amour, d'autres enseignent qu'elle repose sur la connaissance et l'amour ; et ils ont déjà plus près du but. Mais nous disons qu'elle ne repose ni sur la connaissance ni sur l'amour : mais un quelque chose est dans l'âme, et de ce quelque chose jaillit la connaissance et l'amour. Cela ne connaît pas soi-même, ni n'aime -- ce qui est l'affaire des puissances de l'âme. Qui le trouve, il a trouvé sur quoi repose la béatitude. Cela n'a pas d'avant ni d'après et n'attend pas que quelque chose survienne, car cela ne peut devenir ni plus riche ni plus pauvre. Et de même il lui faut aussi nier avoir eu connaissance en soi de quelque chose qui fût d'abord à accomplir. C'est : éternellement la même chose, qui ne vit que soi-même -- comme Dieu !



......En ce sens, je dis que l'homme doit se tenir quitte et vide de Dieu, il ne doit pas se livrer à des pensées ou à des représentations sur ce que Dieu " opère " " en lui " ! Ainsi l'homme peut posséder la pauvreté.



......Les maîtres enseignent que Dieu est un être, et un être raisonnable, et qu'il connaît toutes choses. Mais moi je dis : Dieu n'est ni être ni raison, ni ne connaît ceci et cela ! C'est pourquoi Dieu est vide de toutes choses : et c'est pourquoi il esttoutes choses. Or, qui doit être pauvre en esprit, il faut qu'il soit pauvre de tout savoir, comme quelqu'un qui ne sait ni ne se représente absolument plus rien : ni Dieu, ni les créatures, ni lui-même. L'homme ne se trouve donc pas en situation de chercher à connaître " l'être de Dieu " ou à se le présenter. -- Ce n'est que de cette façon qu'il peut être pauvre en savoir !



......En troisième lieu, un homme pauvre est un homme qui n'a rien. On a affirmé maintes fois que la perfection consiste à ne rien posséder des choses extérieures de cette terre ; et ceci est en un certain sens tout à fait juste : quand on prend ce fardeau volontairement sur soi. Mais ce n'est pas ce sens que j'ai dans l'esprit.



......J'ai dit précédemment qu'un homme pauvre était celui -- non pas qui veut accomplir la volonté de Dieu, mais qui vit de telle façon qu'il est aussi vide de sa volonté, mais aussi de la volonté de Dieu, qu'il l'était quand il n'était pas. Cette pauvreté, nous l'appelons " la plus haute pauvreté ". -- Secondement, nous disions qu'un homme pauvre est celui qui ne sait rien des œuvres de Dieu. Quand on est aussi vide de tout savoir et de toute connaissance que Dieu est vide de toutes choses : c'est " la plus pure pauvreté ". -- Mais la troisième est " la plus prochaine pauvreté " dont je vais parler désormais, à savoir celle-ci que l'homme n'a rien.



......Maintenant prêtez sérieusement attention ! Je l'ai dit souvent, et de grands maîtres l'ont dit aussi : " L'homme doit être si vide de toutes choses et de toutes œuvres, aussi bien intérieurement qu'extérieurement, qu'il puisse être pour Dieu un lieu particulier où Dieu puisse agir. " Aujourd'hui nous disons autre chose. A supposer que l'homme se tienne réellement vide de toutes choses, de toutes les créatures, de lui-même et de Dieu, et soit ainsi constitué que Dieu trouve ne lui un lieu où il puisse agir, nous disons néanmoins : aussi longtemps qu'il y a en l'homme quelque chose de tel, il n'est pas pauvre dans la " plus prochaine " pauvreté. Car Dieu n'a pas en vue avec ses œuvres que l'homme ait dans son intérieur un lieu où Dieu puisse agir. Mais ceci seulement est pauvreté d'esprit : quand l'homme se tient si vide de Dieu et de toutes ses œuvres que -- si Dieu veut agir dans l'âme, il lui faille justement alors être lui-même le lieu où il agir. Et comme il le ferait volontiers ! Car Dieu trouve-t-il l'homme parfaitement pauvre, le voilà qui souffre lui-même son action. Là il est un lieu particulier de son action. Même s'il est ici une action dirigée en lui-même. Ici, dans cette pauvreté, l'homme atteint à nouveau l'être éternel qu'il a été, qu'il est maintenant, et en tant que tel il vivra dans l'éternité.



......Alors se présente une objection tirée des paroles de saint Paul : " Tout ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu. " Et notre discours plane haut au-dessus de toute grâce -- comme au-dessus de la connaissance, de la volonté et de tout désir ! La réponse est : la parole de saint Paul n'est qu'une parole de Paul ; qu'il l'ait prononcée sous l'influence de la grâce, ce n'est pas le cas ! La grâce, en effet, n'opérait en lui que ceci : que son être se parfit dans l'unité elle-même. Ici s'épuise son ouvrage ! Mais du moment que la grâce suspendait son activité, Paul, naturellement, redevenait celui qu'il était.



......Nous disons donc que l'homme doit être si pauvre qu'il ne soit pas lui-même " un endroit où Dieu puisse agir " ni même, qu'il ne l'ait en lui ! Aussi longtemps que l'homme garde en lui de l'espace, il garde de la différence. C'est justement pourquoi je prie Dieu qu'il me rende quitte de Dieu ! Car l'être qui n'est pas est au-delà de Dieu, au-delà de toute différence : là, j'étais seulement moi-même, là, je me voulais moi-même et me regardais moi-même comme celui qui a fait cet homme ! Ainsi suis-je donc la cause de moi-même, selon mon être éternel et selon mon être temporel. Ce n'est que pour cela que je suis né. Selon mon mode de naissance éternel, je ne puis non plus jamais mourir : en vertu de mon mode de naissance éternel, j'ai été de toute éternité, et suis, et demeurerai éternellement ! Ce n'est que ce que je suis en tant qu'être temporel qui mourra et deviendra néant ; car cela appartient au jour, c'est pourquoi cela doit, comme le temps, disparaître. Dans ma naissance toutes choses sont co-nées : j'étais en même temps ma propre cause et la cause de toutes choses. Et le voulu-je : ni moi ni toutes choses ne seraient. Mais si je n'étais pas, Dieu ne serait pas non plus. -- Que l'on comprenne ceci n'est pas nécessaire.



......Un grand docteur affirme que sa percée est quelque chose de plus haut que sa première sortie. Quand je sortis de Dieu, toutes choses dirent : " Il y a un Dieu ! " Or ceci ne peut me rendre bienheureux, car par là je me saisis en tant que créature. Mais dans la percée, comme je veux me tenir vide dans la volonté de Dieu, et vide aussi de cette volonté de Dieu, et de toutes ses œuvres, et de Dieu lui-même -- là je suis plus que toutes les créatures, là je ne suis ni Dieu ni créature : je suis ce que j'étais et ce que je resterai, maintenant et à jamais ! Là je reçois une secousse qui m'emporte et m'élève au-dessus de tous les anges. Dans cette secousse je deviens si riche que Dieu ne peut être assez pour moi selon tout ce qu'il est en tant que Dieu, selon toutes ses œuvres divines : car je conçois dans cette percée ce que moi et Dieu avons de commun. Là je suis ce quelque chose d'immuable qui meut toutes choses. Ici Dieu ne trouve plus de demeure en l'homme, car ici l'homme, par sa pauvreté, a reconquis ce qu'il a été éternellement et restera toujours. Ici Dieu est introduit dans l'esprit. -- C'est " la plus proche pauvreté ". Puisse-t-on la trouver !



......Celui qui ne comprend pas ce discours, que son cœur ne s'en préoccupe pas ; car aussi longtemps qu'on n'a pas grandi à la mesure de cette vérité, on ne comprendra pas ce discours. Car c'est une vérité non réfléchie qui est sortie du cœur de Dieu, immédiatement ! Puisse nous être départie une vie où nous éprouvions cela nous-mêmes éternellement, qu'à cela Dieu nous aide ! Amen.


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       "Discours de dissolution de l'Ordre de l'Étoile", 1929,  Jiddu Krishnamurti.

Ce matin,nous allons débattre de la dissolution de l’Ordre de l’Étoile. Beaucoup en seront ravis, et d’autres en seront plutôt attristés. Cela ne doit pas être un sujet de joie ni de tristesse, puisque c’est inévitable et je vais vous l’expliquer . Vous vous souvenez peut-être de l’histoire du diable qui descendait une rue en compagnie d’un ami. Ils voient devant eux un homme se baisser, ramasser quelque chose, le regarder et le mettre dans sa poche. L’ami dit au diable : ‘Qu’a-t-il bien pu trouver ?’. ‘Un bout de vérité’ dit le diable. ‘Très mauvais pour vous, cela’ remarque l’ami.
‘Pas du tout’ réplique le diable, ‘je vais faire en sorte qu’il l’institutionalise’.
J’affirme que la Vérité est un pays sans chemin, et qu'aucune route, aucune religion, aucune secte ne permet de l'atteindre. Tel est mon point de vue, je le maintiens de façon absolue et inconditionnelle. La Vérité étant sans limites, inconditionnée, inapprochable par quelque sentier que ce soit, ne peut pas être organisée; on ne devrait pas non plus créer d’organisation pour conduire, pousser les gens sur une certaine voie. Dès que vous avez saisi cela, vous réalisez à quel point il est impossible d'organiser une croyance. La croyance est une affaire purement individuelle, on ne peut pas, on ne doit pas l'organiser. Si on le fait, elle meurt, fossilisée; elle n'est plus qu'une croyance, une secte, une religion que l’on impose à d’autres.
C’est ce que chacun prétend faire à travers le monde. La Vérité est rapetissée, transformée en jouet pour ceux qui sont faibles, ceux dont le mécontentement n’est que momentané. La Vérité ne peut être mise à la portée de l’individu, c'est à l’individu de faire l'effort pour monter jusqu'à elle. On ne peut pas amener dans la vallée le sommet de la montagne. Si on veut l’atteindre, il faut entrer dans la vallée, puis grimper les raidillons, sans craindre les précipices dangereux. Il faut monter vers la Vérité, elle ne peut pas descendre à votre niveau ou être façonnée pour vous. Les institutions entretiennent l’intérêt pour les idées, mais elles suscitent cet intérêt de l’extérieur. L’intérêt qui ne naît pas de l’amour de la Vérité pour elle-même, l’intérêt inspiré par une institution, est sans valeur. L’institution devient un cadre auquel les membres s’adaptent confortablement. Ils ne tendent plus vers la Vérité, vers le sommet de la montagne, ils se taillent une niche commode dans laquelle ils s’installent ou se font installer par l’institution, pensant qu’elle les conduira de ce fait à la Vérité.
Voilà la première raison pour laquelle, à mon point de vue, l’Ordre de l’Étoile doit être dissous.
En dépit de cela vous allez probablement fonder quelque autre ordre, ou vous continuerez à appartenir à d’autres institutions qui cherchent la Vérité.
Pour ce qui me concerne, je ne veux appartenir à aucune entreprise d'ordre spirituel, comprenez bien cela. J’utilise une entreprise qui me conduit à Londres, par exemple : c’est une toute autre sorte d’entreprise, purement mécanique, comme la poste ou le télégraphe. J’utiliserai une voiture ou un bateau pour voyager, ce sont des machines qui n’ont rien à voir avec la spiritualité. Je répète qu'aucune institution ne peut mener l'homme à la spiritualité. Si on en crée une dans cette intention, elle devient une béquille, une faiblesse, un esclavage qui mutile l'individu et l'empêche de grandir, de fonder son caractère unique, lequel consiste en sa propre découverte de la Vérité absolue et inconditionnée. C'est la seconde raison qui m’amène, puisque je me trouve être le chef de l'Ordre, à le dissoudre. Personne n’a pesé sur ma décision.
Ce n'est pas une action d’éclat; simplement je ne veux pas de disciples, j’insiste là-dessus. Dès que l’on suit quelqu'un, on cesse de suivre la Vérité. Peu m'importe que vous teniez compte de ce que je dis ou non. J'ai une chose à faire dans le monde, et je vais m'y consacrer avec une détermination inébranlable. Je ne me préoccupe que d'une seule chose, essentielle : libérer l'homme. Je veux qu’il soit libre de toutes les cages, de toutes les peurs, et non pas libre de retrouver une nouvelle religion, une nouvelle secte, de nouvelles théories ou de nouvelles philosophies.
Vous allez naturellement me demander pourquoi je parcours le monde, à parler sans cesse. Je vais vous dire pourquoi : ce n'est pas parce que je désire un auditoire, ou attirer à moi un groupe choisi de disciples élus. (Les hommes adorent se distinguer de leurs semblables, même par les différences les plus ridicules, absurdes et futiles ! Je ne veux pas encourager cette absurdité...) Je n'ai pas de disciples et pas d’apôtres, ni dans ce monde ni dans le monde de la spiritualité.
Ce n’est pas non plus le désir d’argent, ni d’une vie confortable qui me mène. Si je voulais une vie confortable, je ne participerais pas à des camps et ne vivrais pas dans un pays humide ! Je parle franchement car je veux que les choses soient établies une bonne fois pour toutes, je ne veux pas poursuivre d’année en année ces discussions puériles.
Un journaliste qui m'interviewait trouvait que dissoudre une institution composée de milliers et de milliers de membres était un geste grandiose, car, disait-il, "Que ferez-vous maintenant, comment vivrez-vous ? Vous n'aurez plus d'auditoire, on ne vous écoutera plus". S'il n’y a que cinq personnes qui veulent écouter, qui veulent vivre le visage tourné vers l'éternité, ce sera assez.
A quoi sert d’avoir des milliers d’auditeurs qui ne comprennent pas, confits dans leurs préjugés, qui refusent le neuf, ou plutôt voudraient bien convertir le neuf en quelque chose qui convienne à leur petit ‘moi’ stérile et stagnant ? Si mes paroles sont fermes, comprenez bien que ce n’est pas par manque de compassion. Si vous allez consulter un chirurgien, n’est-ce pas de la bonté de sa part de vous opérer même s’il vous fait mal ? De même, si je parle sans détour, ce n’est pas par manque d’une réelle affection, tout au contraire.
Je vous l'ai dit, je n'ai qu'un but : libérer l'homme, le presser vers la liberté, l'aider à se dégager de toutes les limitations, car cela seul lui fera atteindre la béatitude éternelle, la réalisation du soi inconditionné.
Parce que je suis libre, inconditionné, intégral - pas une vérité partielle, pas une vérité relative, mais Vérité absolue, qui est éternelle - je désire que ceux qui cherchent à me comprendre soient libres. Pas libres de me suivre, de faire de moi une cage qui se change en religion, en secte. Mais qu'ils soient libres de toute peur : peur de la religion, peur du salut, peur de la spiritualité, peur de l'amour, peur de la mort, peur de la vie même. Un artiste peint un tableau parce qu'il trouve sa joie en peignant, parce que c’est sa façon de s’exprimer, son honneur, son bien-être : c’est ainsi que j’agis, et non parce que j’attends quoi que ce soit de qui que ce soit.
Vous êtes habitués à l’autorité, ou à l'atmosphère d'autorité qui, pensez-vous, vous conduira à la vie spirituelle. Vous croyez, vous espérez qu'un autre, par ses pouvoirs extraordinaires - par un miracle - va vous transporter dans cet univers de liberté éternelle qui est la béatitude. Toute votre conception de la vie est fondée sur cette autorité.
Voici trois ans maintenant que vous m'écoutez, sans qu'aucun changement ne se produise, sauf chez quelques-uns. Analysez maintenant ce que je dis, exercez votre sens critique, afin de pouvoir comprendre totalement, en profondeur. Lorsque vous demandez à une autorité de vous guider vers la vie spirituelle, vous êtes obligatoirement conduits à construire une organisation autour de cette autorité. Du fait même de créer cette organisation afin d’aider cette autorité à vous guider vers la spiritualité, vous vous êtes mis en cage.
Si je parle franchement, souvenez-vous que je le fais sans dureté, ni cruauté, ni par exaltation pour mon sujet, mais parce que je veux que vous compreniez ce que je suis en train de dire. Vous êtes venus pour cela et ce serait une perte de temps de ne pas exposer clairement et définitivement mon point de vue.
Pendant dix-huit ans, vous avez préparé cet événement, la venue de l’Instructeur du Monde. Pendant dix-huit ans, vous vous êtes organisés, vous avez attendu quelqu’un qui apporte une joie nouvelle dans vos cœurs et vos esprits, qui transforme complètement votre vie, qui vous donne un nouvel entendement; attendu quelqu’un qui élève votre vie à un plan supérieur, qui vous redonne courage, qui vous rende libre… Et voyez maintenant ce qui se passe !
Réfléchissez, raisonnez avec vous-mêmes et voyez en quoi cette croyance vous a rendu différents – pas la différence superficielle de porter un badge, ce qui est futile, absurde. En quoi cette croyance a-t-elle balayé toutes les choses superflues de la vie ? C’est la seule façon d’en juger : en quoi êtes-vous plus libres, plus grands, plus dangereux pour toute société fondée sur le fallacieux et l’accessoire ? En quoi les membres de cette organisation de l’Étoile sont-ils devenus différents ?
Comme je l’ai dit, vous avez tout préparé pour moi pendant dix-huit ans. Cela m’est égal que vous croyiez ou non que je suis l’Instructeur du Monde, cela importe peu. Comme membres de l’institution de l’Ordre de l’Étoile, vous avez apporté votre sympathie, mis votre énergie à reconnaître Krishnamurti comme l’Instructeur du Monde, certains pleinement - ceux qui cherchent vraiment - certains partiellement - ceux qui sont satisfaits de leurs propres demi-vérités.
Vous avez préparé pendant dix-huit ans, et regardez combien d’obstacles à votre compréhension, combien de complications, combien de futilités. Vos préjugés, vos peurs, vos autorités, vos églises anciennes et nouvelles, tout ceci, je le soutiens, fait barrage à la compréhension. Je ne peux pas être plus clair. Je ne veux pas que vous acquiesciez, je ne veux pas que vous me suiviez, je veux que vous compreniez ce que je suis en train de dire.
Il vous faut comprendre, car, loin de vous transformer, votre croyance n’a fait que vous rendre compliqués, parce que vous ne voulez pas affronter les choses telles qu’elles sont. Vous voulez vos dieux – des nouveaux dieux au lieu des anciens, de nouvelles religions au lieu des anciennes, de nouvelles structures au lieu des anciennes – toutes choses sans valeur, des obstacles, des limitations, des béquilles. À la place d’anciennes distinctions spirituelles, vous en avez de nouvelles, au lieu de vos vieilles dévotions, vous en avez des neuves. Pour votre vie spirituelle, vous dépendez de quelqu’un, pour votre bonheur, vous dépendez de quelqu’un, pour votre illumination, vous dépendez de quelqu'un. Et, bien que vous prépariez depuis dix-huit ans ma venue, quand je vous dis que toutes ces choses sont inutiles, quand je vous dis de les rejeter en bloc et de chercher en vous-même l'illumination, la splendeur, la purification et l'incorruptibilité du soi, pas un d'entre vous n'est prêt à le faire. Peut-être quelques-uns, mais peu, très peu...
Alors, à quoi bon une telle institution?
Pourquoi avoir avec moi des gens insincères et hypocrites, moi l’incarnation de la Vérité ? Je vous en prie, rappelez-vous que je ne veux être ni dur, ni méchant, mais nous sommes arrivés à un stade où il faut voir les choses en face. J’ai dit l'an dernier que je ne me prêterai pas à un compromis. Très peu alors ont écouté. Cette année, j’ai mis les choses tout à fait au clair. J'ignore combien de milliers de membres de l'Ordre à travers le monde ont préparé depuis dix-huit ans ma venue, et pourtant, aujourd’hui, ils ne veulent toujours pas écouter totalement, sans réserve, ce que je dis, alors, à quoi bon une telle institution?
Mon dessein, je le répète, est de libérer les hommes sans condition, car je soutiens que la seule spiritualité est l'incorruptibilité du soi qui est éternel, c’est l'harmonie entre la raison et l'amour. C'est la Vérité absolue, inconditionnée, qui est la Vie elle-même. Je veux donc libérer l'homme; qu'il exulte comme l'oiseau dans le ciel clair, sans poids, sans attache, extatique de cette liberté. Et moi, pour qui vous avez tout préparé pendant dix-huit ans, je vous dis maintenant de vous libérer de toutes vos complications, de vos pesanteurs. Vous n'avez pas besoin pour cela d'une organisation fondée sur une croyance spirituelle. Pourquoi former une structure pour la dizaine de personnes dans le monde qui comprennent, qui s’appliquent, qui ont mis de côté tout ce qui est insignifiant? Quant aux faibles, aucune organisation ne peut les aider à trouver la Vérité, parce que la Vérité est en chacun; elle n'est ni loin, ni près, elle est là, éternellement.
Les organisations ne peuvent pas vous rendre libres. Aucun être venu d’ailleurs ne peut le faire; fonder un culte, vous immoler à une cause ne vous libèreront pas non plus; vous regrouper en organisation, vous lancer dans les œuvres non plus. Vous utilisez une machine à écrire pour votre correspondance, mais vous ne la posez pas sur un autel pour l'adorer. Pourtant c'est bien que vous faites quand une institution devient votre premier souci. "Combien de membres ?" Voilà la première question que me posent les journalistes. "Combien de disciples ? C'est à leur nombre que nous jugerons si ce que vous dites est vrai ou faux." J'ignore leur nombre, cela ne m'intéresse pas. Comme je l’ai dit, s'il n'y avait qu'une seule personne libérée, ce serait assez.
Vous croyez que seules certaines personnes détiennent la clé du Royaume de la Béatitude. Personne ne la détient, personne n'en a l'autorité. Cette clé, c'est le soi, et c’est seulement dans le développement, la purification, et l’incorruptibilité du soi que réside le Royaume de l'Éternité.
Vous verrez alors à quel point est absurde toute la structure que vous avez édifiée, cherchant une aide extérieure, dépendant des autres pour votre réconfort, votre bonheur, votre force. Tout cela, vous ne le trouverez qu'en vous-même.?Vous n’avez donc pas besoin d’une institution.
Vous avez pris l'habitude que l'on vous dise où vous en êtes sur le plan spirituel. Comme c'est puéril ! Qui d'autre que vous peut dire si vous êtes beau ou laid intérieurement, qui d’autre peut dire si vous êtes incorruptible? Vous n’êtes pas sérieux.
Alors, quelle est la valeur d’une institution?
Mais ceux qui cherchent réellement à comprendre, à découvrir ce qui est éternel, ce qui n’a ni commencement ni fin, feront route ensemble avec une plus grande intensité, et deviendront un danger pour tout ce qui n'est pas essentiel, les chimères, les ombres. Ils se concentreront, ils deviendront la flamme, parce qu'ils auront compris. Voilà le groupe que nous devons créer, et tel est mon but. L’existence d’une vraie compréhension entraînera une vraie amitié. A cause de cette véritable amitié - sentiment que vous ne semblez pas connaître - chacun apportera sincèrement sa coopération, non pas sous la pression de l'autorité, ni pour rechercher son salut, ni en immolation à une cause, mais parce que vous comprendrez véritablement, donc vous serez capables de vivre dans l'éternel. Ceci est bien plus fort que tout plaisir, que tout sacrifice.
Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles, après y avoir réfléchi sérieusement pendant deux ans, j'ai pris cette décision. Je ne cède pas à une impulsion momentanée, personne ne m’y a poussé; dans ce domaine, je ne suis pas sensible aux influences. Pendant deux ans, j'ai pensé à cela, calmement, patiemment, avec grand soin, et j'ai finalement décidé de démanteler l'Ordre, puisque je me trouve être son président. Libre à vous de fonder une autre institution et d'attendre quelqu'un d'autre, cela ne me concerne pas, pas plus que de créer de nouvelles cages, de nouvelles décorations pour ces cages. Mon seul souci est de rendre les hommes libres, absolument, inconditionnellement libres. »

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LE VIJNÂNA BHAIRAVA TANTRA
Traduction L. SILBURN

La Déesse dit :

Ô Dieu, tout ce qui tire son origine du Rudrayâmalatantra m’a été intégralement révélé. C’est le Trikabheda, la triple différenciation obtenue en extrayant la quintessence de la quintessence.

Et cependant, O Maître suprême ! mon doute n’est pas encore dissipé. Quelle est, O dieu, en réalité absolue, l’essence qui consiste en énergie fragmentatrice de l’ensemble des sons ? Ou encore, comment peut-elle résider sous l’aspect différencié d’une nonuple formule dans la forme distincte de Bhairava ? Ou encore, comment est-elle différenciée en un Dieu à trois têtes ? Ou comment donc consiste t-elle en une triple énergie ? Comment à nouveau est-elle faite de nâdabindu ? Qu’est-ce que les phases subtiles de l’énergie phonématique,  la demi-lune et l’obstruante ? Ou encore comment est-elle la consonne sans voyelle (anacka) qui réside sur la roue des phonèmes ? Comment donc a-t-elle pour nature propre l’Énergie ?

Ou encore comment tout est composé, soit  de l’énergie transcendante-et-immanente et à la fois de l’énergie immanente seule, et encore à la fois de  l’énergie purement transcendantale ? La transcendance, en vérité,  ne saurait être différenciée en phonèmes et en corps, car elle ne peut se trouver en tant que nature indivise dans ce qui est composé.

O Seigneur accorde-moi ta grâce et dissipe entièrement mon doute.

Bhairava répond :

Bien ! Bien ! O Très aimée ! ta question forme la quintessence des Tantra. Ce sujet est extrêmement ésotérique, O Bienheureuse ! pourtant je te l’expliquerai,  Déesse. Tout ce qu’on déclare forme composée appartenant à Bhairava doit être considéré comme une fantasmagorie, une illusion magique, un rêve, le mirage d’un château dans le ciel, du fait de son manque de substance.

Du point de vue absolu, ce bhairava n’est ni la nonuple formule, ni l’ensemble des sons. Il n’est pas non plus le Dieu à trois têtes. La triple énergie ne constitue pas son essence. Il ne consiste pas non plus en nâdabindu, ni en candrardha ni en nirodikhâ (ensemble d’énergies de plus en plus subtiles) et ne s’associe pas au cours de la Roue cosmique. L’énergie ne forme pas son essence, car ces conceptions ne sont que des épouvantails à l’usage des enfants et des hommes à la pensée non encore éveillée, elles jouent le même rôle que la douceur qui cache le médicament. Leur description n’a d’autre but que de faire progresser l’aspirant.

La félicité éprouvée comme sienne au plus profond de soi n’est pas soumise à la pensée dualisante. Elle échappe aux exigences de temps et de lieu ainsi qu’aux spécifications de l’espace. Dans l’ordre de la vérité absolue, elle ne peut être suggérée et demeure ineffable. Telle est l’expression de la plénitude, la Bhairavi, l’énergie du Soi de Bhairava. En vérité on doit discerner cette Merveille immaculée qui emplit le cosmos. A un tel degré de réalité qui donc est adoré et qui se plait à l’adoration ? Cette condition de Bhairava qu’on célèbre de la sorte est attestée comme suprême. C’est elle que sous sa forme la plus lointaine, on déclare ‘Déesse suprême’.

Puisqu’il ne peut jamais y avoir aucune distinction entre énergie et détenteur d’énergie, ni entre substance et attribut, l’énergie suprême est identique au Soi suprême. Comme on n’imagine pas d’énergie consumante distincte du feu, la distinction entre énergie et porteur d’énergie n’apparaît pas lorsqu’on s’absorbe dans la Réalité de la connaissance absolue.

Si celui qui pénètre dans l’état de l’énergie réalise qu’il n’en est pas distinct, son énergie divinisée assume l’essence de Shiva et on la nomme alors ‘ouverture’. De même que, grâce à la lumière d’une lampe ou aux rayons du soleil, on prend connaissance des diverses portions de l’espace, de même O Bien Aimée ! c’est grâce à son énergie que l’on peut connaître Shiva.

La Déesse dit :

O dieux des dieux ! Toi qui portes l’emblème du trident et as pour ornement la guirlande des crânes, dis-mois par quels moyens on peut apercevoir l’état qui a forme de plénitude propre à Bhairava, qui échappe au temps et à l’espace et défie toute description ? En quel sens dit-on la suprême Déesse est l’ouverture qui lui donne accès ? Instruis-moi O Bhairava, afin que ma connaissance devienne parfaite.

Bhairava répond :

Il faut exercer une poussée ascentionnelle sur la suprême Énergie formée de deux points (Visarga), que sont le souffle expiré en haut et le souffle inspiré en bas. La situation de plénitude provient de ce qu’ils sont portés ou maintenus, sur leur double lieu d’origine.

Si l’on s’exerce sans interruption sur le couple des espaces vides interne et externe des souffles inspirés et expirés, ainsi O Bhairavi : la merveilleuse Forme de Bhairavi et de Bhairava se révèlera.

L’énergie sous forme de souffle ne peut ni entrer ni sorir lorsqu’elle s’épanouit au centre en tant que libre de dualité, par son entremise on recouvre l’essence absolue.

Qu’on pratique la rétention du souffle lorsqu’on expire ou encore lorsqu’on inspir. A la fin de cet exercice, on nommera cette énergie du souffle retenu, ‘apaisée’ et grâce à cette énergie se révèle l’essence appaisée.

Qu’on se concentre sur cette énergie du souffle resplendissante de rayons de lumière et dont l’essence est subtile entre les choses subtiles, quand elle s’élève de la base jusqu’à ce qu’elle s’apaise au centre supérieur. Voilà l’ Éveil de Bhairava.

De centre en centre, de proche en proche, l’énergie vitale, tel un éclair jaillit jusqu’au sommet du triple poing, tant qu’à la fin le grand Éveil se produit.

Les douze modalités successives correspondent exactement à la distinction en douze phonèmes. S’étant libéré graduellement des conditions matérielle, subtile, et suprême, en dernier lieu, on s’identifie à Shiva même.

Ayant rempli le sommet du crâne de l’énergie du souffle et projeté celle-ci rapidement à l’aide du pont établi par une contraction des sourcils, si l’on a libéré la pensée de toute dualité, grâce à cette énergie, on deviendra omnipénétrant dès qu’on accède à ce qui est au delà de toute chose.

Si l’on médite sur le quintuple vide, en prenant pour support les cercles bariolés des plumes du paon, on s’abîme dans le Cœur, l’incomparable Vide.

Vide, mur, réceptacle suprême, quel que soit l’objet sur lequel on doit se concentrer en suivant un tel ordre, l’excellente Bienfaitrice se résorbe en elle même.

Ayant fixé la pensée à l’intérieur du crâne, se tenant les yeux fermés, peu à peu, grâce à la stabilité de la pensée, qu’on discerne l’éminemment  discernable.

Le canal médian est ce qui tient au Centre. Quant on médite sur lui sous forme de cette Déesse qui, semblable au filament d’une tige de lotus, est identique au firmament intérieur, alors le Dieu se révèle.

Dès que l’on a bouché les ouvertures des sens à l’aide de l’arme défensive que forme les mains les obstruant, et qu’on perce le centre entre les sourcils, le bindu une fois perçu disparaît peu à peu, alors au milieu de cette disparition, voilà le suprême séjour.

Si l’on médite dans le cœur et au sommet de la mèche de cheveux sur le bindu, point semblable à la marque rouge, ce feu subtil que produit une certaine effervescence, à la fin, lorsque celle-ci a disparu, on s’absorbe dans la Lumière de la Conscience.

Il accède au brahman suprême celui qui baigne dans le brahman-son, l’anâtha logé dans le réceptacle de l’oreille, son ininterrompu, précipité comme un fleuve.

Si l’on récite la syllabe sacrée AUM ou toute autre formule et qu’on éprouve le vide qui se trouve à la fin du son protracté, au moyen de cette éminente énergie du vide, O Bhairavi, on atteint la vacuité.

Il faut se concentrer sur la fin ou le commencement de n’importe quel phonème. Par la puissance du vide, cet homme devenu vide prendra la forme du vide.

En suivant attentivement les sons prolongés d’instruments de musique, à cordes ou autres, si l’esprit ne s’interresse à rien d’autre, à la fin de chaque son, l’on s’identifiera à la forme merveilleuse du firmament suprême.

Mais aussi à l’aide de la succession ordonnée de phonèmes grossiers d’une formule quelconque d’un seul bloc, sous la poussée du vide propre aux phases subtiles d’ardhendubindu, et nadâbindu on deviendra Shiva.

Qu’on évoque l’espace vide en son propre corps dans toutes les directions à la fois. Alors, pour qui jouit d’une pensée libre de dualité, tout devient espace vide.

On doit évoquer en même temps le vide du sommet et le vide de la base. Du fait que l’Énergie est indépendante du corps, la pensée deviendra vide. Qu’on évoque de manière simultanée le vide du sommet, le vide à la base et le vide du cœur. Grâce à l’absence de toute pensée dualisante, alors se lève la Conscience non-dualisante.

Si l’on évoque, rien qu’un instant, l’absence de dualité en un point quelconque du corps, voilà la Vacuité même. Libéré de toute pensée dualisante, on accèdera à l’essence non dualisante.

O Belle aux yeux de gazelle ! Qu’on évoque intensément toute la substance qui forme le corps comme pénétrée d’éther. Et cette évocation deviendra alors permanente.

On doit considérer la différenciation de la peau du corps comme un mur. Celui qui médite sur son corps comme s’il ne contenait rien à l’intérieur, adhère bientôt à l’au-delà du méditable.

O Bienheureuse ! les sens anéantis dans l’espace du cœur, l’esprit indifférent à toute autre chose, celui qui accède au milieu de la coupe bien close des lotus atteindra la faveur surprême.

Du fait que la pensée est absorbée dans le dvâdasantâ, chez un homme dont l’intellect est ferme et dont le corps est pénétré de toutes parts de Conscience, se présente alors à lui la caractéristique de la Réalité bien affermie.

Qu’on fixe sa pensée dans le centre supérieur, dvâdasantâ,  de toutes manières et où qu’on se trouve. L’agitation s’étant peu à peu abolie, en quelques jours l’indescriptible se produira.

On doit intensément se concentrer sur sa propre forteresse comme si elle était consumée par le feu du Temps qui surgit du pied de ce Temps. Alors,  à la fin,  se manifeste la quiétude.

De même, après avoir médité en imagination sur le monde entier comme étant consumé par les flammes, l’homme dont l’esprit est indifférent à toute autre chose, accèdera à la plus haute condition humaine.

Si l’on médite sur les catégories subtiles ainsi que sur les catégories très subtiles, incluses dans son propre corps, ou bien sur celles de l’univers comme si elles se résorbaient les unes dans les autres, finalement la suprême Déesse se révèlera.

Si l’on médite sur l’énergie du souffle grasse et très faible dans le domaine du dvâdasantâ et qu'au moment de s’endormir, on pénètre dans son propre cœur; en méditant ainsi on obtiendra la maîtrise des rêves.

Il faut se concentrer par degrés sur l’univers sous forme de monde et autres cheminements, en le considérant dans ses modalités grossière, subtile et suprême, jusqu’à parvenir finalement à l’absorption de la pensée.

Après avoir médité sur la réalité Sivaïte selon la méthode des six cheminements, de façon exhaustive en y incluant l’univers entier, alors se produit le grand Éveil.

O puissante Déesse ! on doit se concentrer intensément sur tout cet univers comme s’il était vide et là même la pensée se résorbe. Alors on devient le vase d’élection de l’absorption en ce vide.

Qu’on fixe le regard sur un récipient, une cruche ou quelque autre objet en faisant abstraction de ses parois. Lorsqu’on parvient à s’absorber en ce vide, à cet instant précis et grâce à cette absorption, on s’identifiera à Lui.

Qu’on fixe le regard sur une région dépourvu d’arbres, de montagnes, de murailles ou d’autres objets. Dans l’état mental d’absorption on devient un être dont l’activité fluctuante a disparu.

Au moment où l’on perçoit deux choses, prenant conscience de l’intervalle entre elles, qu’on s’y installe ferme. Si l’on bannit simultanément toutes deux, alors, dans cet intervalle, la Réalité resplendit.

Que l’esprit qui vient quitter une chose soit bloqué et ne s’oriente pas vers une autre chose. Alors, grâce à la chose qui se trouve entre elles, la Réalisation s’épanouit dans toute son intensité.

En vérité, que l’on évoque parfaitement, de façon sumultanée dans sa totalité, soit l’univers, soit son propre corps comme s’il était fait de conscience. Alors, à l’aide d’une pensée sans dualité, on obtiendra le suprême Éveil.

En pratiquant la friction des deux souffles, à l’extérieur ou à l’intérieur, le yogin deviendra à la fin le vase d’élection d’où surgit la connaissance suprême de l’Égalité.

Que le yogin considère soit l’univers entier soit son propre corps, simultanément dans sa totalité, comme rempli de sa propre félicité. Alors, grâce à son ambroisie intime, il s’identifiera à la suprême félicité. Comme par un procédé de magie, O Belle aux yeux de gazelle ! la grande félicité se lève subitement. Grâce à elle la Réalité se manifeste.

Lorsqu’on fait échec au flot tout entier des activités sensorielles par le moyen de l’énergie du souffle qui s’élève, peu à peu, au moment où l’on sent un fourmillement, le suprême bonheur se propage.

Mais qu’on fixe la pensée qui n’est plus que plaisir dans l’intervalle de feu et de poison. Elle s’isole alors ou se remplit de souffle et l’on intègre la félicité de l’Amour.

La jouissance de la Réalité du brahman qu’on éprouve au moment où prend fin l’absorption dans l’énergie fortement agitée par l’union avec une parèdre (shakti), c’est elle précisément qu’on nomme jouissance intime.

O Maîtresse des Dieux ! l’afflux de la félicité se produit même en l’absence d’une énergie (femme), si l’on se remémore intensément la jouissance née de la femme grâce à des baisers, des caresses et des étreintes.

Ou encore à la vue d’un parent dont on a été longtemps séparé, on accède à une félicité très grande. Ayant médité sur la félicité qui vient de surgir, on s’y absorbe, puis la pensée s’identifie à elle.

Grâce à l’épanouissement de la félicité qui comporte l’euphorie causée par la nourriture et la boisson, qu’on adhère de tout son être à ce état de surabondance et l’on s’identifiera alors à la grande Félicité.

Si un yogin se fond dans le bonheur incomparable éprouvé à jouir des chants et autres plaisirs sensibles, parce qu’il n’est plus que ce bonheur, une fois sa pensée stabilisée, il s’identifiera complètement à lui.

Là ou la pensée trouve satisfaction, c’est en ce lieux même, qu’il faut river cette pensée sans fléchir; c’est là, en effet, que l’essence de la suprême félicité se révèle pleinement.

Lorsque le sommeil n’est pas encore venu et que pourtant le monde extérieur s’est effacé, au moment où cet état devient accessible à la pensée, la Déesse suprême se révèle.

Le regard doit être  fixé sur une portion d’espace qui apparaît tachetée sous le rayonnement du soleil, d’une lampe etc… C’est là même que resplendit l’essence de son propre Soi.

La suprême fusion dans le Tout se révèle au moment de la perception intuitive de l’Univers, grâce aux attitudes suivantes : le repos de la mort, la fureur, la fixité du regard, la succion ininterrompue et la concentration sur l’éther.

Installé sur un siège moelleux, ne reposant  que sur son séant, pieds et mains privés de support; par l’effet de cette attitude, l’intelligence intuitive la plus haute accède à la plénitude.

Confortablement installé sur un siège, les bras croisés ayant fixé la pensée au creux des aisselles, grâce à cette absorption on obtiendra la quiétude.

Ayant fixé les yeux sans cligner sur un objet à forme grossière et si l’on prive la pensée de tout support, l’on parviendra sans tarder à Shiva.

La bouche étant largement ouverte, la langue au centre, si l’on fixe la pensée sur ce centre en récitant mentalement le phonème Ha, l’on s’abîmera alors dans la paix.

Se tenant assis ou couché, un yogin, doit évoquer avec intensité son propre corps comme privé de support; dans une pensée qui s’évanouit, à l’instant même, ses  prédispositions inconscientes s’évanouiront.

Ou encore si l’on se trouve dans un véhicule en mouvement, ou si l’on meut le corps très lentement, O Déesse ! jouissant alors d’une disposition d’esprit bien apaisée, l’on parviendra au flot divin.

Si contemplant un ciel très pur, on y fixe le regard sans la moindre défaillance, l’être tout entier étant immobilisé, à ce moment même O Déesse ! on atteindra la Merveille de bhairava.

Qu’on évoque tout l’espace-vide sous forme d’essence de bhairava, comme dissous dans sa propre tête. Alors l’univers tout entier s’absorbera dans la Réalité de l’éclat, expression même de Bhairava.

Quand on connaît pleinement la forme de Bhairava dans la veille et autres états, c’est à dire : connaissance limitée et  production de dualité  quant à la veille, vision extériorisante quant au rêve et aussi ténèbres quant au sommeil profond, on est alors empli de la splendeur infinie de la Conscience. Une chose limitée étant connue, engendre la dualité. Telle est la lumière extérieure, qui équivaut aux ténèbres. D’autre part qu’on la perçoive comme pleine de la Lumière infinie de la Conscience, et l’univers entier,  assumera la forme de Bhairava.

De même durant une nuit noire, à l’arrivée de la quinzaine sombre, ayant évoqué sans discontinuer la forme ténébreuse, on accèdera à la Réalité de Bhairava.

De même, tenant d’abord les yeux bien fermés, une couleur sombre apparaît. Si on les ouvre, tout grands en évoquant la forme de Bahirava, on s’identifiera à elle.

Qu’un obstacle s’oppose à l’exercice d’un organe quelconque ou que de soi-même on y fasse obstruction, si l’on s’enfonce dans le vide sans dualité, la même le Soi resplendit.

Si l’on récite le phonème A sans bindu ni visarga, le Seigneur suprême, ce puissant torrent de connaissance, surgit imprévisible O Déesse !

Qu’on fixe l’esprit sur la fin du visarga de n’importe quelle lettre pourvu de visarga et, par l’intermédiaire d’une pensée libérée de tout fondement, on entrera en contact avec l’éternel brahman.

Qu’on médite sur son propre Soi en forme de firmament illimité en tous sens. Dès que la conscience se trouve privée de tout support, alors l’Énergie manifeste sa véritable essence.

Après avoir perforé une partie quelconque de son corps avec un instrument pointu ou autre, si l’on tient alors son esprit appliqué à cet endroit précis, la progression éclatante, vers Bhairava se produira.

On doit se convaincre de l’idée, que les organes, les souffles, la pensée n’existent pas en moi. Grâce à l’absence de pensée dualisante qui en résulte,  on transcende à jamais tous les vikalpa. (les notions duelles)

L’illusion est dite ‘la pertubatrice’. La fonction de kalâ, consiste en une activité fragmentatrice et ainsi de suite pour les autres cuirasses et limitations. Considérant qu’il n’y a là qu’attribut des catégories, qu’on ne s’en sépare pas.

Ayant observé un désir qui surgit soudain, qu’on y mette fin brusquement. Quelle que soit la source d’où il jaillit, que là même il s’absorbe.

Quand ma volonté ou ma connaissance n’ont pas encore surgi, que suis-je, en vérité ? Telle est, dans l’ordre de la Réalité, la nature du Je. La pensée s’identifie à cela, puis s’absorbe en cela.

Mais une fois que la volonté ou la connaissance se sont produites, on doit y river la pensée au moyen de la conscience de Soi ; l’esprit étant indifférent à toute autre chose, alors jaillira l’intuition du Sens de la Réalité.

Toute connaissance est sans cause, sans support et fallacieuse par nature. Dans l’ordre de la Réalité absolue, cette connaissance n’appartient à personne. Quand on est ainsi totalement adonné à cette concentration. O Bien-aimée ! on devient Shiva.

Celui qui a pour propriété la Conscience réside dans tous les corps ; il n’y a nulle part de différenciation. Ayant alors réalisé que tout est fait de cette Conscience, il est l’homme qui a conquis le devenir.

Si l’on réussit à immobiliser l’intellect  alors qu’on est sous l’emprise du désir, de la colère, de l’avidité, de l’égarement, de l’orgueil, de l’envie, la Réalité de ces états subsiste seule.

Si l’on médite sur le cosmos en le considérant comme une fantasmagorie, une peinture ou un tourbillon et qu’on arrive à le percevoir tout entier comme tel, le bonheur surgira.

On ne doit pas fixer la pensée dans la douleur ni la gaspiller dans le bonheur, O Bhairavi ! Veuille connaître toute chose au milieu des extrêmes. Eh quoi ! la Réalité seule subsiste.

Après avoir rejeté son propre corps en réalisant : « je suis partout » d’une pensée ferme et d’une vision qu n’a égard à rien d’autre, on accède au bonheur.

La discrimination ou le désir, ne se trouve pas seulement en moi mais apparaît aussi partout, dans les jarres et autres objets. Réalisant cela, on devient omnipénétrant.

La perception du sujet et de l’objet est la même chez tous les êtres nantis d’un corps. Mais ce qui caractérise les yogin c’est leur attention ininterrompue à l’union du sujet et de l’objet.

Que même dans le corps d’autrui on saisisse la conscience comme dans le sien propre. Se désinteressant de tout ce qui concerne son corps, en quelques jours on devient omnipénétrant.

Ayant libéré l’esprit de tout support, qu’on cesse de penser selon une pensée dualisante. Alors, O femme aux yeux de gazelle ! l’état de Bhairava réside dans le fait que le Soi devient le Soi absolu.

Quand on se renforce dans la réalisation suivante : ‘Je possède les attributs de Shiva, je suis omniscient, tout-puissant et omnipénétrant ; je suis le Maître suprême et nul autre, on devient Shiva.

Comme les vagues surgissent de l’eau, les flammes du feu, les rayons du soleil, ainsi ces fluctuations de l’univers se sont différenciées à partir de moi, le Bhairava.

Lorsque, physiquement égaré, on a tourné de tous côtés et en tout hâte au point de tomber à terre d’épuisement; grâce à l’arrêt de l’effervescence produite par l’envahissement de l’énergie, la condition suprême  apparaît. Si l’on est privé de force ou de connaissance à l’égard des choses ou encore si la pensée se dissout dans l’extase, dès que prend fin l’effervescence produite par l’envahissement de l’énergie, la forme merveilleuse de Bhairava se révèle.

Écoute, O Déesse ! Je vais t’exposer tout entier cet enseignement traditionnel et mystique : il suffit que les yeux fixent sans cligner pour que ce produise aussitôt l’isolement.

S’étant bouché les oreilles ainsi que l’ouverture inférieure (anus), puis méditant sur la résonance sans consonne ni voyelle, qu’on entre dans l’éternel Brahman.

Se tenant au dessus d’un puits très profond, les yeux fixés sur le fond sans cligner, dès que l’intelligence intuitive du yogin est exempte de dualité conceptuelle, aussitôt la dissolution de la pensée se produira clairement en lui.

Partout où  va la pensée, vers l’extérieur ou encore vers l’intérieur, O Bien-aimée ! là se trouve l’état shivaïte ; celui-ci étant omnipénétrant, où donc la pensée pourrait-elle aller pour lui échapper.

Chaque fois que par l’intermédiaire des organes sensoriels, la conscience de l’omniprésent se révèle, puisqu’elle a pour nature fondamentale de n’être que cela, à savoir pure conscience, grâce à l’absorption dans la Conscience absolue, on accède à l’essence de la plénitude.

Au commencement et à la fin de l’éternuement, dans la terreur et l’anxiété ou quand on surplombe un précipice, lorsque’on fuit le champ de bataille, au moment où l’on ressent une vive curiosité, au stade initial ou final de la faim, etc ... la condition faite d’existence brahmique se révèle.

A la vue d’un certain lieu, qu’on laisse  aller sa pensée vers des objets dont on se souvient. Dès qu’on prive son corps de tout support, le Souverain omniprésent s’avance.

Après avoir posé le regard sur un objet quelconque, qu’on l’en retire très lentement. Alors la connaissance de cet objet n’est accompagné que de pensée, O Déesse, et l’on devient le réceptacle du vide.

Cette sorte d’intuition qui, grâce à l’intensité de l’adoration, naît chez l’homme parvenu au parfait détachement, c’est l’énergie même du Bienfaisant. Qu’on l’évoque perpétuellement et l’on s’identifiera à Shiva.

Alors qu’on perçoit un objet déterminé, la vacuité s’établit peu à peu à l’égard des autres objets. Ayant médité en pensée sur cette vacuité même, bien que l’objet reste connu, on s’apaise.

Cette pureté qu’enseignent les gens de peu de savoir, apparaît dans la doctrine de Shiva comme une véritable impureté. Il ne faut pas la considérer comme pure, en vérité, mais comme polluée. C’est pourquoi s’affranchissant de pensée dualisante, qu’on parvienne au bonheur.

La réalité de Bhairava a partout son domaine y compris chez les gens  du commun. Et l’homme qui prend conscience de ceci : « rien n’existe qui en soit distinct », accède à la condition Sans-second.

Étant le même à l’égard d’amis et d’ennemis, le même dans l’honneur et le déshonneur ; grâce à la parfaite plénitude du brahman, ayant compris cela, qu’on soit heureux.

L’inconnaissable, l’insaisissable, le vide et ce qui n’accèdera jamais à l’existence, imaginez tout cela comme Bhairava et à la fin de cette évocation, l’illumination se produit.

Ayant fixé la pensée sur l’espace externe qui est éternel, sans support, vide, omnipénétrant et dépourvu d’opération, qu’on se fonde alors dans le non-espace.

Quel que soit l’objet vers lequel la pensée se dirige, il faut à cet instant précis et à l’aide de cette pensée quitter l’objet complètement sans laisser un autre s’installer à la place. Alors on sera exempt de fluctuation.

Étymologie fantaisiste de Bhairava :
Au moyen de ‘bhâ’, la lumière consciente, tout résonne (rava).
‘Sarvadah’ : il donne toute chose, (da = Râ),  
il pénètre dans tout l’univers (vyâpaka = Vâ).

Il est à noter une autre étymologie donnée par Jean Papin :
Bha = Bharana ou maintient de l’ordre cosmique.
Ra = Ravana ou résorption des mondes
Va = Vamana ou vomissement, émanation des mondes.
(Dans les deux cas :) Ainsi par la récitation ininterrompue du mot Bhairava, on devient Shiva.

A l’occasion d’affirmations comme ‘je suis, ceci est à moi’, etc., la pensée accède à ce qui n’a pas de fondement. Sous l’aiguillon d’une telle méditation, on s’apaise.

Éternel, omniprésent, sans support, omnipénétrant, souverain de tout ce qui est. Méditant à chaque instant sur ces mots, on en réalise la signification conformément à l’objet signifié (Shiva).

Tout cet univers est privé de réalité à l’image d’un spectacle fictif. Quelle est la réalité d’un tel spectacle ? Si l’on est fermement convaincu de cette vérité, on acquiert la paix. Comment y aurait-il connaissance ou activité pour un Soi affranchi de toute modalité ? Les objets externes dépendent de la connaissance et partant de là, ce monde est vide.

Il n’existe plus pour moi de lieu, il n’y a plus pour moi de libération. Lien et libération ne sont que deux épouventails à l’usage d’un être terrifié. Cet univers apparaît comme un reflet dans l’intellect à l’image du soleil sur l’eau.

Toute impression comme le plaisir, la douleur, etc .. nous parvient par l’intermédiaire des organes sensoriels. S’étant détaché de ces organes, on prend assise en soi-même, puis on demeure à jamais dans son propre Soi.

Toute chose se manifeste par la Connaissance et le Soi se manifeste par toute chose. En raison de leur essence unique, connaissance et connu se révèlent comme ne faisant qu’un.

Faculté mentale, conscience intériorisée, énergie du souffle, et soi  limité aussi ; quand ce quatuor a complètement disparu. O Bien-aimée ! alors la forme merveilleuse de ce Bhairava subsiste seule.

Ainsi 112 instructions concernant le sans-houle viennent d’être brièvement exposées. O Déesse ! l’homme qui les connaît reçoit le nom de ‘familier de la connaissance’. Quiconque s’adonne à une seule de ces instructions ici décrites devient lui-même Bhairava en personne. Ses paroles se réalisent en actes et il confère bénédictions et malédictions.

O Déesse ! il ne vieillit pas, il ne meurt pas; il est doué d’attributs supranaturels comme les pouvoirs d’exiguïté et autres. Choyé des yoginis, il agit en maître au cours de toutes leurs réunions. Il est libéré bien qu’il demeure encore en cette vie et bien qu’il s’adonne à des activités ordinaires.

La déesse dit :

O Seigneur tout-puissant, si telle est la forme merveilleuse de la suprême énergie et qu’on la prenne comme règle génrale, O Dieu ! qui récite et quelle est la récitation ? Qui médite, O grand Maître ! qui adore et qui tire satisfaction de l’adoration ? Qui offre l’oblation et quel est le sacrifice, qui le fait et comment et pour qui ?

Bhairava répond :

O femme aux yeux de gazelle ! cette pratique ici mentionnée est extérieure et ne relève que des seules modalités grossières. En vérité cette Réalisation qu’on expérimente encore et encore à l’intérieur de la suprême réalité, voilà ce qu’est ici la véritable récitation. De même, on doit considérer ce qui est récité comme une résonance spontanée consistant en une formule mystique.

Un intellect inébranlable, sans aspects ni fondements, voici, en vérité ce que nous appelons méditation. Mais la représentation imagée de divinités nanties de corps, organes, visages, mains, etc. n’offre rien de commun avec la vraie méditation.

L’adoration véritable ne consiste pas en une offrande de fleurs et autres dons, mais en une intelligence intuitive bien établie dans le suprême firmament de la Conscience, exempt de pensée dualisante. En vérité, cette adoration se confond avec l’absorption en Shiva issue de l’ardeur mystique.

Le Soi, en vérité  a pour moelle autonomie, félicité et Conscience. Si l’on plonge intégralement son propre soi dans cette essence, c’est là ce qu’on appelle le ‘bain rituel’.

Le transcendant et l’immanent que l’on honore précisément avec des offrandes et qui en tirent satisfaction ; celui  aussi qui les offre; tous ne forment qu’un. Où est l’adoration véritable, sinon là ?

Que le souffle exhalé sorte et que le souffle inhalé entre, de leur propre accord. La Kundalini dont l’aspect est sinueux retrouve son essence dressée. C’est la grande Déesse immanente et transcendante, le suprême Sanctuaire.

Lorsqu’on prend de fermes assises dans le rite de la grande félicité et qu’on suit attentivement la montée de cette énergie, grâce à cette Déesse, étant bien absorbé en elle, on atteindra le suprême Bhairava.

En émettant le phonème SA, il se dirige vers l’extérieur par le souffle, en énonçant le phonème HA, il entre à nouveau. C’est ainsi que l’individu répète inlassablement cette formule hamsa, hamsa. 21600 fois jour et nuit, cette récitation est prescrite comme celle de la suprême Déesse. Très facile à accomplir, elle n’apparaît difficile qu’aux ignorants.

O Déesse ! je viens ainsi de t’exposer cette suprême ambroisie que rien ne surpasse, mais qu’il ne faut jamais révéler à quiconque est disciple d’un autre ordre, est un méchant, un cruel, ou manque de dévotion envers le Maître spirituel. Par contre, qu’on la dévoile, aux intelligences intuitives que n’effleure jamais aucun doute, aux héros, aux magnanimes, à tous ceux qui vénèrent la lignée des Maîtres. A tous ceux-là, qu’on dispense sans hésiter. O belle aux yeux de gazelle ! village, royaume, ville, pays, fils, parent, tout ce dont on peut s’emparer, il faudra l’abandonner complètement ! A quoi bon ces choses évanescentes, O Déesse, seul ce suprême trésor est permanent !

O Dieu des dieux, grand Dieu ! me voici parfaitement satisfaite, O Seigneur ! Maintenant j’ai reconnu avec certitude la quintessence du Rudrayâmalatantra et maintenant aussi j’ai perçu intuitivement le Cœur de toutes les énergies différenciées.

Après avoir proféré ces paroles, la Déesse, pleine de béatitude, tenant Shiva embrassé, s’identifia à Lui.


Traduction Lilian Silburn
(chargée de recherches au CNRS,
membre du collège France,
Publications de l’institut de civilisation Indienne
Paris 1983)
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- Livre de l’Evangile selon Thomas -

Livre de l’Evangile selon Thomas, ou évangile de saint Thomas,
évangile extrait de l’un des 55 traités Coptes, découverts en 1945, en Haute-Egypte, à Nag Hammadi.
Evangile gnostique, et parce que véritablement apocryphe, évangile dit interdit.


ÉVANGILE SELON THOMAS

1 Voici les paroles cachées
2 que Jésus le Vivant a dites
3 et qu’a transcrites Didyme Judas Thomas.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 1.

1 Et il a dit :
2 Celui qui trouvera l’interprétation de ces paroles
3 ne goûtera pas de la mort.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 2.

1 Jésus a dit :
3 Que celui qui chercher ne cesse de chercher
3 jusqu’à ce qu’il trouve ;
4 et quand il aura trouvé,
5 il sera bouleversé
6 et, étant bouleversé,
7 il sera émerveillé,
8 et il régnera sur le Tout.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 3.

1 Jésus a dit :
2 Si ceux qui vous guident vous disent :
3 voici, le Royaume est dans le ciel,
4 alors les oiseaux du ciel vous devanceront ;
5 s’ils vous disent qu’il est dans la mer,
6 alors les poissons vous devanceront.
7 Mais le Royaume, il est le dedans
8 et il est le dehors de vous.
9 Quand vous vous serez connu,
10 alors vous serez connu
11 et vous saurez que c’est vous
12 les fils du Père Vivant.
13 Mais s’il vous arrive de ne pas vous connaître,
14 alors vous êtes dans la pauvreté,
15 et c’est vous la pauvreté.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 4.

1 Jésus a dit :
2 L’homme vieux dans ses jours n’hésitera pas
3 à interroger un tout petit enfant de sept jours
4 au sujet du lieu de la Vie,
5 et il vivra,
6 parce que beaucoup de premiers se feront derniers,
7 et ils seront Un.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 5.

1 Jésus a dit :
2 Connais Celui qui est devant ton visage,
3 et ce qui t’est caché te sera dévoilé :
4 car il n’y a rien de caché qui ne se manifestera.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 6.

1 Ses disciples l’interrogèrent et lui dirent :
2 Veux-tu que nous jeûnions ?
3 Comment prierons-nous ?
4 Comment donnerons-nous l’aumône ?
5 Et qu’observerons-nous en matière de nourriture ?
6 Jésus dit :
7 Ne dites pas de mensonge,
8 et, ce que vous récusez, ne le faites pas,
9 parce que tout est dévoilé à la face du ciel.
10 Il n’y a en effet rien de caché qui ne se manifestera,
11 et il n’y a rien de recouvert
12 qui restera sans être dévoilé.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 7.

1 Jésus a dit :
2 Heureux est le lion que l’homme mangera,
2 et le lion sera homme ;
4 et souillé est l’homme que le lion mangera,
5 et le lion sera homme.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 8.

1 Et il a dit :
2 L’homme est comparable à un pêcheur avisé
3 qui avait jeté son filet à la mer ;
4 il le retira de la mer plein de petits poissons.
5 Parmi eux,
6 le pêcheur avisé trouva un gros et bon poisson.
7 Il rejeta tous les petits poissons au fond de la mer,
8 il choisit le plus gros poisson sans peine.
9 Que celui qui a des oreilles pour entendre entende !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 9.

1 Jésus a dit :
2 Voici que le semeur sortit.
3 Il remplit sa paume, il jeta.
4 Quelques graines en fait tombèrent sur le chemin ;
5 les oiseaux vinrent, ils les picorèrent.
6 D’autres tombèrent sur la rocaille
7 et ne prirent pas racine dans la terre
8 ni ne firent lever d’épis vers le ciel.
9 Et d’autres tombèrent sur les épines ;
10 elles étouffèrent la semence
11 et le ver la mangea.
12 Et d’autres tombèrent sur la bonne terre ;
13 elle donna un bon fruit vers le ciel :
14 il en vint soixante par mesure
15 et cent vingt par mesure.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 10.

1 Jésus a dit :
2 J’ai jeté le feu sur le monde,
3 et voici que je le préserve
4 jusqu’à ce qu’il embrase.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 11.

1 Jésus a dit :
2 Ce ciel passera,
3 et celui qui est au-dessus de lui passera,
4 et ceux qui sont morts ne vivent pas,
5 et les vivants ne mourront pas.
6 Les jours où vous mangiez ce qui est mort,
7 vous en faisiez du vivant.
8 Quand vous serez dans la lumière,
9 que ferez-vous !
10 Au temps où vous étiez Un,
11 Vous avez fait le deux ;
12 mais alors étant deux,
13 que ferez-vous ?

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 12.

1 Les disciples dirent à Jésus :
2 Nous savons que tu nous quitteras :
3 qui se fera grand sur nous ?
4 Jésus leur dit :
5 Au point où vous en serez,
6 vous irez vers Jacques le juste :
7 ce qui est du ciel et de la terre lui revient.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 13.

1 Jésus a dit à ses disciples :
2 Comparez-moi,
3 dites-moi à qui je ressemble,
4 Simon Pierre lui dit :
5 Tu ressembles à un ange juste.
6 Matthieu lui dit :
7 tu ressembles à un philosophe sage.
8 Thomas lui dit :
9 Maître, ma bouche n’acceptera absolument pas
10 que je dise à qui tu ressembles.
11 Jésus dit :
12 Je ne suis pas ton Maître,
13 car tu as bu,
14 tu t’es enivré à la source bouillonnante
15 que moi, j’ai mesurée.
16 Et il le prit,
17 il se retira, il lui dit trois mots.
18 Or, quand Thomas revint cers ses compagnons,
19 ceux-ci l’interrogèrent :
20 Que t’a dit Jésus ?
21 Thomas leur dit :
22 Si je vous disais une des paroles qu’il m’a dites,
23 vous prendriez des pierres,
24 vous les jetteriez contre moi ;
25 et le feu sortirait des pierres
26 et elles vous brûleraient.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 14.

1 Jésus leur a dit :
1 Si vous jeûnez,
3 vous causerez une faute à vous-mêmes,
4 et si vous priez,
5 vous serez condamnés,
6 et si vous donnez l’aumône,
7 vous ferez du mal à vos esprits ;
8 et si vous allez dans quelque pays
9 et que vous marchiez dans les contrées,
10 si l’on vous accueille,
11 mangez ce que l’on mettra devant vous,
12 soignez ceux qui parmi eux sont malades.
13 Car ce qui entrera dans votre bouche
14 ne vous souillera pas,
15 mais ce qui sortira de votre bouche,
16 c’est cela qui vous souillera.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 15.

1 Jésus a dit :
2 Quand vous verrez
3 Celui qui n’a pas été engendré de la femme,
4 prosternez-vous sur votre visage,
5 et adorez-le :
6 c’est celui-là, votre Père.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 16.

1 Jésus a dit :
2 Sans doute les hommes pensent-ils
3 que je suis venu jeter la paix sur le monde,
4 et ils ne savent pas
5 que je suis venu jeter des divisions sur la terre,
6 le feu, l’épée, la guerre.
7 Car il y en aura cinq dans une maison,
8 trois seront contre deux
9 et deux contre trois,
10 le père contre le fils,
11 et le fils contre le père,
12 et, debout, ils seront monakhos.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 17.

1 Jésus a dit :
2 Je vous donnerai ce que l’oeil n’a pas vu,
3 et ce que l’oreille n’a pas entendu,
4 et ce que la main n’a pas touché,
5 et ce qui n’est pas monté au coeur de l’homme.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 18.

1 Les disciples dirent à Jésus :
2 Dis-nous comment sera notre fin.
3 Jésus dit :
4 Avez-vous donc dévoilé le commencement
5 pour que vous cherchiez la fin ?
6 Car là où est le commencement,
7 là sera la fin.
8 Heureux celui qui se tiendra dans le commencement,
9 et il connaîtra la fin,
10 et il ne goûtera pas de la mort.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 19.

1 Jésus a dit :
2 Heureux celui qui était déjà
3 avant d’exister.
4 Si vous êtes mes disciples
5 et entendez les paroles,
6 ces pierres vous serviront.
7 Vous avez en effet cinq arbres dans le paradis
8 qui ne bougent ni été ni hiver
9 et leurs feuilles ne tombent pas.
10 Celui qui les connaîtra
11 ne goûtera pas de la mort.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 20.

1 Les disciples dirent à Jésus :
2 Dis-nous à quoi le royaume des cieux est comparable.
3 Il leur dit :
4 Il est comparable à un grain de moutarde,
5 la plus petite de toutes les semences ;
6 mais quand il tombe en terre travaillée,
7 elle donne une grande tige
8 qui est un abri pour les oiseaux du ciel.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 21.

1 Mariam dit à Jésus :
2 A qui tes disciples ressemblent-ils ?
3 Il dit :
4 Ils ressemblent à des petits enfants
5 installés dans un champ
6 qui n’est pas à eux.
7 Quand viendront les maîtres du champ,
8 ils diront :
9 laissez-notre champ !
10 Eux, ils se dévêtent en leur présence
11 pour leur laisser
12 et leur donner le champ.
13 C’est pourquoi je dis :
14 Si le maître de maison sait
15 que le voleur vient,
16 il veillera avant qu’il n’arrive
17 et il ne le laissera pas
18 percer un trou dans la maison de son royaume
19 pour en emporter les affaires.
20 Quant à vous, veillez en face du monde,
21 prenez appui sur vos reins de toutes vos forces
22 de peur que les pillards ne trouvent un chemin
23 pour venir vers vous.
24 Car le profit que vous guettez,
25 ils le trouveront.
26 Qu’il y ait au centre de vous-mêmes
27 un homme averti !
28 Le fruit étant mûr,
29 il est venu en bâte, sa faucille à la main,
30 il l’a cueilli.
31 que celui qui a des oreilles pour entendre entende !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 22.

1 Jésus vit des petits qui tétaient.
2 Il dit à ses disciples :
3 Ces petits qui tètent sont comparables
4 à ceux qui vont dans le Royaume.
5 Il lui dirent :
6 Alors, en étant petits,
7 irons-nous dans le Royaume ?
8 Jésus leur dit :
9 Quand vous ferez le deux Un,
10 et le dedans comme le dehors,
11 et le dehors comme le dedans,
12 et le haut comme le bas,
13 afin de faire le mâle et la femelle
14 en un seul
15 pour que le mâle ne se fasse pas mâle
16 et que la femelle ne se fasse pas femelle,
17 quand vous ferez des yeux à la place d’un oeil,
29 et une main à la place d’une main,
19 et un pied à la place d’un pied,
20 et une image à la place d’une image,
21 alors vous irez dans le Royaume.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 23.

1 Jésus a dit :
2 Je vous choisirai entre mille
3 et deux entre dix mille
4 et, debout, ils seront Un.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 24.

1 Ses disciples dirent :
3 Renseigne-nous sur le lieu où tu es,
3 car il est nécessaire que nous le cherchions.
4 il leur dit :
5 Que celui qui a des oreilles entende !
6 Il y a de la lumière
7 au dedans d’un être lumineux,
8 et il illumine le monde entier.
9 S’il n’illumine pas,
10 il est ténèbres.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 25.

1 Jésus dit :
2 aime ton frère comme ton âme ;
3 veille sur lui
4 comme sur la prunelle de ton oeil.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 26.

Jésus a dit :
2 Le brin de paille qui est dans l’oeil de ton frère,
3 tu le vois,
4 mais la poutre qui est dans ton oeil,
5 tu ne la vois pas.
6 Quand tu auras rejeté la poutre de ton oeil,
7 alors tu verras clair
8 pour rejeter le brin de paille de l’oeil de ton frère.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 27.

1 Si vous ne jeûnez pas au monde,
2 vous ne trouverez pas la Royaume ;
3 si vous ne faites pas du sabbat le sabbat,
4 vous ne verrez pas le Père.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 28.

1 Jésus a dit :
2 Je me suis tenu au milieu du monde
3 et je me suis manifesté à eux dans la chair.
4 Je les ai trouvés tous ivres ;
5 je n’ai trouvé parmi eux personne qui eût soif,
6 et mon âme a souffert pour les fils des hommes
7 parce qu’ils sont aveugles dans leur coeur
8 et ne voient pas
9 qu’ils sont venus au monde vides
10 et en sont même à tenter de repartir vides.
11 Mais voilà, maintenant ils sont ivres.
12 Quand ils auront rejeté leur vin,
13 alors ils changeront de mentalité.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 29.

1 Jésus a dit :
2 Si la chair a été à cause de l’esprit,
3 c’est une merveille ;
4 mais si l’esprit a été à cause du corps,
5 c’est une merveille de merveilles.
6 Mais moi, je m’émerveille de ceci :
7 comment cette grande richesse
8 a habité cette pauvreté.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 30.

1 Jésus a dit :
2 Là où il y a trois dieux,
3 ce sont des dieux ;
4 là où il y a deux ou un,
5 moi, je suis avec lui.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 31.

1 Jésus a dit :
2 Aucun prophète n’est accepté dans son village ;
3 un médecin ne soigne pas ceux qui le connaissent.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 32.

1 Jésus a dit :
2 Une ville qui est construite sur un mont élevé
3 et qui est forte
4 ne peut pas tomber
5 ni ne pourra être cachée.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 33.

1 Jésus a dit :
2 Ce que tu entendras d’une oreille,
3 de l’autre oreille
4 proclame-le sur vos toits.
5 Car personne n’allume une lampe
6 et ne la met sous le boisseau
7 ni ne la met dans un endroit caché,
8 mais il la met sur le lampadaire
9 afin que tous ceux qui vont et viennent
10 voient sa lumière.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 34.

1 Jésus a dit :
2 Si un aveugle guide un aveugle,
3 ils tombent tous deux au fond d’une fosse.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 35.

1 Jésus a dit :
2 Il n’est pas possible
3 que quelqu’un entre dans la maison du fort
4 et la prenne de force
5 à moins qu’il ne lui lie les mains :
6 alors il bouleversera sa maison.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 36.

1 Jésus a dit :
2 Ne vous souciez pas, du matin au soir
3 et du soir au matin,
4 de ce que vous revêtirez.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 37.

1 Ses disciples dirent :
2 Quel jour te manifesteras-tu à nous ?
4 Jésus dit :
5 Lorsque vous vous dépouillerez de votre honte
6 et prendrez vos vêtements,
7 les déposerez à vos pieds
8 comme les tout petits enfants,
9 les piétinerez,
10 alors vous verrez le Fils
11 de Celui qui est vivant
12 et vous n’aurez pas peur.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 38.

1 Jésus a dit :
2 bien des fois vous avez désiré entendre ces paroles
3 que je vous dis,
4 et vous n’avez personne d’autre
5 de qui les entendre.
6 Il y aura des jours
7 où vous me chercherez
8 et ne me trouverez pas.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 39.

1 Jésus a dit :
2 Les pharisiens et les scribes
3 ont pris les clefs de la gnose
4 et ils les ont cachées.
5 Ils ne sont pas entrés,
6 et ceux qui voulaient entrer,
7 ils ne les ont pas laissé faire.
8 Mais vous, soyez prudents comme les serpents
9 et purs comme les colombes.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 40.

1 Jésus a dit :
2 Un cep de vigne a été planté en dehors du Père
3 et, comme il n’est pas fort,
4 il sera extirpé avec sa racine,
5 et il périra.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 41.

1 Jésus a dit :
2 A celui qui a dans sa main,
3 on donnera ;
4 et à celui qui n’a pas,
5 même le peu qu’il a,
6 on le prendra.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 42.

1 Jésus a dit :
2 Soyez passants.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 43.

1 Ses disciples lui dirent :
2 Qui es-tu, toi qui nous dis de telles choses ?
3 - Par les choses que je vous dis,
4 ne savez-vous pas qui je suis ?
5 Mais vous, vous êtes comme les juifs :
6 ils aiment l’arbre,
7 ils détestent le fruit ;
8 ils aiment le fruit,
9 ils détestent l’arbre.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 44.

1 Jésus a dit :
2 A celui qui blasphème contre le Père,
3 on pardonnera,
4 et à celui qui blasphème contre le Fils,
5 on pardonnera,
6 mais à celui qui blasphème contre l’Esprit pur,
7 on ne pardonnera ni sur la terre ni au ciel.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 45.

1 Jésus a dit :
2 On ne récolte pas de raisin sur les épines
3 et on ne cueille pas de figues sur les chardons,
4 car ils ne donnent pas de fruit.
5 Un homme bon produit du bon de son trésor,
6 un homme mauvais produit du mauvais
7 du trésor mauvais
8 qui est dans son coeur,
9 et il dit des choses mauvaises :
10 car de l’abondance du coeur
11 il produit du mauvais.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 46.

1 Jésus a dit :
2 Depuis Adam jusqu’à Jean le Baptiste,
3 parmi ceux qui sont enfantés des femmes,
4 aucun ne surpasse Jean le Baptiste,
5 si bien que ses yeux ne seront pas détruits ;
6 mais j’ai dit :
7 Celui qui parmi vous sera petit
8 connaîtra le Royaume
9 et surpassera Jean.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 47.

1 Jésus a dit :
2 Il n’est pas possible
3 qu’un homme monte deux chevaux,
4 qu’il bande deux arcs ;
5 et il n’est pas possible
6 qu’un serviteur serve deux maîtres,
7 sinon il honorera l’un
8 et il outragera l’autre.
9 Jamais homme ne boit du vin vieux
10 et ne désire aussitôt boire du vin nouveau.
11 Et l’on de verse pas du vin nouveau
12 dans de vieilles outres,
13 de peur qu’elles n’éclatent ;
14 et l’on ne verse pas de vin vieux
15 dans une outre neuve,
16 de peur qu’elle ne le gâte.
17 On ne coud pas une vieille pièce
18 à un vêtement neuf,
19 car cela se déchirerait.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 48.

1 Jésus a dit :
2 Si deux font la paix entre eux
3 dans cette même maison,
4 ils diront à la montagne :
5 éloigne-toi,
6 et elle s’éloignera.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 49.

1 Jésus a dit :
2 Heureux êtes-vous, monakhos, élus,
3 parce que vous trouverez le Royaume.
4 Comme vous êtes issus de Lui,
5 vous y retournerez.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 50.

1 Jésus a dit :
2 Si les gens vous disent :
3 d’où êtes-vous ?
4 dites-leur :
5 Nous sommes venus de la lumière,
6 là où la lumière est née
7 d’elle-même.
8 Elle s’est levée
9 et manifestée dans leur image.
10 S’ils disent :
11 qui êtes-vous ?
12 dites :
13 Nous sommes ses fils
14 et nous sommes les élus du Père le Vivant.
15 S’ils vous demandent :
16 quel est le signe de votre Père qui est en vous ?
17 dites-leur :
18 C’est un mouvement au repos.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 51.

1 Ses disciples lui dirent :
2 Quel jour
3 le repos de ceux qui sont morts viendra-t-il ?
4 Et quel jour
5 le monde nouveau viendra-t-il ?
6 Il leur dit :
7 Ce que vous attendez est venu,
8 mais vous, vous ne le connaissez pas.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 52.

1 Ses disciples lui dirent :
2 vingt-quatre prophètes ont parlé en Israël
3 et tous ont parlé par toi.
4 Il leur dit :
5 Vous avez délaissé Celui qui est vivant devant vous
6 et vous avez parlé des morts.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 53.

1 Ses disciples lui dirent :
2 la circoncision est-elle utile ou non ?
3 il leur dit :
4 Si elle était utile,
5 leur père les engendrerait circoncis de leur mère.
6 Mais la circoncision véritable, en esprit,
7 a trouvé un profit total.

Livre de l’Evangile selon Thomas -Loggion 54.

1 Jésus a dit :
2 Heureux êtes-vous, les pauvres,
3 parce que vôtre est le royaume des cieux.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 55.

1 Jésus a dit :
2 Celui qui ne récuse son père et sa mère
3 ne pourra se faire mon disciple ;
4 et celui qui ne récuse ses frères et soeurs
5 et ne porte sa croix comme je la porte
6 ne sera pas digne de moi.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 56.

1 Jésus a dit :
2 Celui qui a connu le monde
3 a trouvé un cadavre ;
4 et celui qui a trouvé un cadavre,
5 le monde n’est pas digne de lui.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 57.

1 Jésus a dit :
2 Le royaume du Père est comparable à un homme
3 qui avait une bonne semence.
4 Son ennemi vint la nuit,
5 il sema de l’ivraie parmi la bonne semence.
6 L’homme ne les laissa pas arracher l’ivraie,
7 de peur, leur dit-il, que vous n’alliez en disant :
8 nous arracherons l’ivraie,
9 et que vous n’arrachiez le blé avec elle.
10 En effet, au jour de la moisson,
11 l’ivraie apparaîtra ;
12 on l’arrachera et on la brûlera.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 58.

1 Jésus a dit :
2 Heureux l’homme qui a connu l’épreuve :
3 il a trouvé la Vie.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 59.

1 Jésus a dit :
2 Regardez vers Celui qui est vivant
3 tant que vous vivrez,
4 de peur que vous ne mouriez
5 et ne cherchiez à le voir ;
6 et ne pourrez pas le voir.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 60.

1 Ils virent un Samaritain
2 qui, portant un anneau,
3 allait en Judée.
4 Il dit à ses disciples :
5 Que va-t-il faire de l’agneau ?
6 Ils lui dirent :
7 Le tuer et le manger.
8 Il leur dit :
9 tant qu’il est vivant,
10 il ne le mangera pas,
11 à moins qu’il ne le tue
12 et qu’il ne soit cadavre.
13 Ils dirent :
14 autrement, il ne pourra pas le faire.
15 Il leur dit :
16 Vous-mêmes, cherchez un lieu pour vous
17 dans le repos,
18 de peur que vous ne soyez cadavres
19 et ne soyez mangés.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 61.

1 Jésus a dit :
2 Deux se reposeront sur un lit :
3 l’un mourra, l’autre vivra.
4 Salomé dit :
5 Qui es-tu homme ?
6 Est-ce en tant qu’issu de l’Un
7 que tu es monté sur mon lit
8 et que tu as mangé à ma table ?
9 Jésus dit :
10 Le suis Celui qui est,
11 issu de Celui qui est égal ;
12 il m’a été donné ce qui vient de mon Père.
13 - Je suis ta disciple.
14 - A cause de cela je dis :
15 Quand le disciple est désert
16 il sera rempli de lumière ;
17 mais quand il est partagé,
18 il sera rempli de ténèbres.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 62.

1 Jésus a dit :
2 Je dis mes mystères
3 â ceux qui sont dignes de mes mystères.
4 Ce que ta main droite fera,
5 que ta main gauche ne sache pas
6 ce qu’elle fait.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 63.

1 Jésus a dit :
2 Il y avait un homme riche
3 qui avait une grande fortune.
4 Il dit :
5 j’emploierai ma fortune
6 à semer, moissonner, planter,
7 remplir mes greniers de grains
8 afin que je ne manque de rien.
9 Voilà ce qu’il pensait dans son coeur ;
10 et la nuit même il mourut.
11 Que celui qui a des oreilles entende !


Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 64.

1 Jésus a dit :
2 Un homme avait des hôtes,
3 et, après avoir préparé le repas,
4 il envoya son serviteur pour convier les hôtes.
5 Il alla vers le premier
6 et lui dit :
7 Mon maître te convie.
8 Celui-ci dit :
9 J’ai de l’argent pour des marchands ;
10 ils viennent chez moi ce soir,
11 je vais leur donner des ordres.
12 Je m’excuse pour le repas.
13 Il alla vers un autre
14 et lui dit :
15 Mon maître te convie.
16 Celui-ci lui dit :
17 J’ai acheté une maison et on me demande un jour.
18 Je ne serai pas disponible.
19 Il vint vers un autre
20 et lui dit :
21 Mon maître te convie.
22 Celui-ci lui dit :
23 Mon ami va se marier
24 et c’est moi qui ferai le repas ;
25 je ne pourrai pas venir.
26 Je m’excuse pour le repas.
27 Il alla vers un autre
28 et lui dit :
29 Mon maître te convie.
30 Celui-ci lui dit :
31 J’ai acheté une ferme,
32 je vais percevoir les redevances ;
33 je ne pourrai pas venir.
34 Je m’excuse.
35 Le serviteur revint ;
36 Il dit à son maître :
37 Ceux que lu as conviés au repas se sont excusés.
38 Le maître dit à son serviteur :
39 Va sur les chemins ;
40 ceux que tu trouveras,
41 amène-les pour prendre le repas.
42 Les acheteurs et les marchands
43 n’entreront pas
44 dans les lieux de mon Père.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 65.

1 Il a dit :
2 Un homme fortuné avait une vigne.
3 Il la donna à des cultivateurs
4 pour la travailler
5 et pour en recevoir le fruit de leurs mains.
6 Il envoya son serviteur
7 pour recevoir des cultivateurs
8 le fruit de la vigne.
9 Ils s’emparèrent de son serviteur,
10 ils le frappèrent ;
11 un peu plus, ils l’auraient tué.
12Leserviteur s’en alla.
13 Il le dit à son maître.
14 Son maître dit :
15 Peut-être ne les a-t-ilpasconnus.
16Il envoya un autreserviteur ;
17 les cultivateurs le frappèrent aussi.
18 Alors le maître envoya son fils ;
19 il dit :
20 Peut-être le respecteront-ils, mon fils.
21 Comme ces cultivateurs-là connaissaient
22 que c’était lui l’héritier de la vigne,
23 ils se saisirent de lui et le tuèrent.
24 Que celui qui a des oreilles entende !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 66.

1 Jésus a dit :
2 Montrez-moi la pierre
3 que les bâtisseurs ont rejetée :
4 c’est elle, la pierre d’angle.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 67.

1 Jésus a dit :
2 Celui qui connaît le Tout,
3 s’il est privé de lui-même,
4 est privé du Tout.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 68.

1 Jésus a dit :
2 Soyez heureux
3 quand on vous hait,
4 qu’on vous persécute,
5 et on ne trouvera nul lieu
6 à l’endroit même où l’on vous a persécutés !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 69.

1 Jésus a dit :
2 Heureux sont-ils,
3 ceux que l’on a persécutés dans leur coeur.
4 Ce sont ceux-là
5 qui ont connu le Père en vérité.
6 Heureux les affamés,
7 parce qu’on rassasiera le ventre de qui veut.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 70.

1 Jésus a dit :
2 Quand vous engendrerez cela en vous,
3 ceci qui est vôtre vous sauvera ;
4 si vous n’avez pas cela en vous,
5 ceci qui n’est pas vôtre en vous vous tuera.

Livre de l’Evangile selon Thomas -Loggion 71.

1 Jésus a dit :
2 Je renverserai cette maison,
3 et personne ne pourra la reconstruire.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 72.

1 Un homme lui dit. :
2 Parle à mes frères
3 afin qu’ils partagent les biens de mon père avec moi.
4 Il lui dit :
5 O homme, qui a fait de moi un partageur ?
6 Il se tourna vers ses disciples,
7 il leur dit :
8 Suis-je donc un partageur ?

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 73.

1 Jésus a dit :
2 La moisson, certes, est abondante,
3 mais les ouvriers sont rares.
4 Demandez donc au maître
5 d’envoyer des ouvriers à la moisson.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 74.

1 Il a dit :
2 Maître, il y en a beaucoup autour du puits,
3 mais personne dans le puits.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 75.

1 Jésus a dit :
2 Il y en a beaucoup
3 qui se tiennent près de la porte,
4 mais ce sont les monakhos
5 qui entreront dans le lieu du mariage.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 76.

1 Jésus a dit :
2 Le royaume du Père est comparable à un marchand
3 qui avait un ballot
4 au moment ou il trouva une perle.
5 Ce marchand-là, c’était un sage :
6 il vendit le ballot,
7 il s’acheta la perle unique.
8 Vous aussi, cherche-vous le trésor
9 qui ne périt pas,
10 qui demeure là
11 où la mite ne s’approche pas pour manger
12 et où le ver ne détruit pas.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 77.

1 Jésus a dit :
2 Je suis la lumière qui est sur eux tous.
3 Je suis le Tout.
4 Le Tout est sorti de moi,
5 et le Tout est parvenu à moi.
6 Fendez du bois, je suis là ;
7 levez la pierre,
8 vous me trouverez là.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 78.

1 Jésus a dit :
2 Pourquoi battez-vous la campagne ?
3 Pour voir un roseau agité par le vent
4 et pour voir un homme
5 ayant sur lui des vêtements délicats ?
6 Là sont vos rois et vos grands ;
7 ceux-là ont sur eux des vêtements délicats,
8 et ils ne pourront connaître la vérité.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 79.

1 Une femme dans la foule lui dit :
2 Bienheureux le ventre qui t’a porté
3 et les seins qui t’ont nourri !
4 Il lui dit :
5 Bienheureux ceux qui ont entendu le Verbe du Père,
6 l’ont gardé en vérité !
7 Car il y aura des jours où vous direz :
8 Bienheureux le ventre qui n’a pas conçu
9 et les seins qui n’ont pas donné de lait !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 80.

1 Jésus a dit :
2 Celui qui a connu le monde
3 a trouvé le corps ;
4 mais celui qui a trouvé le corps,
5 le monde n’est pas digne de lui.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 81.

1 Jésus a dit :
2 Celui qui s’est fait riche,
3 qu’il se fasse roi ;
4 et celui qui a le pouvoir,
5 qu’il renonce !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 82.

1 Jésus a dit :
2 Celui qui est près de moi est près de la flamme,
3 et celui qui est loin de moi est loin du Royaume.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 83.

1 Jésus a dit :
2 Les images se manifestent à l’homme
3 et la lumière qui est en elles est cachée.
4 Dans l’image de la lumière du Père,
5 elle se dévoilera
6 et son image sera cachée par sa lumière.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 84.

1 Jésus a dit :
2 Les jours où vous voyez votre reforme,
3 vous vous réjouissez.
4 Mais lorsque vous verrez vos modèles
5 qui au commencement étaient en vous,
6 qui ne meurent ni ne se manifestent,
7 ô combien supporterez-vous !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 85.

1 Jésus a dit :
2 Adam est issu d’une grande puissance
3 et d’une grande richesse,
4 et il n’a pas été digne de vous ;
5 car s’il avait été digne,
6 il n’aurait pas goûté de la mort.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 86.

1 Jésus a dit :
2 Les renards ont leurs tanières
3 et les oiseaux ont leur nid ;
4 mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit
5 où incliner sa tête et se reposer.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 87.

1 Jésus a dit :
2 Misérable est le corps qui dépend d’un corps,
3 et misérable est l’âme qui dépend de ces deux.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 88.

1 Jésus a dit :
2 Les anges viendront vers vous avec les prophètes
3 et ils vous donneront ce qui est vôtre.
4 Vous-mêmes, ce que vous avez en main,
5 donnez-le-leur
6 et dites-vous ceci :
7 quel jour viendront-ils
8 recevoir ce qui est leur ?

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 89.

1 Jésus a dit :
2 Pourquoi lavez-vous le dehors de la coupe ?
3 Ne comprenez-vous pas
4 que celui qui a créé le dedans
5 est aussi celui qui a créé le dehors ?

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 90.

1 Jésus a dit :
2 Venez à moi
3 parce que mon joug est bon
4 et douce mon autorité,
5 et vous trouverez pour vous le repos.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 91.

1 Ils lui dirent :
2 Dis-nous qui tu es,
3 afin que nous croyions en toi.
4 Il leur dit :
5 Vous sondez le visage du ciel et de la terre,
6 et Celui qui est devant vous,
7 vous ne le connaissez pas,
8 et ce moment-ci, vous ne savez pas l’apprécier.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 92.

1 Jésus a dit :
2 Cherchez et vous trouverez.
3 Mais ces choses
4 sur lesquelles vous m’avez interrogé en ces jours,
5 alors qu’en ce temps-là je ne vous les avais pas dites,
6 maintenant je tiens à les dire,
7 et vous ne les demandez pas.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 93.

1 Ne donnez pas ce qui est pur aux chiens,
2 de peur qu’ils ne le jettent au fumier.
3 Ne jetez pas les perles aux pourceaux,
4 de peur qu’ils n’en fassent des saletés.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 94.

1 Jésus a dit :
2 Celui qui cherche trouvera,
3 et à celui qui frappe, on ouvrira.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 95.

1 Jésus a dit :
2 Si vous avez de l’argent,
3 ne prêtez pas a usure,
4 mais donnez
5 à qui ne rendra pas.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 96.

1 Jésus a dit :
2 Le royaume du Père est comparable à une femme :
3 elle prit un peu de ferment,
4 le cacha dans de la pâte
5 et en fit de gros pains.
6 Que celui qui a des oreilles entende !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 97.

1 Jésus a dit :
2 Le royaume du Père est comparable à une femme
3 qui portait une cruche pleine de farine
4 et marchait sur un long chemin.
5 L’anse de la cruche se brisa,
6 la farine se déversa derrière elle sur le chemin.
7 Comme elle ne le savait pas,
8 elle ne put s’en affliger.
9 Rentrée à la maison,
10 elle posa la cruche à terre :
11 elle la trouva vide.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 98.

1 Jésus a dit :
2 Le royaume du Père est comparable à un homme
3 qui voulait tuer un grand personnage.
4 il dégaina l’épée dans sa maison
5 et transperça le mur
6 afin de savoir si sa main serait sûre.
7 Alors il tua le grand personnage.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 99.

1 Les disciples lui dirent :
2 Tes frères et ta mère se tiennent dehors.
3 Il leur dit :
4 Ceux qui en ces lieux font le vouloir de mon Père,
5 ce sont eux, mes frères et ma mère.
6 Ce sont eux
7 qui entreront dans le royaume de mon Père.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 100.

1 Ils montrèrent à Jésus une pièce d’or
2 et lui dirent :
3 Les agents de César exigent de nous des tributs.
4 Il leur dit :
5 Donnez à César ce qui est à César,
6 donnez à Dieu ce qui est à Dieu,
7 et ce qui est à moi, donnez-le-moi.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 101.

1 Celui qui ne récuse son père et sa mère
2 comme moi
3 ne pourra se faire mon disciple ;
4 et celui qui n’aime son Père et sa Mère
5 comme moi
6 ne pourra se faire mon disciple ;
7 Car ma mère m’a enfanté,
8 mais ma Mère véritable m’a donné la Vie.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 102.

1 Jésus a dit :
2 Pauvres d’eux, les pharisiens !
3 Ils ressemblent à un chien
4 couché dans la mangeoire des boeufs :
5 il ne mange
6 ni ne laisse les boeufs manger.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 103.

1 Jésus a dit :
2 Heureux l’homme qui sait
3 où et quand les pillards pénètrent ;
4 Si bien qu’il se dressera,
5 rassemblera sa force
6 et prendra appui sur ses reins
7 avant qu’ils ne s’introduisent.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 104.

1 Ils lui dirent :
2 Viens, prions aujourd’hui et jeûnons.
3 Jésus dit :
4 Quelle faute ai-je donc commise,
5 ou en quoi m’a-t-on soumis ?
6 Mais quand l’époux sort de la chambre nuptiale,
7 alors, qu’on jeûne et qu’on prie !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 105.

1 Jésus a dit :
2 Celui qui connaîtra le Père et la Mère,
3 l’appellera-t-on fils de prostituée ?

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 106.

1 Jésus a dit :
2 Quand vous ferez le deux Un,
3 vous serez Fils de l’homme,
4 et si vous dites :
5 montagne, éloigne-toi,
6 elle s’éloignera.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 107.

1 Jésus a dit :
2 Le Royaume est comparable à un berger
3 qui avait cent moutons.
4 L’un d’entre eux, le plus gros, disparut.
5 Il laissa les quatre-vingt-dix-neuf,
6 il chercha l’un
7 jusqu’à ce qu’il l’eut trouvé.
8 Après l’épreuve,
9 il dit au mouton :
10 je te veux plus que les quatre-vingt-dix-neuf !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 108.

1 Jésus a dit :
2 Celui qui boit à ma bouche
3 sera comme moi ;
4 moi aussi, je serai lui,
5 et ce qui est caché lui sera révélé.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 109.

1 Jésus a dit :
2 Le Royaume est comparable à un homme
3 qui avait dans son champ un trésor caché
4 qu’il ne connaissait pas.
5 Et à sa mort il le laissa à son fils.
6 Le fils ne savait pas ;
7 il prit ce champ
8 et le vendit.
9 Et celui qui l’avait acheté vint.
10 En labourant, il trouva le trésor
11 et commença à prêter de l’argent à usure
12 à qui il voulut.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 110.

1 Jésus a dit :
2 Celui qui a trouvé le monde
3 et s’est fait riche,
4 qu’il renonce au monde !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 111.

1 Jésus a dit :
2 Les cieux s’enrouleront ainsi que la terre
3 devant vous,
4 et le Vivant issu du Vivant
5 ne verra ni mort ni peur,
6 parce que Jésus dit :
7 Celui qui se trouve lui-même,
8 le monde n’est pas digne de lui.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 112.

1 Jésus a dit :
2 Misérable est la chair qui dépend de l’âme !
3 Misérable est l’âme qui dépend de la chair !

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 113.

1 Ses disciples lui dirent :
2 Le Royaume, quel jour viendra-t-il ?
3 - Ce n’est pas en guettant qu’on le verra arriver.
4 On ne dira pas :
5 voici, il est ici !
6 ou : voici, c’est le moment !
7 Mais le royaume du Père s’étend sur la terre
8 et les hommes ne le voient pas.

Livre de l’Evangile selon Thomas - Loggion 114.

1 Simon Pierre leur dit :
2 Que Mariam sorte de parmi nous,
3 parce que les femmes ne sont pas dignes de la Vie.
4 Jésus dit :
5 Voici que je l’attirerai
6 afin de la faire mâle,
7 pour qu’elle soit, elle aussi, un esprit vivant,
8 semblable à vous, les mâles.
9 Car toute femme qui se fera mâle
10 entrera dans le royaume des cieux.

1 commentaire:

  1. Ce blog est une mine d'or pour moi. Je goute toutes ces références avec une joie indicible.


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