Petit rappel au Soi
"Par orgueil je refusais le bonheur de l'amour. Et je subis le châtiment de l'orgueil" (Hallaj)
Avant de faire une expérience, quelle qu'elle soit, il est nécessaire d'être. Pour faire une expérience, comme celles (dans le désordre) de déguster un toast grillé au miel de lavande, tirer un pénalty sous la pluie en finale d'un tournoi de benjamins, donner naissance à un bébé toute seule sur le siège avant de sa voiture, caresser un chat angora ronronnant mélodieusement en son giron, se sentir amoureux pour la première fois, se faire tirer dessus par une kalachnikov à la terrasse d'un café ou se demander après une énième dispute conjugale si la vie vaut la peine d'être vécue, JE dois être présent à cette expérience, JE dois en être conscient, sinon je ne pourrais pas affirmer que je fais ou vis cette expérience.
Je peux affirmer que je suis malheureux, désespéré, chanceux, malchanceux, pas assez comme-ci, trop cela, content, rassuré, ennuyé, ceci ou cela. Bien sûr, mais avant d'être malheureux, triste ou désespéré, chanceux, malchanceux, content, rassuré, ennuyé, ceci ou cela, il faut déjà être ! JE SUIS avant d'être malheureux, désespéré, chanceux ou rassuré.
Avant que vous ne perceviez et lisiez ces lignes vous devez être en train d'être. Non ?
Avant que vous ne perceviez et lisiez ces lignes vous devez être en train d'être. Non ?
De même, pour que le monde m'apparaisse par le truchement des perceptions et donc des cinq sens, il faut que Je sois présent à ces perceptions, que j'en sois conscient. Je peux affirmer que la vie est merveilleuse ou injuste, que les gens sont surprenants ou bizarres, que l'avenir est rose ou morose, que la planète bleue est belle ou que nous sommes en train de la détruire, mais avant d'expérimenter, d'imaginer ou d'affirmer quoi que ce soit, il faut surtout que Je sois.
Pour que le corps m'apparaisse en tant que corps, il faut que Je sois présent aux sensations-perceptions et au schéma corporel (pensées) qui l'étiquettent comme corps et me le fassent expérimenter comme tel. Pour que le mental et son flux de pensées soient, Je dois en être conscient.
Ainsi, lorsque l'on prend quelques instants pour se rappeler à ce qui est évident mais que presque personne ne remarque jamais, il est évident, et ce même pour un enfant de sept ans, que le monde, le corps et le mental apparaissent et disparaissent au sein de cette Présence consciente que Je suis.
En gros - attention on va écrire quelque chose d'inadmissible pour la plupart des gens, bouchez donc vos oreilles ou fermez votre œil unique si cela est trop insupportable à lire et surtout à réaliser pour le moment :
"Pour que l'Univers soit, il faut que Je sois. JE précède l'Univers."
Réaliser cela n'est rien moins que de s'éveiller à la plénitude absolue d'être la cause ultime de tout ce qui est. Je suis la cause sans cause de tout ce qui est. En général, rares sont les êtres qui osent affirmer ce genre de choses. Car, à y regarder de près, cette sorte d'affirmation semble nous confondre avec quelqu'un d'autre dont on nous a bassiné plus ou moins pendant toute notre vie, quelqu'un de très très éloigné de nous, quelqu'un d'absolument étranger et totalement différent de nous. Quelqu'un dont la demeure est le Ciel et que l'on a affublé du nom de Dieu, mot aux étymologies très diverses selon les langues et qui suscite en général une impression de distance et de séparation absolues.
Or, réaliser que Je suis l'éternel Maintenant dans lequel tout apparaît et disparaît est l'Éveil à ma Réalité Ultime, immédiate, transcendante et immanente à la fois, paradoxale peut-être, et pourtant, si évidente que personne ou presque n'ose le réaliser. En réalité il n'y a jamais personne qui s'éveille : l'impression même d'être une personne ne fait en réalité qu'apparaître et disparaître au sein de ce Je présent et conscient qui précède toute chose. Ce n'est que lorsque le mirage du sentiment d'être une personne s'éclipse que l'évidence de ne rien être et de tout contenir nous submerge.
Je Suis - Être - est une non-expérience faite par personne. Contrairement à la croyance transparente de 99% des gens, Je n'a pas de caractère individuel ou personnel. Notre véritable Je n'a pas de substrat objectif. C'est un vécu ultime das lequel aucune division n'est ressentie. "Je Suis" sont en réalité deux mots qui pointent vers une réalisation totalement impersonnelle. On pourrait dire qu'Ici, Je et Suis sont en quelque sorte synonymes et pointent tous deux en tant que mots vers le même mystère, le même étonnement d'être. Je qui est en train d'être n'est pas un "je" séparé et enfermé dans un sac de peau à forme humaine, mais l'Être Suprême Lui-même (en personne, lol). La Présence consciente réalise sa propre présence consciente d'être consciente. Toute chose naît et meurt en ce Je. Rien ne peut exister en dehors de Lui.
Ce petit rappel à Soi qui consiste à réaliser que le fait d'être précède tous les attributs et que par conséquent le pur Je Suis, le sentiment étonnant d'être présent et conscient qui est lui-même sans attributs, sans limites, sans dimension, sans couleur, sans forme, sans poids, sans âge, sans mouvement, sans son, sans pensés, sans désir et sans peur, sans problèmes et sans intention, est le Miracle des miracles au cœur de notre Vie.
Cette reconnaissance sonne le glas de l'identification illusoire avec les attributs (ceci ou cela) et révèle avec force notre véritable identité : Être. Reconnaître que ce que Je suis c'est simplement être, nous fait coïncider avec la Vie elle-même et nous pousse à dire des choses aussi monstrueuses que par exemple, Je suis le Brahman*, Je Suis l'Absolu ou Je Suis la Vie. L'évidence affuble alors soudain mon identité profonde de majuscules. Lorsqu'on demanda à Sri Maharaj Nisargadatta comment il s'éveilla, il répondit que son maître lui avait dit qu'il était l'Absolu et qu'il l'avait cru ! Il disait souvent : "Vous êtes l'Absolu mais vous ne le réalisez pas."
Lorsque Mansour Al-Hallaj, ce merveilleux poète mystique soufi, né vers 857 à Bagdad fut submergé par l'évidence de n'être rien et coïncida avec la Vie, il ne put qu'énoncer cette évidence que par ces mots désormais célèbres : "Ana Al Haqq" : Je suis la Vérité.
Hallaj finit, après 9 ans de procès et de valses hésitations de la part des autorités, par être condamné à mort pour blasphème après d'atroces tortures pour cette parole scandaleuse*.
Ça me rappelle d'ailleurs quelqu'un au sort similaire qui, huit siècles plus tôt énonça : "Je suis le chemin, la vérité, la vie". (Jean 14.6.)
Lorsque vous avez touché en vous même la Vérité la plus profonde de votre être, il n'est plus possible de parler de Dieu de la même manière. Dieu (la Vérité, la vie, l'Absolu) s'est révélé à vous en tant que Vous-même. Ce n'est pas que la personne soit devenue Dieu ce qui serait une véritable hérésie, une folie même, c'est la vague qui se reconnaît comme non séparée de l'Océan, le mirage de la personne ou de la pensée qui soudain se reconnaît comme non séparée du Soi.
Comme nous le dit maître Eckhart (1260-1328) dans son merveilleux poème :
"Ô mon âme !
Sors ! Dieu entre !
enfonce le quelque chose qui est tien dans le rien de Dieu !
Ça me rappelle d'ailleurs quelqu'un au sort similaire qui, huit siècles plus tôt énonça : "Je suis le chemin, la vérité, la vie". (Jean 14.6.)
Lorsque vous avez touché en vous même la Vérité la plus profonde de votre être, il n'est plus possible de parler de Dieu de la même manière. Dieu (la Vérité, la vie, l'Absolu) s'est révélé à vous en tant que Vous-même. Ce n'est pas que la personne soit devenue Dieu ce qui serait une véritable hérésie, une folie même, c'est la vague qui se reconnaît comme non séparée de l'Océan, le mirage de la personne ou de la pensée qui soudain se reconnaît comme non séparée du Soi.
Comme nous le dit maître Eckhart (1260-1328) dans son merveilleux poème :
"Ô mon âme !
Sors ! Dieu entre !
enfonce le quelque chose qui est tien dans le rien de Dieu !
Ce vers quoi nous pointons ici, nul besoin de le crier en prime time sur TF1* sous peine d'être condamné pour "Shirk"*. C'est ultime mais intime, comme un secret ouvert qui nous fait signe en permanence et qu'on fait mine d'ignorer.
La Conscience qui n'a pas pas besoin de porte voix se rappelle à elle-même en son propre Silence.
* Réaliser que "Je suis le Brahman" est l'invitation essentielle des Upanishad et de Shakarasharaya
* Certaines paroles sont risqués à prononcer publiquement. Ils peuvent ébranler la "foi" dans la religion, l'état, le système de croyance collectif, voire égarer certaines personnes nullement préparées à les recevoir (voir attentats de Charlie Hebdo ou du cinéma de St-Michel pour la "Dernière tentation du Christ" et autres...). Ce qu'éprouve un être au cœur de l'expérience la plus intime ne peut être partagé (compris ou/et entendu) par tout le monde. Comme nous le rappelait Desproges, on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui. Ce qui n'a pas empêché Mansûr de sourire lors des supplices atroces qu'il eut à subir avant sa mise à mort.
Rûmi, le grand poète et mystique soufi nous rappelle que : "Lorsque l'amour de Hallaj pour Dieu fut sans limites... Il dit : "Je suis la Vérité, c'est à dire : Je suis anéanti, Dieu seul rest. C'est là une extrême humilité parce que ce cri signifie : "Lui seul est"... C'est pourquoi Dieu a dit " Je suis La Vérité". Étant donné qu'un autre que lui n'existait pas et que Mansûr était anéanti, ces paroles étaient de Dieu.
* À une invitation pour l'amener en voiture et parler aux gens d'un village, Nisargadatta Marahaj répondit : "Est-ce que quelqu'un saura comprendre ce genre de discours, ce vers quoi je fais route ? Ce qu'on a fait au Christ on pourrait me le faire aussi, parce que le Christ s'est mis à révéler les faits, la vérité. Comme mon discours se situera au-delà de leur capacité de compréhension, une partie de l'auditoire pourrait être bouleversée et dérangée. Ces gens diront : "À quoi bon, finissons-en avec lui." C'est parce que mon guru (Shri Siddharameshwar Maharaj) me l'a demandé que je fais ceci, que je participe à ces entretiens. quand je serai dans ce village, je devrai parler de Dieu et de la pureté; je dois adopter l'approche de la dévotion. Si je tenais le même genre de discours qu'ici, personne ne pourrait me comprendre." (Extraits du dernier livre d'entretiens "l'Ultime Guérison" avec Nisargadatta, publié chez Almora).
* À une invitation pour l'amener en voiture et parler aux gens d'un village, Nisargadatta Marahaj répondit : "Est-ce que quelqu'un saura comprendre ce genre de discours, ce vers quoi je fais route ? Ce qu'on a fait au Christ on pourrait me le faire aussi, parce que le Christ s'est mis à révéler les faits, la vérité. Comme mon discours se situera au-delà de leur capacité de compréhension, une partie de l'auditoire pourrait être bouleversée et dérangée. Ces gens diront : "À quoi bon, finissons-en avec lui." C'est parce que mon guru (Shri Siddharameshwar Maharaj) me l'a demandé que je fais ceci, que je participe à ces entretiens. quand je serai dans ce village, je devrai parler de Dieu et de la pureté; je dois adopter l'approche de la dévotion. Si je tenais le même genre de discours qu'ici, personne ne pourrait me comprendre." (Extraits du dernier livre d'entretiens "l'Ultime Guérison" avec Nisargadatta, publié chez Almora).
* Identification à Dieu et donc blasphème.
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