Nous avions marché sans but, hors des sentiers balisés, nous laissant guider par l’imprévu des sous-bois et des abattures. Le premier village devait se trouver à plus d’une heure de marche. Nous étions perdus ; joyeusement perdus au milieu des champs et des forêts à perte de vue. Après plusieurs heures de cette errance délicieuse, sans but et sans destination particulière, nous nous assîmes au bord d’un petit étang.
La campagne de ce mois de mai révélait sans pudeur sa beauté innombrable. Ça sentait l’été. Une multitude de petites fleurs jaunes, blanches et violettes se détachaient sur l’herbe verte et exhalaient un parfum légèrement sucré. On entendait au loin, dans les fourrés, le chant vif et mélodieux du rouge gorge et plus près de nous, les pépiements agités d’un petit groupe de mésanges bleues qui sautillaient gaiement d’une branche à l’autre d’un vieux chêne. Une abeille en passant fît entendre son léger vrombissement, puis se posa pour se gorger quelques instants d’un nectar inconnu à nos sens, dans le secret d’une fleur. Les vols imprévisibles et saccadés de quelques papillons achevaient de donner à ce tableau vivant un aspect magique.
Le corps se détendait complètement dans cet environnement paisible et ses milliards d’antennes aux aguets, se nourrissaient de sensations nouvelles.
Pendant de longs instants il n’y eut plus personne pour sentir, il n’y eut plus d’intérieur ni d’extérieur, mais simplement sensation, écoute, vision. L’intensité de l’écoute balayait toute pensée, toute intention. On pouvait même sentir comme une oscillation particulière dans l’air. Toute la nature semblait nimbée dans une sorte de présence magique et unifiante.
Puis, sans raison, l’amie ramassa une pierre et la jeta très haut et très loin vers le centre du lac. Le petit choc sur la surface de l’eau sous forme de clapotement fut bref et donna encore plus d’intensité au silence qui s’ensuivit. Nos regards convergèrent vers les fines circonvolutions qui s’amplifièrent depuis le point d’impact. L’onde de choc continua son expansion silencieuse dans toutes les directions en prenant de la vitesse. Elle s’étendit par cercles concentriques jusqu’à se fondre dans la barrière de roseaux à notre droite et épouser les ondulations en flèche engendrées par l’avancée de deux poules d’eau arrivant de notre gauche. Devant nous, arrêté par aucun obstacle apparent, le minuscule raz-de-marée, désormais presque invisible à l’œil nu, semblait se dissoudre sans histoire.
Quand les circonvolutions furent totalement résorbées, les nuages cotonneux reprirent leur avancée silencieuse dans le miroir de l’étang dont la surface était redevenue parfaitement lisse.
Il n’y avait pas de vent pour ainsi dire, mais plutôt d’infimes et très doux déplacements d’air chaud, qui caressaient votre peau avec une extrême tendresse, mais qui ne semblait pas affecter le moins du monde la surface plane de l’étang. Le miroir demeurait intact et reflétait fidèlement les formes imperceptiblement mouvantes des branches des saules, des nuages et le bleu du ciel.
Quand une pensée ou une émotion naît dans un mental tranquille, dans l’espace nu d’une écoute sans directions, il devient possible de la ressentir pleinement depuis sa naissance au cœur du silence, de la suivre dans ses moindres déploiements, ses subtiles transformations et de la pister jusqu’à sa résorption ultime dans le silence. Quand le mental est agité de peurs ou de projections, quand l’attention n’est pas libre, il est impossible de suivre la danse d’une pensée ou le chant d’une émotion.
De même si vous jetez une pierre dans une mer mouvante et agitée, vous ne voyez pas la vibration particulière qu’elle engendre. Pour accéder à une connaissance intime de vous même, vous devez vous observer d’instant en instant, avec une attention libre, totalement libre d’instant en instant. L’attention est libre quand vous ne cherchez plus à défendre quoi que ce soit, que vous n’êtes plus attaché à aucune image, aucune identité, quand vous cessez toute comparaison et qu’il n’y a plus de prétention à être quelqu’un.
Pour libérer l’attention, déconditionner le regard et l’écoute, pour déconstruire tout ce fatras de filtres et de croyances et accéder à cette écoute non impliquée, il n’y a pas de méthode. Il y a juste à relâcher l’attention et la laisser refluer dans sa propre source.
Néanmoins, un ensemble de clés non duelles et jeux de révélation nous invitent à ce grand désencombrement regard. Ce sont des jeux de révélation pour libérer l’attention qui s’est figée dans nos innombrables schémas. Et parfois, au cours d’un tel jeu, les nuages inexorablement se dissolvent et l’on réalise soudain que la Présence avait toujours été là, en arrière plan, attendant juste d’être redécouverte.
Quand la conscience est comme un lac étale, la moindre vibration peut être pleinement ressentie jusqu’au bout. Il y a une très grande beauté à percevoir et à sentir une pensée ou une émotion dans cette ouverture.
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