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Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

dimanche 30 septembre 2018


Murakami et "Kafka sur le Rivage" 
Une littérature qui fait vaciller notre mode de perception duel et pointe vers le mystère de l'Être


En dehors des histoires de ses romans, en elle-mêmes envoûtantes, dotées d'un suspense haletant et, qui comme des visions oniriques s'échafaudent en une architecture à la fois évanescente et complexe, comme celles des cathédrales, Haruki Murakami possède ce don très rare de laisser de l'espace, beaucoup d'espace libre entre les pièces de son puzzle stupéfiant. Et, avant que le dernière pièce du scénario semble avoir trouvé sa place, il a déjà ouvert d'autres pistes où s'enchevêtrent déjà d'autres puzzles, et vous voilà lecteur, de nouveau, comme le disait Maître Eckhart dans son sublime poème mystique du "Grain de Sénevé", "à la trace du désert" ... 

C'est comme s'il devinait, alors qu'il est lui-même un conteur invétéré et prolixe, que toute histoire, aussi fascinante qu'elle soit ne faisait que nous renvoyer vers un plus grand mystère encore. C'est comme si pour Murakami tout savoir et toute forme nous conviait nécessairement vers un espace de non savoir. C'est un conteur des liens ténus entre les divers niveaux de réalité. Et lorsque les fondements de ce que l'on appelle communément "la réalité" s'ébranlent, le lecteur se reconnecte au mystère abyssal de La Vie.

Haruki Murakami sait avec merveille jouer avec le flottement des possibles qui débouchent parfois sur d'improbables impossibles auxquels nous finissons par consentir. Il prend un soin extrême à  convoquer une atmosphère d'inquiétante étrangeté où les bases même de la nature de la réalité se mettent à vaciller.

Les changements brusques d'univers, de personnages et de niveaux de réalité qui, au départ semblaient n'avoir aucun rapport entre eux et puis qui vont soudainement s'enchevêtrer, finissent par fluidifier dangereusment l'attention du lecteur.

Lire Harukami risque de vous plonger dans une expérience littéraire inédite d'expansion de conscience où la réalité prend des allures étonnamment élastiques. Et, qu'y a-t-il de plus beau que laisser le mode habituel de perception se lézarder ? Ce n'est que lorsque nos savoirs habituels se fissurent que l'étonnement fulgure. Et, l'étonnement toujours culmine dans l'étonnement d'être.

Murakami est par excellence l'artiste des chemins de traverse, de l'être ange et des passages secrets entre les mondes grossiers et subtils.

Dans ses histoires, bruisse une incessante et déroutante alternance entre, d'une part, la quotidienne banalité de ses personnages - un monde très cohérent et rassurant où abondent les descriptions des repas, des loisirs ordinaires, des goûts vestimentaires et musicaux au cœur d'une petite vie tranquille - un monde tel que nous le connaissons soumis aux lois implacables de la causalité linéaire et, d'autre part, un monde aux propriétés magiques comme celle du rêve ou d'univers parallèles, régies par d'autres lois beaucoup plus mystérieuses et, qui semblent coexister avec le notre, ici et maintenant. Cette intime imbrication magique d'univers parallèles est susceptible de désencombrer notre sensibilité de ses conditionnements et d'ouvrir notre appétence pour le merveilleux.

J'ai lu presque toute l'œuvre de Murakami et "Kafka sur le rivage" est sans doute son chef d'œuvre. La lecture de ce roman s'apparente au pouvoir mystérieux qu'une plante hallucinogène comme l'Ayahuesca peut avoir sur vous si vous l'ingérez en conscience. Laissez la substance étrange de la plante sous forme d'un conte s'infuser en vous et prendre les commandes de votre corps mental. Pour celui ou celle qui a gardé son âme d'enfant intacte et, qui n'a pas d'à-priori négatif par rapport à l'imaginaire comme pouvant constituer un pont vers l'ailleurs de l'Ici, ce roman recèle un subtil et paradoxal pouvoir de révélation de votre nature profonde.

Mon conseil : Laissez-vous prendre et surprendre.

Je vous livre ici quelques extraits où pour les personnages au cœur du rêve perle la lucidité d'être.

"Je suis libre. Je ferme les yeux et réfléchis intensément à cette liberté. Mais je n'arrive pas très bien à comprendre ce que cela signifie. Tout ce que je sais, c'est que je suis seul. Dans un endroit inconnu. Un explorateur solitaire qui a perdu sa boussole et sa carte. C'est ça être libre ? Je n'en sais rien, et je renonce à poursuivre ma réflexion."



À un moment, le jeune héros en fugue, Kafka (15 ans) s'interroge en compagnie d'un autre personnage, Oshima, qui est bibliothécaire, sur un roman de Sôseki, "Le Mineur", qu'il vient de lire et partage ses impressions avec lui.

"J'ai refermé ce livre avec un sentiment bizarre. Je me demandais ce que l'auteur avait voulu dire exactement. Mais c'est justement ce "je ne sais pas ce que l'auteur a voulu dire exactement" qui m'a laissé la plus forte impression."

Là encore nous retrouvons clairement exprimée cette indicible plénitude d'être qui fleurit dans l'espace de non savoiir.

Il continue plus loin en disant : "Le héros du Mineur se contente de regarder ce qu'il a sous les yeux et de l'accepter". Ce qui touche Kafka, c'est cette absence d'arborescence psychologique sur laquelle se base pourtant habituellement la plupart des romans pour bâtir leur trame. Le personnage ici semble vivre de façon extrêmement directe et dépouillé ses divereses expériences, comme une caméra enregistreuse et neutre, comme le regard sans personne de la Vision Sans Tête.

Un des secrets pour fissurer notre carapace de conditionnements et l'attention ordinaire est le changement brusque et répété de l'attention. On passe de l'attention sur une zone où elle semble figée à une zone où l'attention est neutre, d'une perception ayant un caractère dramaturgique ou du moins àune forte connotation personnelle, à une perception à connotation totalement neutre, sans histoire.  Murakami y excelle pour notre plus grand bonheur. Ainsi, c'est presque de façon hypnotique que son écriture même nous invite à dénouer nos prétentions à savoir et laisser la porte ouverte sur de plus grands mystères.

Krishnamurti, dans un tout autre genre était lui aussi passé maître dans le changement brusque de l'attention. En effet, dans les rares livres écrits de sa main (qui ne sont pas le compte rendu de ses conférences) on retrouve ce procédé utilisé de façon systématique. Il décrit une situation dans laquelle une personne vient le voir avec un conflit à propos de quelque chose qui l'affecte dans sa vie ou un questionnement profond. Une discussion s'installe. Puis on passe brusquement à une description très neutre d'un paysage. Ensuite, Krishnamurti livre ses impressions sur la mort, la relation, la méditation ou quelque autre chose ayant un rapport avec la question de l'interlocuteur de la première partie. Puis, on revient à nouveau au dialogue initial qui se poursuit, puis encore à la description d'un paysage comme on passe du coq à l'âne, et encore à une réflexion de "K".

Ce qui se passe c'est que par le biais de ce procédé, le mental du lecteur se calme profondément et comme dans une hypnose, son attention se défige. Se prendre pour un moi est déjà une hypnose profonde. La technique du changement brusque de la focalisation de l'attention a le pouvoir de vous désypnotiser de l'idée d'être un moi personnel. Il y a une sorte de détente opérée par le transfert d'attention neutre de la description de paysage vers le vécu personnel de l'interlocuteur et source d'attechment. Cela ouvre l'attention impersonnelle de l'interlocuteur et par la même occasion celle du lecteur qui, permet de guérir de la croyance de séparation. L'attention figée sur le deuil ou le sentiment de manque se défige aussitôt. Magique !

Je reviendrais dans un article ultérieur sur l'importance du changement brusque et répété de l'attention comme moyen de défiger l'attention et ouvrir à un regard désencombré, une écoute impersonnelle.

J'utilise ce procédé en séance d'accompagnement non duel depuis 20 ans avec des résultats souvent émerveillant pour toutes sortes de fixations mentales, fragilités psychologiques, névroses et parfois même des douleurs physiques. L'attention impersonelle est bien entendu le véritable guérisseur.

Mais pour revenir à nos moutons, il me semblait important de souligner que Murakami opère ainsi dans la plupart de ses romans. Dans "Kafka sur le Rivage", ce sont justement trois histoires complètement différentes en des lieux et temps et des niveaux de réalité très différents qui se succèdent et dont on ne voit absolument pas ce qu'elles ont de commun qui, peu à peu, vont s'enchevêtrer. Mais, subtilité exquise, jamais parfaitement, pour satisfaire notre mental grossier. Toujours en laissant des petits espaces et des légers décalages comme une fugue dont partirait toujours un thème renouvelé avant que l'ancien soit complètement résolu. Comme une mélodie en perpétuelle fuite et incessantes retrouvailles.

Et, ces changements brusques et inattendus de rythme et de niveau de réalité brusques permet notamment d'induire un état de conscience modifié. Magique, je vous le disais, dans tous les sens du terme.

Cela vous met dans un état de réceptivité exceptionnelle qui perméabilise les niveaux de réalité et vous font éprouver les délices des changements de perspective et donc d'expérience, un peu comme si vous passiez du niveau où vous perceviez la lumière en tant que particule au niveau où vous la percevez en tant qu'onde. Une écriture tantôt onde tantôt particule. Une écriture sans choix.

Cela ne vous rapelle rien ?

Belle lecture et belles éclosions à vous.


NB : Pour ceux qui sont intéressés par un accompagnement individuel non-duel à Paris ou par Skype ou une séance d'accompagnement psycho-corporelle pour laisser éclore les émotions bloquées, veuillez me contacter au 06 63 76 90 81 ou sur mon mail : adnnn1967@gmail.com

Si vous voulez vous inscrire pour les rencontres non duelles (sur la base d'une participation en conscience) qui ont lieu de façon bi-mensuelledans le 19e à Paris, écrivez-moi un sms sur le numéro ci-dessus.

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