De la grâce des murs
Que l'on rencontre de plein fouet, lancé à grande vitesse
Que l'on rencontre de plein fouet, lancé à grande vitesse
Il semble terriblement vain d'inscrire sa vie dans une biographie qui, comme l'étymologie de ce mot l'indique, n'est qu'une succession de mots et d'images mentales. Il m'a toujours semblé puéril de se définir de façon ultime dans un parcours linéaire, avec un choix forcément partiel et partial d'expériences à repêcher d'un inexorable oubli. Expériences que l'on insère ensuite dans une chaîne cumulative de causes à effets, à laquelle de surcroît, je ne crois plus du tout. Comme si la vie, même celle d'un apparent individu, pouvait se résumer à quelques milliers d'images. Une biographie m'a toujours semblé être une contradiction dans les termes. Peut-être aussi parce, quelque part, j'ai toujours su qu'il n'y a personne qui vit la vie ?
Si je devais néanmoins essayer d'extraire quelques épreuves clés de ce que l'on pourrait appeler "mon existence", je suis obligé de constater que certaines expériences résonnent d'une harmonique plus initiatique que d'autres. Peut-être justement parce qu'elles ont paru rendre possible des éclosions d'ordre atemporel et indicible. Expériences ou plutôt "non expériences", tant il est impossible de convertir ces points d'orgue d'étonnement et de ressenti silence en mots ou en images mentales.
Si je devais néanmoins essayer d'extraire quelques épreuves clés de ce que l'on pourrait appeler "mon existence", je suis obligé de constater que certaines expériences résonnent d'une harmonique plus initiatique que d'autres. Peut-être justement parce qu'elles ont paru rendre possible des éclosions d'ordre atemporel et indicible. Expériences ou plutôt "non expériences", tant il est impossible de convertir ces points d'orgue d'étonnement et de ressenti silence en mots ou en images mentales.
Et pourtant, ce sont justement ces instants de présence miraculeuse, dont on ne peut rien dire, qui ont été la trame indicible d'une véritable résurrection. Hasard ou nécessité qu'importe, mais ces avènements plus que de simples évènements ont un même dénominateur commun : Ils ont tous, de façon subtile ou grossière pointé vers ma réalité la plus intime : mon impuissance foncière à posséder, vouloir et connaître quoi que ce soit.
ÉGO TEST n° 183 |
Je me suis peu à peu rendu compte que ce qui avait vraiment compté dans la déconstruction de mes perspectives tendancieuses, jusqu'à la disparition finale de cette sensation gluante et oppressante d'être un moi séparé, n'étaient évidemment pas mes brillantes réussites dans tel ou tel domaine ou la coïncidence rare et miraculeuse de mes désirs avec la vie, mais plutôt les claques cinglantes de ma rencontre avec le réel, et les effondrements brutaux des châteaux de sable que je m'étais évertué à bâtir avec tant d'application et de sérieux, jour après jour, année après année. Si les joies enivrantes ont eu la part belle dans ma petite existence, c'est toujours l'immanquable franchise de la réalité qui, en broyant impitoyablement mes espoirs les plus chers a soufflé avec le plus d'ardeur sur la flamme de l'attention.
ÉGO TEST n° 53765 |
Aussi loin que je me souvienne, ce sont toujours les murs de la réalité qui ont pourvu à mon éducation spirituelle. C'est grâce à leur ciment irréfragable que ce corps-mental-ci a vécu ses plus mémorables accidents de parcours et a pu, après quelques deuils salutaires, mûrir.
C'est grâce à leur solidité que, maintes fois, je fus stoppé net dans mes élans de vanité. Avec ces rencontres aussi fracassantes qu'inopinées, les prétentions à savoir mieux que la vie elle-même ce qui était bien ou mal, juste ou injuste, possible ou impossible se sont dissoutes. Grâce à ces chocs violents et successifs un réajustement profond et salutaire avec l'Inéluctable a pu s'accomplir.
C'est uniquement grâce à ces murs que l'orgueil tenace a enfin abdiqué devant cette mystérieuse réalité, si dure en apparence, si tendre en vérité et qu'on appelle la Vie. C'est grâce aux murs de la réalité que la Présence consciente, silencieuse et bienveillante a fini par s'extirper de son rêve.
Crash test ultime (n°231476) de l'ego. (Ultime ? Foutaises) |
Je vous rends grâce, ô murs imperturbables de la réalité. Vous qui, à l'insu de mon plein gré, m'avez permis de mourir à mes illusions et me restituer un regard désencombré.
Vous m'avez appris à quitter le vu pour voir vraiment.
Je vous rends grâce pour m'avoir montré tant de fois et encore aujourd'hui ma véritable pauvreté, ma nudité et ma nullité essentielle.
Grâce à vous, ce spectacle cosmique d'apparence tragique qu'on appelle communément la vie, s'éprouve aujourd'hui comme une farce joyeuse et ludique, une danse amoureuse, un émerveillement sans bornes.
Gratitude à tous les murs de la réalité, qui nous forcent au lâcher prise, et qui nous font dire :
Amor Fati
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