Feel it !




Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

jeudi 31 juillet 2025

Souviens-toi de ton insignifiance !

 


Si tu prends un instant pour considérer le temps - le temps qui a précédé ton apparition dans ce monde, et celui qui continuera après ta disparition  - tu réalises que ce que tu appelles ta vie n’est qu’un clignement d’œil furtif sur la ligne infinie du temps. Dans l’immensité du cosmos, ta singularité corps mental est à peine plus signifiante qu’une minuscule et éphémère ondulation à la surface de l’océan. Rien de fixe, rien de séparé. Juste une forme passagère prise par le mouvement. Et pourtant, c’est grâce à cette insignifiante ondulation que peut se révéler ce qui n’est jamais né, et qui jamais ne mourra.

En acceptant d’être oublié, tu te libères d’un poids inutile. Tu n’as plus besoin de préserver une image ou un film de ta biographie, ni d’être fidèle à une version fixe de toi-même. Tu n’es plus prisonnier d’un scénario. Alors tu peux vraiment vivre, te réinventer, te laisser traverser par la vie sans devoir tout justifier, tout conserver, tout expliquer.


Cette libération du poids des identités cumulées ouvre un espace neuf. Un espace sans mémoire, sans attente, sans rôle assigné. Et dans cet espace, quelque chose se remet à couler librement : la spontanéité, la créativité, la vitalité. Tu découvres qu’en cessant de te souvenir de qui tu es censé être, tu entres en contact avec ce qui, en toi, est toujours nouveau. Tu n’es plus en train de devenir quelqu’un. Tu es simplement ouvert à ce qui se manifeste.


Tu vois bien que, même quand tu essaies de te souvenir de ton grand-père, ou à la rigueur de ton arrière-grand-père - ou, si tu veux vraiment aller très loin, de ton arrière-arrière-grand-père - que te reste-t-il ? Peut-être qu’il était célèbre, peut-être qu’il a écrit des livres, peut-être qu’on en parle encore quelque part. Mais même si ton arrière-grand-père figure dans les livres d’histoire, que restera-t-il de lui dans un siècle, dans un millénaire, dans cinq mille ans, dans cent mille ans ? Les plus grandes figures de l’humanité finiront par se dissoudre. Rien ne restera. Et toi, combien de personnes se souviendront de toi dans cinquante ans ? Dans cent ans ?


Et dans ces considérations, pense à ceci : on estime qu’environ 30 milliards d’êtres humains ont déjà vécu sur cette planète. De combien te souviens-tu ? De quelques noms peut-être. Une centaine, un millier tout au plus si tu es historien passionné. Et tous les autres ? Tous oubliés.


En réalisant cela, en reconnaissant pleinement l’insignifiance de ta vie personnelle dans l’histoire du monde, quelque chose s’ouvre. Quelque chose de vaste, de silencieux, d’éternel, une intelligence sans forme, sans nom, sans commencement ni fin, qui ne cherche rien, qui ne veut rien, et qui pourtant est là, disponible, immobile et vivante, totalement éveillée à elle-même. Et dans ce face-à-face avec l’inconcevable, il peut arriver que des larmes montent. Pas des larmes de tristesse, mais d’émerveillement. De gratitude pure.

Comment demeurer dans la Présence ?

 


La question n’est pas : comment puis-je devenir la présence consciente ? Ni même comment puis-je demeurer dans la Présence. Tu es déjà Cela. Tu es déjà la Conscience. 

La question n’est pas : comment puis-je être cela 24 heures sur 24 ? La vraie question, c’est : pourquoi est-ce que je crois ne pas l’être déjà ?

Ramana Maharshi disait : « Le seul empêchement à la réalisation du Soi est que vous croyez que vous ne l’êtes pas déjà. »

Aucune pratique ne peut modifier la Conscience, parce que tu l’es. Ce que tu peux faire, en revanche, c’est prendre conscience de ce que tu n’es pas.

À chaque instant, des choses apparaissent dans la conscience : sensations, émotions, pensées, images, souvenirs, perceptions. Elles sont perçues. Et ce qui est perçu n’est pas ce qui perçoit.

Le premier pas vers la reconnaissance de soi, c’est de rejeter tout ce qui est perçu comme n’étant pas toi.

C’est simple : Tout ce dont j’ai conscience, ce n’est pas moi. Je perçois une pensée, donc je ne suis pas cette pensée. Je ressens une émotion, donc je ne suis pas cette émotion. Je vois un corps, j’entends une voix, je ressens une tension, donc je ne suis rien de tout cela.

Je suis cela qui est conscient.

Comme le disait Nisargadatta Maharaj :

“Je suis l’ultime négation de ce que je ne suis pas.”

Tu n’as pas à essayer de changer ton expérience, ni ton corps, ni tes pensées, ni tes émotions, ni ton histoire, ni le monde. Ne commence surtout pas par là. Commence par découvrir qui tu es.

Et pour cela, sois radical : Rejette tout ce qui apparaît comme n’étant pas toi. Rien de ce que tu perçois n’est toi.

Fais cela tranquillement, pendant quelques minutes, une heure peut-être. Reviens-y souvent.

Et à un moment, sans effort, l’évidence surgit :

La conscience que tu es est consciente des phénomènes, et est également consciente d’elle-même. Elle est sans âge, sans limite, sans histoire. Et lorsqu’elle se révèle pleinement à Elle-même dans toute sa splendeur, alors la paix, la joie et l’amour inconditionnel qui sont des qualités inhérentes au Soi se révèlent également. 



Christian Bobin l’Alchimste de la Présence



Au début des années 90, une amie m’avait glissé le nom de Christian Bobin. Il n’était pas encore connu du grand public. Elle m’avait prêté Une petite robe de fête, puis Le Très-Bas, et enfin La plus que vive. Ces lectures m’avaient profondément touché.


C’était clair, limpide, sans effet. Je n’avais jamais lu quelqu’un qui écrivait avec autant de simplicité et qui, en même temps, ouvrait autant d’espace. Il parlait du cœur, et ça allait droit au cœur.


J’ai continué à le lire, et à chaque nouveau livre, je retrouvais cette même vibration. J’ai noté quelques-unes de ses phrases au fil des années, comme on ramasse des pierres sur un chemin laissés par le Petit Poucet de la Conscience pour qu’elle puisse se souvenir, sans la mémoire,   d’Elle-même. 


Au fil du temps, au cours de ce chemin de dépouillement intérieur que je suivais, je me suis rendu compte que Christian Bobin, en réalité, offrait un satsang au monde. Il offrait une parole rare et précieuse de silence et de lumière. Chacun de ses livres était en réalité en déguisement un satsang discret mais puissant pour ceux qui ne seraient jamais allés d’eux-mêmes écouter un enseignement spirituel. Et pourtant, il faisait passer un message universel, gnostique, ouvert, libre. Il le faisait passer sans jamais être didactique. Il avait l’humilité et le talent de le faire passer avec une incroyable simplicité, et avec tellement d’amour pour ce qui est qu’il a pu toucher un public très large. 


Quand il est mort en novembre 2022, c’était comme perdre un ami  proche. Je ne l’avais jamais rencontré, mais sa parole m’avait accompagné pendant tant d’années. Elle faisait partie de ma vie, et de celle de beaucoup de mes amis.


Je me souviens que le mois après sa mort, quand mon ami Christian Boncompain (Tchen Tchen, de son nom d’artiste, ami musicien et chanteur, avec lequel j’ai réalisé l’album Sat Songs, sorti en 2022) vivait ses dernières semaines, je lui avais lu à son chevet « Le Christ au coquelicot ». Il en avait été très ému. Ce fut un moment simple, profond, silencieux. On était là, ensemble, au seuil. Un long silence a suivi cette lecture. Ce fut notre dernière rencontre. 


L’autre jour, je suis retombé sur un carnet où j’avais recopié les phrases de Bobin que j’aimais. J’ai eu envie d’en partager quelques unes ici, avec vous. Juste comme ça, pour rendre hommage à cette voix qui parlait de l’essentiel sans jamais le nommer. Pour laisser résonner en nous cette présence qu’il savait reconnaître dans les choses les plus simples.


« La lumière, c’est ce qui reste quand tout a été perdu. » (Ressusciter)

Il arrive un moment où les repères  tombent et où les images s’effacent. Et pourtant, quelque chose reste. Cette lumière impersonnelle et pourtant si intime qui tout en éclairant toute choses, les constituent et s’auto-éclaire Elle-même. 

Ramana Maharshi disait : « Ce qui est ne dépend d’aucune chose pour être. » C’est cela que Bobin appelle lumière : ce qui ne passe pas.


« Le cœur ne pense pas, il écoute. » (La part manquante)

La pensée divise, anticipe, compare. Le cœur, lui, se tait. Il ne cherche pas à comprendre. Il est ouverture. L’Évangile de Thomas disait : « Heureux celui qui écoute la parole et la garde. » L’écoute ne possède rien. Elle laisse tout apparaître sans résistance. 


« Dieu est dans l’instant qu’on ne remarque pas. » (Autoportrait au radiateur)

C’est toujours là. Dans ce qui ne fait pas signe. Dans ce qui ne se détache pas du reste. Rumi écrivait : « Le silence est la langue de Dieu. » Et ce silence se glisse dans les instants que l’on oublie. Ce sont souvent eux qui nous transforment en profondeur, et que le mental peine à reconnaître. 


« J’aime les livres comme on aime les fleurs, pour leur silence. » (Le Très-Bas)

Ce qu’il aimait, ce n’était pas ce que les livres disent, mais ce qu’ils laissent. Ce qui reste quand les mots s’effacent. Comme une fleur qu’on ne regarde plus, mais dont le parfum demeure. Nisargadatta Maharaj disait : « La vérité ne peut pas être dite. Elle peut seulement être. »


Le poète Angélus Silésius disait : « La rose est sans pourquoi. Elle ne demande pas qu’on la regarde. Elle fleurit d’être en sa fleur. »


« Une rose, c’est Dieu qui sourit avec les lèvres fermées. » (La part manquante)

Aucune théologie ne peut dire cela mieux. Ce sourire sans visage, ce silence au centre de la beauté, n’a pas besoin d’explication. Quand le regard se défait de celui qui regarde, il ne reste plus que la rose - et ce sourire sans lèvres. C’est ce que Douglas Harding appelait la Vision Sans Tête : voir depuis cette ouverture vacante et transparente , où la splendeur de la rose apparaît sans personne pour la voir.


« Je cherche ce qui brille au fond de l’ordinaire. » (Le Très-Bas)

Ce n’est pas une quête extérieure, c’est une manière de voir. Jean Klein nommait cela une « attente sans attente ». Voir depuis l’espace d’accueil, depuis l’absence de tête, et découvrir que tout brille, même une assiette sale. L’ordinaire devient sacré dès qu’il est vu sans filtres. Dans un regard désencombré de filtres le monde est soudain réenchanté. 


« Le bonheur n’a pas d’histoire. Il a juste une odeur de pain chaud. » (Autoportrait au radiateur)

Le bonheur ne s’attrape pas, il se. Il ne se raconte pas. Il est là quand on ne cherche plus. Il est ce goût, cette chaleur, cette paix sans nom qui passe par la peau, les narines, la solitude douce. La voie du sentir commence là.


« La mort n’est pas une fin, mais un changement de lumière. » (La plus que vive)

Quelque chose passe et quelque chose qui n’est pas quelque chose demeure. Ce n’est pas une théorie fumeuse C’est une perception directe et intime, comme un glissement depuis le « vu » vers le VOIR. 


Huang Po disait : « Le sage s’appuie sur ce qu’il voit. L’ignorant s’appuie sur ce qu’il pense. Vois les choses telles qu’elles. Et ne te préoccupe pas des autres. »


Ramana Maharshi, disait à une disciple le suppliant de ne pas partir, juste avant de mourir : « Où pourrais-je aller ? Je suis ici. »


« L’âme, c’est ce qui brille quand on ne fait plus rien. » (Geai)

Ce n’est pas une entité, c’est ce qui reste quand toute volonté se dissout. Ce que Ramana appelait le Soi. Ce que la Vision Sans Tête montre aussi : quand il n’y a plus de “moi” en face du monde, il reste une clarté sans sujet.


« Il y a dans l’invisible une fontaine de vie. Elle ne parle pas. Elle lave. » (La lumière du monde)

C’est une source qu’on ne peut pas localiser. Mais qu’on peut pressentir. Une transparence qui passe par le cœur, qui lave les anciennes histoires. C’est cela, la voie du sentir : laisser l’invisible nous traverser sans le retenir.


« Le visible est l’ombre de l’invisible. » (Le Très-Bas)

Tout ce que nous voyons est la trace d’un mystère plus grand. Ce monde est une surface. Mais ce qu’il montre, c’est ce qui ne se voit pas. Le silence derrière les formes. L’Être sans visage derrière chaque visage.


« Il y a des présences qui tiennent dans un battement de cil. » (La plus que vive)

Un instant suffit. Un regard. Une présence réelle. Pas une personne, mais une qualité d’être. Ce n’est pas une relation, c’est une simple reconnaissance. Une brèche dans le temps. Une faille dans l’identité. Ce qui ne passe pas.


« Le silence n’est pas l’absence de bruit, mais l’absence de maître. » (La lumière du monde)

Le silence véritable ne vient pas du calme extérieur, mais de l’effacement du contrôleur. Il apparaît quand il n’y a plus personne pour diriger l’instant. Douglas Harding l’appelait “l’espace libre au centre”. Là où il n’y a plus de chef, plus de tête, le silence est roi.


« Ce qui sauve, c’est de toucher, même du petit doigt, la lumière d’un être. » (La part manquante)

Un moment de vérité. Un instant de dépouillement partagé. Il n’y a pas besoin de comprendre. Il suffit de toucher. Pas avec la main, mais avec l’Être. Le mot sanskrit namaste signifie cela : « Je salue ce qui en toi ne meurt pas. »


« J’écris pour me faire un passage vers la lumière. » (Geai)

Pour Bobin écrire est un véritable de « neti neti » de l’inessentiel, un ingénieux « tabula rasa » de tout ce qui fait obstacle à la présence. Il écrit comme on s’allège, comme on se purifie, pour entrer au cœur du mystère. Son écriture n’est pas de celles qui enjolivent le réel mais qui invitent au contraire à s’effacer devant ce qui est. Chaque phrase est comme une marche vers le silence. Il n’y a pas chez lui de message, mais pour le lecteur sensible chaque phrase devient un passage.


Merci, Christian Bobin, pour ce satsang en lettres.

Pour ces livres de lumière offerts depuis ta première publication, Lettre pourpre, jusqu’à ta dernière offrande, Ressusciter. Tu nous as régalés de ta poésie intimiste et lumineuse. Tu fais partie de ces êtres rares qui m’ont appris à voir - à mieux voir. À mieux sentir. À mieux goûter la vie.


Merci, Christian Bobin,

pour ce satsang sans posture, sans référence, sans enseignement.


Merci d’avoir écrit comme on se penche sur une fleur pour la humer doucement, sans l’abîmer.

Comme on s’arrête sans raison devant les trilles d’un merle au petit matin.

Merci d’avoir écrit comme l’on  s’émerveille devant sa fille qui pose soudain des questions profondes auxquelles on ne peut répondre ou devant son petit garçon quand il court joyeusement et sans raison vers les pigeons dans le parc. 

 

Merci pour ce magnifique hymne à la vie.

Merci d’avoir honoré, livre après livre, ce qui ne fait pas de bruit et qui pourtant contient tout.



La poésie non duelle : Love is a place de E.E. Cummings

 


Depuis l’adolescence, j’ai toujours été un amoureux de la poésie. Je ne savais pas très bien pourquoi, mais je me rendais compte qu’après chaque lecture, quelque chose en moi s’apaisait. 


À travers Baudelaire, Mallarmé, Verlaine, Rimbaud, et tant d’autres, je vivais, sans pouvoir le nommer, une sorte de douce résorption. Le poème me ramenait naturellement dans la Présence silencieuse. 


Je crois aujourd’hui que la poésie, dans sa nature la plus pure, est un art qui invite à l’enstase. Elle invite de façon implicite, comme d’autres arts, à rentrer à la maison. Elle ne cherche pas à expliquer. Elle nous invite à goûter, à sentir. Elle nous reconduit sans effort dans la chapelle silencieuse du cœur.


Certaines voix poétiques, plus que d’autres, portent ce parfum d’unité, cette saveur du réel. Je pense à Rilke, à Christian Bobin, à certains fragments de Maître Eckhart, à Angelus Silesius, Jean Pierre Siméon, Philippe Jaccottet, Hélène Dorion, ou à la parole de certains mystiques anonymes. Et de temps en temps, sur ce blog, je me permettrai de vous partager des poèmes qui, à mes yeux, nous conduisent au bord du silence, là où le mental s’efface et où ne demeure que la présence.


Aujourd’hui, je vous propose un texte du poète américain Edward Estlin Cummings, que l’on connaît souvent pour ses jeux typographiques, sa syntaxe libre, ses traits d’humour. Mais parfois, derrière la légèreté formelle, perce une voix plus intérieure, presque méditative. Le poème Love is a place, publié au début des années 1950, est de ceux-là.


love is a place - e. e. cummings


love is a place

& through this place of

love move

(with brightness of peace)

all places


yes is a world

& in this world of

yes live

(with a subtle grace)

all worlds


« Ma » Traduction française :


l’amour est un lieu

et à travers ce lieu d’

amour passent

(avec l’éclat de la paix)

tous les lieux


oui est un monde

et dans ce monde de

oui vivent

(avec une grâce subtile)

tous les mondes


L’amour, dans ce poème, dit Cummings, est un lieu. Mais en réalité, ce qu’il nomme lieu est un lieu sans lieu, dans lequel apparaissent tous les lieux. C’est le Ici (du fameux Ici et Maintenant, Hic et Nunc), l’Ici de la conscience - sans intérieur ou extérieur. Un peu comme lorsqu’au Moyen Âge, les philosophes disaient que Dieu est une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part. C’est ce Ici de la conscience partout et nulle part à la fois, dans lequel tout a lieu. Tout apparaît et disparaît dans ce lieu qu’est l’amour.


L’amour n’est pas dans ce poème un sentiment mais le champ silencieux dans lequel toute chose prend forme et se dissout. Ce lieu est un lieu infini, et n’est donc séparé de rien, ne retient rien, ne juge rien. L’amour, en ce sens, n’est pas à chercher quelque part. Il précède toute recherche. C’est un amour impersonnel et inconditionnel.


La deuxième strophe affirme : Yes is a world. Le Oui est un monde. Ce n’est ni un oui psychologique, ni un oui personnel issu d’un prétendu libre arbitre. Ce n’est pas non plus un acquiescement passif. C’est le Oui fondamental de l’être, un Oui qui est accueil absolu. Dans ce monde du Oui vivent tous les mondes, tous les possibles, toutes les formes, toutes les nuances de l’expérience. Rien n’est exclu. Tout est accueilli. Et ce tout prend forme avec une grâce subtile. Les mondes, les formes, les phénomènes se déploient dans cet espace du Oui avec une intelligence silencieuse, une beauté harmonieuse.


Ce texte n’est pas seulement un poème sur l’amour. C’est une épure de la non-dualité. Il n’y a pas un sujet qui aime. Il y a un amour qui contient tous les sujets séparés. Il n’y a pas une volonté personnelle qui dit Oui. Il y a « un monde » (en réalité une Présence) déjà ouvert, déjà présent, déjà unifié. Le style même de Cummings participe à cela : absence de ponctuation rigide, lignes fluides, disposition dépouillée - tout forme un espace non séparé. Chaque mot semble émerger de l’intérieur du silence. Et chaque lecture nous y ramène.


Dans ce poème - comme dans de rares perles poétiques à propos de l’amour - la beauté ne sert pas à orner, mais à dissoudre. Elle désarme le mental. Et ce qui reste, ce n’est pas un savoir, des images mais un non-savoir qui éveille un émerveillement, une simple reconnaissance.