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Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

jeudi 3 juillet 2025

La Création dans la perspective non duelle



Il y a quelques jours, j’ai reçu un message de la part d’un participant aux Satsang que je propose sur Zoom. Il me posait cette question : « Qu’en est-il de la création (dans le sens création du monde, cosmogonie) dans la perspective non-duelle ? » C’est une question qui apparaît rarement sous cette forme explicite, mais qui est pourtant essentielle - car elle est sous-entendue, de manière plus ou moins consciente, par beaucoup de ceux qui participent aux Satsang. Derrière de nombreuses formulations, il y a en effet encore cette idée d’un monde qui aurait été créé, à un moment donné, par quelque chose ou quelqu’un ou une divinité. Comme si l’on passait sans le dire du non-manifesté au manifesté, du silence à la forme, du néant à l’être.


Or dans la perspective non-duelle, où la réalité est Une, indivisible et sans second, la notion même de création devient problématique. S’il n’y a que Cela - conscience, présence, être - alors il ne peut y avoir ni intérieur ni extérieur, ni sujet ni objet, ni commencement ni fin. Il ne peut y avoir rien d’autre que l’Être, qui se goûte Lui-même, éternellement.


Comment pourrait-il donc y avoir création, au sens d’un acte séparé, d’un commencement dans le temps, d’un monde surgissant d’un ailleurs ? Ce que nous appelons “création” serait plutôt une lecture apparente de la Conscience, comme si Elle se déployait dans un espace-temps - alors qu’en réalité, Elle ne quitte jamais le silence de sa propre plénitude. Il n’y a jamais eu deux. Il n’y a jamais eu passage du néant à l’être. Il y a simplement ce qui est, maintenant, tel que c’est.

Comme le dit Śaṅkara dans une formule célèbre : « Brahman seul est réel, le monde est illusion, et le Soi n’est rien d’autre que Brahman » — Brahma satyam, jagan mithyā, jīvo brahmaiva nāparaḥ. Ce que nous percevons comme “le monde” n’est pas une chose créée, mais une apparence transitoire au sein du Soi, tout comme un rêve n’a jamais quitté le sommeil du rêveur.

Ce “rêve du monde” n’est pas une erreur à corriger - c’est l’expression spontanée, libre et sans cause, de ce qui est. Il ne s’agit pas de nier le monde, mais de reconnaître qu’il ne s’oppose pas au Réel. Il est une forme prise par le Sans Forme. Et cette forme n’est pas née : elle apparaît maintenant - et seulement maintenant.


Avoir conscience, ou connaître, suppose en apparence une relation sujet-objet. On ne peut pas faire l’expérience d’une chose sans qu’il y ait un “quelqu’un” qui en fasse l’expérience, et “quelque chose” dont il fait l’expérience. Cette division entre celui qui perçoit et ce qui est perçu, entre le connaisseur et le connu, semble être la condition même de toute expérience phénoménale.

Et pourtant… dans la perspective non-duelle, cette division n’est qu’apparente. Elle n’est pas la vérité ultime de la conscience, mais une modalité de son expression. C’est comme si la Conscience, qui est une, sans forme et sans limite se réfléchissait Elle-même, comme dans un jeu de miroirs, en adoptant provisoirement une polarité intérieure : ici le sujet, là l’objet. Cette mise en résonance des deux pôles de dualité n’est pas une séparation réelle, mais un jeu d’apparition. Elle ne lui est pas étrangère, elle est une de ses façons d’actualiser sa potentialité. On pourrait dire que ce mouvement - cette différenciation spontanée - est une des manières par lesquelles la conscience explore sa propre infinité, rend visible son invisible, se rend connaissable à travers la multiplicité.


Mais même dans cette dualité apparente, c’est toujours la Conscience qui est là - sous la forme du sujet, sous la forme de l’objet, et dans l’espace même de leur relation. Ce n’est jamais “quelqu’un” qui connaît “quelque chose” : c’est toujours Cela, la Conscience sans second, qui se reconnaît elle-même à travers ses propres reflets.


Ramana Maharshi l’exprime ainsi : « Il n’y a pas de connaissant distinct du connu. L’unité est la vérité. La dualité est une apparence. » (Talks with Sri Ramana Maharshi, n°33)

Autrement dit : la Conscience ne devient pas deux. Elle semble seulement se regarder à travers deux faces - comme une sphère se connaîtrait en créant un dedans et un dehors imaginaires.


Dans la tradition de l’Advaita Vedānta, cela est exprimé par l’image de la corde prise pour un serpent : l’erreur de perception vient de l’ignorance de notre vraie nature. Une fois la corde reconnue pour ce qu’elle est, le serpent disparaît. De la même manière, une fois la conscience reconnue comme ce que nous sommes - sans besoin d’un sujet et d’un objet - toute séparation se résorbe. Il reste la pure lumière du connaître, sans direction, sans dehors, sans dedans.


Le Shivaïsme du Cachemire développe encore davantage cette vision, en montrant que cette dynamique d’apparente division - prakāśa et vimarśa, lumière et reconnaissance de la lumière - est le jeu même de la Conscience. La relation sujet-objet n’est pas une erreur, mais un līlā, un jeu sacré, où l’unique se déploie en multiplicité pour savourer sa propre plénitude. Mais ce jeu ne peut jamais cacher sa source. Il est toujours ramené à l’instant vivant, à la reconnaissance silencieuse de la Présence. C’est là que le “sujet”

s’efface, et que le “connu” se dissout. Il ne reste pas un “troisième” au-delà des deux — il reste Cela, qui n’a jamais été deux. Cela que tu es. Cela que tu n’as jamais cessé d’être.


Comme le dit l’Ashtavakra Gītā :

« Tant que demeure une dualité entre le connaissant et le connu, il y a ignorance. Mais lorsque tout est reconnu comme étant le Soi, il n’y a ni deux, ni même un. »

(Ashtavakra Gītā, II.15)


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