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Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

vendredi 4 juillet 2025

Du Témoin à l’UN


Il y a dans la Mundaka Upanishad (III.1.1–2) une image d’une beauté saisissante : celle de deux oiseaux perchés sur le même arbre. L’un des deux mange les fruits de l’arbre, sucrés ou amers selon les moments. Il expérimente. Il vit. Il souffre. Il espère. Il goûte le monde, pris dans le cycle du samsara, des douleurs et des plaisirs, alternant sans cesse entre l’identification à un des pôles des paires d’opposés. L’autre oiseau, silencieux, observe. Il ne mange rien, il ne fait rien, il ne juge pas. Il est témoin, simple présence, pure conscience.


« Deux oiseaux, amis inséparables, reposent sur le même arbre. L’un mange les fruits sucrés, l’autre regarde sans manger. »

(Mundaka Upanishad, III.1.1)


En réalité c’est une magnifique métaphore du Soi. L’oiseau qui picore, c’est le jīva, l’âme individuelle, l’être humain identifié à ses expériences, à son histoire, à ses désirs, à son effort d’être quelqu’un. L’autre oiseau, lui, représente le paramātman, le Soi suprême, qui ne fait qu’être, présence immuable, sans choix, sans désir — pure lumière consciente.


La même image est reprise dans la Shvetāshvatara Upanishad (IV.6–7), signe de son importance :


« Deux oiseaux, liés ensemble, amis, sont perchés sur le même arbre. L’un mange le fruit doux et amer, l’autre, sans manger, observe. »

(Shvetāshvatara Upanishad, IV.6)


Mais il ne s’agit pas d’une dualité. Dans les deux textes, il est précisé que, lorsque l’oiseau mangeur lève les yeux vers l’autre — le témoin silencieux —, alors il se souvient de sa vraie nature. Il se reconnaît. Il cesse de s’agiter pour revenir à ce qu’il n’a jamais cessé d’être. Ainsi, les deux ne sont pas deux au sens absolu. Ce sont deux aspects d’une seule et même réalité : la conscience en tant qu’identification, et la conscience en tant que témoin.


Il y a ici une profonde résonance avec une scène de l’Évangile selon Luc (10, 38-42), où Jésus rend visite à deux sœurs : Marthe et Marie. Marthe s’agite, prépare, s’affaire ; Marie, elle, reste assise, silencieuse, à l’écoute. Marthe s’en plaint : « Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour servir ? » Et Jésus répond : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et t’agites pour beaucoup de choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée. »


Ce n’est pas un jugement moral. Ce n’est pas une hiérarchie entre action et contemplation. C’est une invitation à reconnaître que ce qui est fondamental, c’est la présence. Le silence. L’écoute. Ce qui importe vraiment en nous ne fait rien, mais par quoi tout est connu.


Et pourtant, le but n’est pas de fuir l’action. Le vrai retournement se produit lorsque l’on voit que les deux oiseaux sont un. Que celui qui goûte le fruit n’est pas séparé de celui qui regarde. Que le corps, l’action, les émotions — tout cela — sont traversés, habités, baignés par cette conscience silencieuse qui ne fait rien, mais qui est tout.


Rūmī l’exprime ainsi, dans un poème vibrant d’unité :


« J’étais cru, je suis devenu cuit, puis brûlé.

Je suis devenu l’océan où les deux rivières s’unissent.

Je ne suis ni ceci, ni cela — je suis les deux, et au-delà. »

(Dīwān-e Shams, Ghazal 648)


Alors, la dualité s’évanouit. Le témoin n’est plus une entité séparée. L’expérience n’est plus un piège. Le sucré ou l’amer ne sont plus à éviter ou à rechercher. Car ce qui goûte et ce qui contemple ne font qu’un.


Et c’est cela, peut-être, le plus grand mystère : le fruit de la vie est goûté par Dieu lui-même — à travers nous, en silence. 

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