Feel it !




Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

mardi 29 juillet 2014

                                 L'art de vivre en accord avec ce qui est


Lorsque vous contemplez un coucher de soleil sur la mer, vous arrive-t-il de vous dire que le soleil ferait mieux de se coucher plus vite ou plus lentement, en zigzag ou en se balançant et que la mer serait mieux dans une teinte plus ocre, plus bleu métallisée ou plus vert lézard ? Vous arrive-t-il de comparer ce coucher de soleil-ci avec celui du 1er Octobre 1983 sur la pointe rouge à Marseille ?

                                      

Lorsque vous contemplez les vagues, vous arrive-t-il de vouloir que le rythme et la longueur des ondulations changent ?

                                      

Vous arrive-t-il en observant la course des nuages d'espérer ou de craindre que telle forme se présente dans tel stratocumulus ou tel cirrus ?

                                     

Lorsque votre regard se pose sur une fourmilière désirez-vous que les fourmis passent par d'autres chemins que ceux qu'ils empruntent et que la fourmilière ait une forme différente que celle qui apparaît à vous dans l'instant ?

                                   

Lorsqu'à la fin de l'hiver un vol d'oies bernaches survole la campagne vous irritez vous à l'idée que le dessin de ce vol ne soit plutôt un S un Q ou un T que ce V ? 

                                  

Lorsqu'un soir d'automne vous avez la chance de tomber sur un essaim tourbillonnant d'étourneaux entrez-vous en lutte avec l'extraordinaire complexité et la beauté des formes qui se font et se défont ? En d'autres termes souhaitez vous que ces formes soient différentes de ce qu'elles sont ? 

                                   

La réponse à toutes ces questions est évidemment non. Car nous avons spontanément, sans besoin de réfléchir, le pressentiment que en ce qui concerne la nature, les phénomènes ne pourraient pas être différents de ce qu'ils sont. Lorsque nous observons la campagne, un rocher, un arbre, une fleur, la mer, le ciel, les montagnes, notre regard devient spontanément passif dans le sens où il ne cherche pas à modifier la réalité ou à changer ce qui est. Au sein de ce regard, nulle intention, nulle volonté personnelle de modifier la réalité telle qu'elle se présente. En même temps le regard devient très vivant : Il se défocalise et se rend disponible au spectacle qui nous est offert avec une grande vigilance. Le regard se fait miroir et se laisse en quelque sorte regarder par les arbres, les fleurs, les insectes, les sous bois et les nuages. Ainsi, ce miroir reflète fidèlement les reflets des formes et des couleurs qui se reflètent en lui. C'est une joie immense que d'être ce miroir et laisser la nature se refléter spontanément en nous. C'est pour cela que la plupart d'entre nous aimons tant être en contact avec la nature. C'est parce que spontanément nous la laissons être ce qu'elle est. Et en sa présence non jugeante, nous nous montrons tels que nous sommes. Nous arrêtons de nous prendre pour un patron ultralibéral ou un employé syndicaliste, une maman ou un fils, un professeur ou un élève. Devant un arbre nul besoin de prétendre être ceci ou cela. La nature met tout le monde d'accord. Il est aisé de laisser tomber nos masques sur un chemin forestier ou sur une plage déserte, dans un champs de colza ou un pré ou paissent des moutons.
Mais observons que la cause ultime de cette paix et de cette joie que certains éprouvent spontanément au contact de la nature est en réalité l'éveil discret à notre nature profonde. Proust ne disait-il pas que la beauté était dans le pouvoir réflexif du regard et non dans le pouvoir réfléchissant de l'objet.
Ainsi la nature ne fait que révéler notre propre nature non duelle.


La question est donc : pourquoi voulons nous intervenir dans ce regard dès le retour à la civilisation ?
Sans aucun doute parce que nous croyons que les choses pourraient être différentes de ce qu'elles sont et que nous croyons à l'idée d'un moi indépendant et séparé, doté d'une volonté propre et toutes sortes de croyances qui en découlent : la responsabilité individuelle des actes et des pensées, le mérite, la culpabilité, la honte, la justice, les tables de lois et la morale, l'idée que je me dois d'accomplir certaines choses, que la vie a une direction, un sens (qui va dans le sens de nos intérêts personnels, bien sûr...).



Lorsque votre petit ami vous dit "il faut que l'on parle", est-ce que vous écoutez avec la même disponibilité et la même ouverture que le chant d'un oiseau ? N'y a-t-il pas alors une contraction qui s'installe dans le ventre ou la région du cœur ? L'écoutez-vous avec la même détente que le sable chaud sous la plante des pieds dans un chemin forestier ? Lorsque votre maman vous rappelle combien vous avez toujours été insupportable à vivre, l'écoutez-vous à partir de cet espace éveillé qui ne désire rien pour lui-même ou à partir de l'idée qu'une maman devrait être plein de compassion et de tendresse à l'égard de ses enfants ? Lorsque le voisin vous traite d'idiot, n'êtes vous pas enclin à vous identifier à un certain nombre d'images dont celle de votre poing sur sa figure ? Lorsque votre fils vient vous annoncer qu'il a un cancer, n'avez-vous pas le sentiment que c'est injuste ou que les choses auraient pu être différentes ? Lorsque votre employeur vous convoque pour une procédure de licenciement économique, ressentez vous pleinement depuis l'espace conscient l'angoisse qui se localise dans le plexus solaire, ou essayez vous au contraire de ressentir autre chose ? Pourtant, lorsque l'effluve des pins vous gagne, vous n'essayez pas de vous souvenir du parfum de la brise marine.


Dès que le vouloir intervient dans le regard, il y a une forme de distorsion du réel, qui s'accompagne d'une sorte de tension dans le corps, même minime.
Cette contraction vient toujours de la pensée crue que les choses ne devraient pas être telles qu'elles sont.
Nous sommes programmés depuis si longtemps pour ne pas accepter la réalité telle qu'elle est. Car nous croyons avoir le choix.
"Accepter ce qui est" ne signifie pas que l'on doive ne rien faire, ne rien sentir, ne rien penser. Ce serait encore vouloir figer la vie, ce qui serait se méprendre totalement par ce que l'on entend ici par le terme accepter. Il s'agit simplement de voir, de constater que l'on ne peut s'empêcher d'agir, de réagir ou de ne rien faire et que tout jugement par rapport à la situation est lui-même inéluctable. Si nous apprenons qu'un ami a le cancer, on réagira en fonction de ses croyances, de son éducation familiale, religieuse, scientifique, de sa peur ou non de la mort, de ses connaissances en matière de médecine allopathique ou holistique. Nous serons abattus ou stimulés. À un moment donné on se rend compte que tout est inéluctable, y compris nos réactions ou non réactions, y compris nos conditionnements mentaux et corporels. Nous réalisons que toute pensée, action, expérience, perception n'apparaissent que parce en amont de toute pensée, action, expérience et perception, la Présence consciente a déjà permis leur éclosion, la vie a déjà accueilli cela, la vie a déjà dit oui. Nous réalisons que nous sommes la vie qui a déjà accueilli tout cela et qu'il n'y a pas d'auteur personnel. Lorsque l'inéluctable est constaté à chaque étage de notre vie, une grande détente surgit.


Développer une grande sensibilité pour se rendre compte à quel point nous intervenons sans cesse au sein de ce regard ouvert, qui n'a jamais cessé d'être là et qui ne fait que constater et dire Oui à tout ce qui en lui se manifeste. Réaliser à quel point nous surimposons à ce regard, qui est simple constat de ce qui est, nos propres préjugés, stratégies et attentes ainsi que ce flot continu d'interprétations.


Les moments où ce regard simple et ouvert, libre de toute intention, libre de peurs et de désirs se manifeste dans notre quotidien sont très brefs. Nous avons oublié et désappris ce que c'est que de voir. Notre regard est complètement voilé par toutes sortes de croyances et un imaginaire foisonnant. Nous percevons la vie au travers d'une vitre complètement embuée. Nous cheminons dans un brouillard dense de filtres égotiques au travers desquels la vie est perçue. L'invitation que nous fait la nature est celle de nous réapprendre à voir. Antisthène, un disciple de Socrates, ne disait-il pas que : "Ce qu'il y a de plus utile à apprendre c'est de désapprendre ce qui est faux". Donc, découvrir à quel point le regard lui-même est embué par tous ces commentaires, espoirs, projets et imaginaires qui tournent en boucle. Il s'agit alors de quitter le vu pour voir vraiment.

Dès que nous intervenons dans le regard, le moi avec sa saisie égotique occupe à nouveau l'avant plan. Il s'agit d'observer ce moment où, d'un miroir de pur accueil, de tranquillité, de transparence et d'ouverture, notre regard s'embrume de désirs et de peurs, de petits vouloir ou de puissantes espérances. La perche qui nous est tendue est celle d'observer ce changement dans le regard au moment même où il  survient et de surprendre le mécanisme d'installation du filtre. L'invitation qui est faite ici est une invitation à constater, à voir sans juger. Mais également de réaliser que la perche nous est tendue à chaque instant de notre vie. Toute expérience qui suscite une réaction émotionnelle ou une quelconque rumination mentale, un jugement, une comparaison ou une justification est également une perche tendue pour retourner l'attention à 180° vers sa propre source et réaliser qui je suis la source. La perche tendue est toujours de réaliser que les perceptions (l'expérience, les émotions, les croyances) apparaissent et disparaissent au sein d'un regard ouvert qui est pur constat et pur accueil. Constater que tout est déjà constaté sans que personne n'aie besoin de le faire. Le constat se fait que nous le voulions ou pas. Regarder à partir de l'espace conscient, sans personne qui constate, est la perspective non duelle. Voir que cette ouverture, cette présence consciente qui est avant même l'apparition de toute perception, est ma nature véritable.

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