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Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

samedi 17 mai 2025

Se défaire même de la volonté de Dieu selon Maître Eckhart

Article écrit en pensant à mon amie Alexanne Léveillé, qui vit un chemin de croix de la maladie chez elle au Canada, égal à celui de Jésus ou de Thérèse de Lisieux par les douleurs qu’occasionne sa maladie qui semble inguérissable et l’amour qui se révèle au centre de la croix. Elle a beaucoup espéré guérir la maladie, prié pour demander. Mais elle a peu à peu réalisé que l’espoir engendrait le désespoir et que la demande n’était pas vraiment de l’amour, mais la mettait dans un état subtil d’agitation et de tension. Aujourd’hui elle trouve la paix véritable en lâchant toute volonté, même celle de guérir. 

Il existe chez Maître Eckhart un passage d’une radicalité vertigineuse, issu de son sermon intitulé De la pauvreté en esprit, qui a bouleversé de nombreux chercheurs spirituels, tant il renverse même les attentes les plus sacrées. Il y affirme que tant que l’homme veut accomplir la volonté de Dieu, il n’est pas encore pauvre. Que le véritable pauvre en esprit, celui dont parle l’Évangile, « ne veut rien, ne sait rien, ne possède rien ». Et il précise : « Je le dis en vérité : tant que tu veux accomplir la volonté de Dieu, et que tu as le désir du ciel ou de Dieu, tu n’es pas aussi pauvre que celui dont je parle. »

Ce qu’il appelle ici « pauvreté » ne signifie pas misère ou ascèse, mais dépouillement absolu, au point de se libérer même du désir de Dieu. Cela peut sembler choquant à première vue, presque blasphématoire. Pourtant, ce que Maître Eckhart pointe avec une clarté fulgurante, c’est que tant qu’il y a une volonté, fût-elle tournée vers Dieu, il y a encore un moi. Un chercheur. Un être séparé qui veut quelque chose, même si ce quelque chose est la sainteté, le salut ou la béatitude divine.

Dans cette perspective, l’ultime pauvreté est l’effacement de toute volonté personnelle, y compris la volonté dite « spirituelle ». Il ne s’agit pas d’un rejet de Dieu, mais d’un silence si profond qu’il n’y a plus de place pour la dualité, plus de séparation entre celui qui désire et ce qui est désiré. La vacuité devient alors le seul temple, et c’est dans ce vide sacré que l’Absolu se révèle à Lui-même.

Cette compréhension rejoint pleinement la vision non-duelle de l’éveil. Dans l’Advaita Vedanta, on enseigne que l’illusion la plus subtile est celle d’un « moi » qui cherche la libération. Tant qu’il y a quelqu’un qui veut s’unir, l’union est encore voilée. C’est en cessant d’être un « faiseur » que le silence rayonne. Ramana Maharshi disait : « L’abandon véritable consiste à se dépouiller de l’idée : “Je suis le faiseur” et à demeurer silencieux. » Et l’Ashtavakra Gītā l’exprime ainsi : « Le connaissant de la vérité n’a ni désir pour le plaisir ni rejet du déplaisir. Il est libéré de toute action intérieure, même du désir d’agir justement. »

Ainsi, ce que Maître Eckhart appelle pauvreté en esprit n’est rien d’autre que l’abandon du dernier des voiles : le désir d’être bon, le désir d’être en règle avec Dieu, le désir de faire Sa volonté. Ce n’est qu’en lâchant tout, même cela, que l’étincelle la plus pure de l’âme peut briller — cette étincelle dont il disait qu’elle ne connaît ni Dieu ni créature, car elle est ce que Dieu est, et même au-delà de Dieu tel qu’on peut Le concevoir.

Ce n’est pas une invitation à l’indifférence ou au nihilisme, mais à un dépouillement si radical qu’il ne reste plus que la Présence nue, libre, sans nom ni forme. Et dans ce silence, Dieu ne parle plus : Il est. Et Atman est Brahman, et le Père et Moi sommes UN.


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