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Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

samedi 17 mai 2025

Il n’y a personne à éveiller


L’éveil n’arrive pas à quelqu’un. Il n’arrive pas dans une personne, pas grâce à elle, ni même malgré elle. Il « arrive » à la place de la personne.


Il faut bien comprendre ce qui vient d'être dit et peut-être le lire encore une fois pour bien l'assimiler. Car la personne — celle qui veut s’éveiller, celle qui médite, qui lit des livres, qui fait des retraites, celle qui admire Ramana Maharshi ou Jésus ou Bouddha — n’existe que tant qu’elle n’est pas vue comme une illusion. C’est une construction, une superposition mentale sur un réel infiniment plus vaste, plus silencieux, plus simple.


Le sage Gaudapada, le maître du maître de Adi Shankarasharya (un des pères fondateurs de l’Advaita Vedanta), dans sa karika (commentaire) de la Mandukya Upanishad, disait :

« Tant que la corde est prise pour un serpent, la peur est là. Mais une fois que la corde est vue pour ce qu’elle est, il n’y a rien à détruire : le serpent n’a jamais existé. »


C’est pareil pour la personne : elle n’a pas à disparaître, parce qu’en réalité elle n’a jamais été là. Elle n’a jamais eu d’existence indépendante. Il suffit de voir clair, de cesser de prendre ce qui n’est pas réel pour le réel. L’éveil est une dés-illusion, un dévoilement de l’interprétation fausse, pas une performance glorieuse. C’est une soustraction, pas une addition.


Et pourtant, nombreux sont les chercheurs spirituels qui continuent à rêver de devenir quelqu’un d’éveillé. Ils entendent ce message une fois, dix fois, cent fois, mais l'appât du gain espéré est trop fort pour cesser d'attendre quelque chose d'émerveillant plus tard que maintenant et ailleurs qu'ici. 

Un jour, peut-être, avec assez de pratiques, de mérites, de purifications, de vidéos de non dualité sur internet, d’enseignements, je deviendrai comme Nisargadatta. Je parlerai comme lui avec une verve et une assurance uniques, je fumerai des bidis ou des gitanes sans filtre comme Stephan Jourdain, je renverrai les gens à leur vraie nature avec des phrases cinglantes ou poétiques. Ou bien je serai comme Ramana, silencieux, doux, regardant le monde depuis une grotte sans jamais juger, avec un sourire de Bouddha.


Mais qu'imaginez vous vraiment ? Et si on avait vécu auprès d'eux au quotidien ?

Si on avait dormi dans la même chambre que le Bouddha après une journée moite et sans savon, ou si Jésus avait renversé notre cruche d’eau un matin en se levant trop vite, ou si Ramana nous avait ignoré trois jours d’affilée parce qu’on avait posé une question idiote, aurions-nous toujours été pleins de dévotion ? N'aurions-nous pas ressenti la même irritation qu'avec notre compagnon ou, nos parents ou nos enfants ?


L’idéalisation est une fuite, une forme subtile de préservation de l’ego. Tant qu’on croit que l’éveil rend la personne parfaite, on s’accroche à l’idée qu’on n’est pas encore prêt. Et on voit ça lorsque l'on émet une petite critique à l'égard du maître vénéré combien cela froisse immédiatement la susceptibilité et créé une réactivité parfois très violente. 


Et c’est ça le vrai problème. Ce n’est pas notre manque de méditation, ni notre incapacité à rester concentré, ni même notre tendance à manger de la viande ou trop de chocolat en cachette.

Le vrai problème, c’est qu’on croit encore qu’il y a quelqu’un qui va devenir éveillé. Et qu’on alimente cette croyance à coups de mythes, de récits de vie, de biographies de saints et d’histoires de miracles.


Mais la seule chose qui s’éveille, c’est la conscience elle-même, à elle-même.


« Dieu dort dans le rocher, Dieu rêve dans la plante, Dieu bouge dans l’animal, Dieu s’éveille dans l’homme », disait Ibn ʿArabî.


Il n’y a pas d’intermédiaire. Pas de propriétaire. L’éveil, c’est l’effondrement de la croyance qu’il y avait quelqu’un d’autre que Cela.


C’est pourquoi Baliyani, dans son Traité de l’unité, pouvait dire : « J’ai connu mon Seigneur par mon Seigneur. »


Et non par une personne. Et encore moins par une version améliorée d’une personne.


Alors oui, c’est une déconstruction. Une douce dissolution de l’illusion. Un retour à la simplicité sans histoire, du moins le personnage, le corps mental n'est plus au centre, il apparaît dans le miroir, dans la périphérie, dans les albums photos. Mais à 0 distance de moi-même, il n'ya que pure Présence, pure transparence, pur accueil.


La vérité ne s’ajoute pas à la personne, elle la dissout. Comme la lumière qui fait disparaître le serpent. Et la véritable connaissance, ici, est reconnaissance : je ne deviens pas, je réalise ce que je n’ai jamais cessé d’être, sauf en imaginaire. 


Aussi si tu cherches l’éveil regarde ce qui cherche. Hui Neng, 6e patriarche du Chan résumait cela en une phrase cinglante : « Retourne-toi le secret est là ».

 

Tu veux comprendre ? Reconnais ce par quoi est connu l’imaginaire qu’il y a quelque chose à comprendre. Et quand tout cela se calme — pas parce que tu as trouvé, mais parce que tu as cessé de chercher comme une personne — il ne reste que la corde. La présence nue, sans nom, sans rôle, sans histoire.


Et cela, tu l’es déjà.


Même en râlant. Même en doutant. Même en adorant ton maître ou en te disputant avec ton voisin.


Même et surtout maintenant.


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