Il y a des phrases qui semblent anodines, presque scolaires, et qui pourtant contiennent une énigme susceptible de nous faire sortir de l’auto-illusionnement dans lequel la logique apparente semble nous maintenir à condition que notre questionnement devienne radical.
Prenons celle-ci : « Tous les hommes sont mortels. Socrate est un homme. Donc, Socrate est mortel. »
Ce syllogisme, l’un des plus célèbres de l’histoire de la logique, est tiré de la tradition aristotélicienne. Aristote, au IVe siècle avant notre ère, dans son traité Premiers Analytiques (Analytica Priora), y jette les fondements de la déduction formelle. Bien que cette formulation précise n’apparaisse pas telle quelle sous sa plume, elle illustre parfaitement ce qu’il appelait un syllogisme en figure I, mode Barbara — c’est-à-dire un raisonnement où deux prémisses universelles affirmatives mènent à une conclusion elle aussi universelle et affirmative. Socrate est ici un nom emblématique, choisi pour représenter l’humanité tout entière — non parce que Socrate est un personnage abstrait, mais justement parce qu’il est terriblement humain. Ce syllogisme est donc devenu, au fil des siècles, un exercice typique de démonstration logique, enseigné dans toutes les écoles de philosophie. Et j’en ai fait les frais comme vous peut-être, en terminale puis en licence et maîtrise de philosophie à la Sorbonne où la logique aristotélicienne conditionne « l’amour de la sagesse » qui est le sens des deux mots grecs qui construisent ce mot : philia qui signifie amour et sophia qui signifie sagesse.
Mais qu’advient-il de ce syllogisme universel lorsqu’on le regarde depuis la perspective non duelle. Que se passe-t-il si l’on écoute ces phrases non pas depuis l’intellect… mais depuis la conscience nue, celle qui précède toute pensée ?
Tous les êtres humains sont mortels. Je suis un être humain. Donc… je suis mortel.
Voilà. C’est logique. Implacable. Et pourtant… Quel est ce « je » qui affirme cela ? Le corps ? Une pensée ? Une identité sociale ? Ou bien quelque chose qui voit toutes ces choses venir et partir, sans jamais être elles ?
La non-dualité nous invite à regarder autrement. À voir que ce « je » que nous croyions être un individu mortel… n’est, en réalité, qu’un costume temporaire flottant dans la lumière de la conscience.
Et la conscience elle-même ? Elle ne naît pas. Ne meurt pas. Elle est l’écran silencieux sur lequel tout apparaît… et disparaît.
Alors le syllogisme se retourne doucement : Tous les êtres humains sont mortels. Une forme humaine apparaît dans la conscience. Mais moi, conscience, je ne suis pas cette forme. Donc… la mortalité ne s’applique pas à moi.
Ce n’est pas une croyance à adopter. C’est une reconnaissance à goûter. Ici. Maintenant. Rien à imaginer. Rien à croire. Juste à voir.
Ce que tu es n’a ni contour, ni âge, ni préférences, ni biographie, ni histoire. Et pourtant, tout cela apparaît en toi. Le « je suis » que tu es… est plus vaste que tout ce que tu as cru être. Même le plus noble syllogisme doit se soumettre à cette évidence indéniable et s’incline devant l’expérience directe d’être.
N’oublions pas que la recherche de la Vérité absolue nous fera passer par une perte de repères totale, car cela exige non pas un simple changement de perspective mais une totale remise en question de notre paradigmes. Cela se comprend ici dans le 2e logion de l’Évangile de Thomas.
“Que celui qui cherche ne cesse de chercher jusqu’à ce qu’il trouve ;
et lorsqu’il aura trouvé, il sera bouleversé ;
et ayant été bouleversé, il sera émerveillé,
et il régnera sur le Tout.”
(Évangile selon Thomas, logion 2)
J’ai cru être un être humain en chemin vers l’absolu. Et je découvre que je suis l’absolu… rêvant qu’il est un être humain.
Tu n’as rien à faire de plus. Tu es déjà Cela. Tu l’as toujours été. Rien ne peut te définir et pourtant tout émerge de toi et en tant que Toi.
Le syllogisme, lui, s’efface. Mais toi, tu es encore là. Sans mots. Sans conclusion. Pure Présence consciente. Simplement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire