Le bateau ivre
J’ai adoré découvrir Le Bateau ivre de Rimbaud au lycée. Ce poème m’a souvent accompagné au fil des ans. J’ai même failli l’apprendre par cœur à plusieurs reprises sans jamais aller au bout de ce projet, ma nature flemmarde ayant pris le dessus comme souvent dans ma vie.
Récemment, une amie, qui essaye justement de l’apprendre par cœur, m’en a déclamé plusieurs extraits. Quand je lui ai dit combien ce chef d’œuvre poétique me touchait sans jamais vraiment en comprendre tout à fait le sens, elle m’a répondu : « Mais c’est le bateau qui descend les fleuves impassibles, c’est vraiment un poème tantrique ».
Du coup, je me suis vraiment remis à le relire, en pleine conscience. Et là j’ai pressenti que ce n’était pas simplement le bateau qui descendait les fleuves impassibles, mais une métaphore de la Conscience Elle-même qui en réalité se dépouille de tout ce qu’elle n’est pas, du poids des mémoires et de l’ancien monde, le monde des habitudes et des conditionnements, hanté par la puissante hypnose de l’illusion de séparation.
Ce poème est en réalité un voyage métaphorique immobile, un apparent chemin de rédemption, de dépouillement et aussi d’inclusion de toutes nos parts manquantes, de réintégration de nos angles morts, où l’on perd toutes ses identités pour enfin se retrouver tel qu’on n’avait jamais cessé d’être. Un voyage initiatique et spirituel au sens non duel de ce terme, à l’instar du voyage d’Ulysse, ou du fils prodigue et de tant d’autres histoires humaines qui nous content la nostalgie du retour à la maison.
Le bateau ivre est en réalité une invitation au voyage du dépouillement mais aussi de l’inclusion. À la fois un voyage védantique et un’vtantrique, un voyage de reconnaissance de soi et d’amour pour tout ce qui est, pour transmuter l’illusion d’être séparé et renouer avec l’ivresse d’être. Je me suis donc amusé à commenter ce monument de la littérature française dans une perspective non conventionnelle et surtout non duelle. Probablement parce que à un moment il devient évident que toute œuvre d’art bien que je pense certaines beaucoup plus que d’autres, comme celle-ci, invitent de façon implicite ou inconsciente à la reconnaissance de l’unité de la Vie.
Et voilà que m’est venu l’idée d’en faire une chanson et de rajouter à la lecture des 4 premières strophes de ce long poème de Rimbaud (qui en compte 28) quelques autres paroles pour rendre évident la lecture non duelle que j’en ai fait :
Le bateau, ivre
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.
Comme ce bateau, je suis ivre d’amour
d’un amour libre qui n’exige rien en retour
Comme cet o - céan qui danse toujours
En mille et une vagues qui me disent chaque jour
Aime toujours car tout ça c’est fait d’amour
En chaque vague l’océan
se savoure
Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !
Comme ce bateau je m’enivre d’azur
Au fil de l’eau je guérirai de toutes mes blessures
Comme lui j’ai pris un aller sans retour
Car le chemin en valait vraiment le détour
C’est bien trop tard pour faire demi-tour
Il n’y aura plus jamais plus de toujours
Que reste-t-il de toutes nos histoires
Beaucoup de défaites et aucune victoire
Quand vient le naufrage on serre la voile
Et on jette à la mer tous ses rêves en étoile
Je bois la tempête et recrache des éclairs
Sans coups de foudre ni d’éclats de verre
J’ai vu sombrer mes doutes aux confins de la nuit
Le vent me dit d’être tout ce que je suis
Comme ce bateau, je suis ivre d’amour
d’un amour libre qui n’exige rien en retour
Comme cet océan qui danse toujours
En mille et une vagues qui me disent chaque jour
Aime toujours car tout ça c’est fait d’amour
En chaque vague l’océan se savoure