Ces derniers jours, à la suite de plusieurs articles et de quelques photos en vision sans tête publiées sur Facebook, un échange intéressant s’est ouvert. Dans ces photos, le doigt pointe vers l’ouverture même d’où chacun voit, et le corps de celui qui prend la photo est inclus dans l’image. Pour certains, cette esthétique peut donner l’impression que je cherche à opposer un grand Soi au petit soi, comme s’il fallait effacer le personnage pour le remplacer par une conscience impersonnelle. C’est une idée qui revient souvent et qui ne correspond en rien à ce que j’en fais l’expérience. Elle revient surtout chez ceux qui n’ont pas encore fait l’expérience directe de la vision sans tête, ce qui peut conduire à projeter sur cette approche des intentions qui ne sont pas les miennes.
Le personnage apparaît bel et bien. Il apparaît dans le miroir, dans les photos, dans les vidéos, dans les pensées. Il apparaît, mais toujours là-bas, en périphérie, comme une forme parmi d’autres. Au centre, ici, demeure l’espace clair et ouvert, vivant et sans forme, qui ne disparaît jamais. Voir cela ne supprime rien et n’exclut rien. Cela révèle simplement le lieu réel d’où nous voyons. La vision sans tête ne nie pas le moi personnel et ne cherche pas à l’effacer. Elle montre au contraire qu’il est accueilli dans cet espace, qu’il en est une expression vivante, comme une vague est expression de l’océan ou comme l’image est expression de l’écran. Rien n’est séparé. Rien n’est sacrifié. Et c’est pour cette raison que je la vis comme une voie de l’amour, car elle montre concrètement que ce qui apparaît n’a jamais été en dehors de ce que nous sommes.
Voici donc l’échange tel qu’il a eu lieu.
Commentaire de Pierre :
Dan Speerschneider en accord sur plein de tes affirmations, mais non tu ne captes toujours pas là où je te mets en doute. Je ne parle nulle part d’incarnation ou de réincarnation comme des actes d’une identité absolue qui entre dans un corps. Je parle de la manifestation de ce que nous sommes là maintenant, celle que tu dénigres sans t’en rendre compte. Que tu le veuilles ou non tu divises, tu considères incessamment la dualité comme une opposition à la non-dualité. Tout cela est binaire, avec ces images récurrentes de pieds dans tes illustrations symboliques qui incitent à faire disparaître la tête et l’esprit, incitant par là à éliminer un je pour laisser place à un soi comme s’il s’agissait de deux choses séparées. Ce serait bien que tu ailles voir parfois ce que je publie à ce sujet sur ma page, comme je le fais sur la tienne, ou d’aller voir mes posts sur facebook.com/rajamayayoga.
Ma première réponse
Je lis ce que tu écris, mais tu continues de m’attribuer une position qui n’est pas la mienne. Je ne dénigre pas la manifestation et je ne sépare rien du tout. Je décris simplement l’expérience directe où il n’y a jamais deux réalités, jamais un je à éliminer pour faire place à un Soi, jamais deux plans en opposition. Si tu veux absolument interpréter mes mots comme une division, c’est ta lecture, pas mon propos. La dualité n’est pas l’ennemie de la non-dualité, elle en est une apparence. Quant à mes images, elles ne cherchent pas à effacer quoi que ce soit, encore moins l’esprit, mais à pointer vers ce qui voit déjà. Merci pour ta suggestion d’aller voir tes publications, mais ce que je partage ne s’enracine pas dans une théorie, seulement dans l’évidence immédiate de ce qui est là.
Ma seconde réponse, plus complète
Pierre, tu continues de projeter sur mes mots quelque chose qui ne correspond absolument pas à ce que je partage ni à ce que j’expérimente depuis des décennies. Tu lis mes images comme si elles opposaient un je et un soi, comme si elles voulaient effacer la tête ou l’esprit, comme si elles dénigraient la manifestation. C’est exactement l’inverse. Et je vais être clair : tu parles de la vision sans tête sans jamais en avoir fait l’expérience. Car si tu l’avais faite, tu verrais immédiatement qu’elle ne supprime rien, ne nie rien, ne sépare rien. Elle révèle simplement que l’espace clair et ouvert qui perçoit n’est pas localisé derrière un visage imaginaire, mais ici, exactement ici, à zéro centimètre. Et cet espace est inséparable de ce qu’il perçoit. Comme la vague n’est pas séparée de l’eau, les formes et les couleurs ne sont jamais séparées de la transparence qui les accueille.
Tu sembles croire qu’en reconnaissant cet espace, on élimine un je pour lui substituer un soi. C’est une idée. Dans l’expérience directe, il n’y a rien à éliminer, rien à remplacer, rien à rejeter. Ce qui disparaît, c’est seulement l’illusion d’un centre localisé. Le personnage apparaît, bien sûr qu’il apparaît, mais où apparaît-il ? Dans le miroir, dans les photos, dans les vidéos, dans les pensées, toujours là-bas, en périphérie, jamais au centre. Au centre, il y a l’espace, simplement. Ce n’est pas une négation, c’est une évidence.
À partir de là, on prend soin du personnage comme on prend soin de tout ce qui apparaît, comme on prend soin d’un apparent autre, d’un enfant, d’une forêt, d’un animal, de la terre. Le personnage n’est pas séparé de l’espace, il en est une expression, comme les vagues sont expression de l’océan et les images expression de l’écran. Rien n’est exclu. Rien n’est en dehors. Et c’est précisément cela l’amour.
C’est aussi pour cela que j’insiste sur le double mouvement dont parlait Nisargadatta Maharaj. Quand je vois que je ne suis rien, c’est la sagesse. Quand je vois que je suis tout, c’est l’amour. Jésus dit exactement la même chose. Honorer le Père, c’est honorer la source, l’ouverture sans forme. Aimer son prochain comme soi-même, c’est reconnaître que tout ce qui apparaît est soi-même. Une seule vision, deux accents.
Pierre, je te le dis vraiment sans animosité. Tu interprètes mes mots comme s’ils séparaient, alors qu’ils pointent vers l’unité. Viens simplement faire l’expérience. Viens dimanche à 19h30 au satsang. En quelques minutes, tout ce malentendu peut disparaître. Il suffit de voir ce qui regarde, plutôt que de commenter l’image dans laquelle cela apparaît.

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