Sur le chemin de l’éveil à ta véritable nature, il y a deux mouvements qu’il est essentiel de discerner. Le premier émerge des profondeurs de l’être. C’est un appel silencieux, un désir sincère et pur, qui ne vient pas du mental mais d’une intuition intime. Quelque chose en nous sait qu’il y a autre chose à découvrir, ou plutôt à cesser de recouvrir. Quelque chose de plus vaste, de plus vrai, qui échappe aux limites du connu et des formes. C’est une résonance subtile, une vibration de reconnaissance, qui surgit quand l’enseignement non-duel résonne vraiment, et que l’attention se relâche dans sa source pour mieux la révéler. Ce pressentiment est sain et saint, il est la graine de l’éveil. C’est lui qui nous pousse à venir en Satsang, à nous asseoir en silence, à écouter, à méditer. Il est le moteur sacré de toute quête authentique. Il est ce que désigne le deuxième logion de l’Évangile de Thomas lorsque Jésus dit : « Que celui qui cherche ne cesse de chercher jusqu’à ce qu’il ait trouvé, et quand il aura trouvé, il sera troublé, et lorsqu’il sera troublé, il s’émerveillera, et il régnera sur le Tout. »
En parallèle à cette impulsion authentique, il existe un autre mouvement, plus subtil et souvent confondu avec le premier. Celui-ci provient du mental. C’est la recherche du moi, du personnage, de l’ego spirituel. Il veut comprendre pour saisir, accumuler pour atteindre, posséder pour se rassurer. Il croit que ce qu’il cherche se trouve ailleurs qu’ici, plus tard que maintenant. Il transforme l’appel de l’être en un projet personnel, et le mystère vivant de l’éveil en une ambition spirituelle. Il se nourrit d’idées, de lectures, d’expériences passées ou espérées. Il se compare, se juge, s’auto-évalue. Il veut devenir un individu rare, éveillé, exceptionnel. Il cherche à s’approprier la connaissance pour la tourner à son profit, et finit par transformer la noblesse de la recherche de l’être en une sorte de développement personnel raffiné. Ce mouvement-là, bien qu’en apparence spirituel, renforce subtilement la croyance en la séparation.
Il y a donc une différence immense entre ces deux élans, même si elle peut paraître subtile et difficile à discerner au début. L’un naît du silence, l’autre du bruit intérieur. L’un repose sur la confiance, l’autre sur le manque. L’un s’abandonne, l’autre veut contrôler. Parfois, l’ego spirituel se déguise si bien qu’il emprunte les mots de la sagesse, parle de lâcher-prise, répète en boucle « il n’y personne » (que ceux qui ont des oreilles entendent…) cite les maîtres, tout en cherchant encore à obtenir quelque chose pour lui-même. Il y a là comme une ombre, un angle mort, un biais cognitif qui nous fait croire que nous progressons, alors que nous tournons en rond autour du moi. Mais plus la présence s’approfondit, plus la lucidité devient fine, plus le discernement se fait naturel.
Alors, comment reconnaître ces deux mouvements ? Chaque fois qu’une pensée évoque le passé ou le futur, c’est le mental. Chaque fois qu’un sentiment de manque, d’attente, de peur ou de désir apparaît, c’est le petit moi. Il veut remplir un vide, se rassurer, retrouver une sécurité imaginaire. Il veut obtenir une expérience particulière, comme une extase, une lumière, un signe. À ce moment-là, il suffit de constater cela, simplement, sans le juger. Vous voyez ce mouvement qui veut saisir quelque chose, qui veut ajouter, obtenir ou comprendre. Vous le voyez, et vous ne touchez pas. Vous laissez ce mouvement apparaître et disparaître de lui-même, comme une vague se fond dans l’océan.
La clé, c’est de ne rien faire. De laisser le moment présent accueillir ce qui se déroule, sans commentaire, sans volonté de changer quoi que ce soit. Tout ce qui se présente à la conscience est exactement ce qui doit apparaître. Vous pensez ce que vous pensez, vous sentez ce que vous sentez, vous entendez ce que vous entendez. Et c’est suffisant. Vous laissez les émotions, les sensations, les pensées se déployer, se transformer, se dissoudre. Parfois surgiront la tristesse, la colère, la honte ou la culpabilité. D’autres fois, la joie, la paix, la félicité. Dans les deux cas, la conscience en est témoin. Vous êtes conscient de la colère, conscient de la félicité, conscient de la paix comme de la tempête. Mais vous n’êtes ni l’une ni l’autre. Vous êtes ce dans quoi elles apparaissent et disparaissent. Le fait d’être conscient est ce qu’il y a de plus constant. C’est le dénominateur commun de toute expérience, la substance même de ce que vous êtes.
Si quelque chose de désagréable monte, vous ne le repoussez pas. Vous le laissez être. C’est la perfection divine qui s’accomplit sous cette forme. C’est le sans-forme prenant forme, et vous êtes ce sans-forme. Vous êtes attentif au moindre mouvement d’attente, d’anticipation ou d’espoir d’un futur plus lumineux que maintenant. Dès que ce mouvement apparaît, vous le voyez pour ce qu’il est : une pensée, une image, une vague. Et vous restez tranquille, sans la nourrir. Tout ce qui surgit, vous le laissez se fondre dans l’immensité d’où cela vient, comme un glaçon fond dans l’eau. Vous êtes cette eau, cette présence sans effort. Et peu à peu, sans qu’il n’y ait rien à faire, l’unité tant cherchée se révèle comme ayant toujours été là.
Alors, inévitablement, le mental reviendra. Il tentera peut-être de récupérer l’expérience en disant : « Voilà, maintenant je suis dans la paix », ou bien : « Je dois continuer à pratiquer ceci, faire cela pour rester centré. » Mais voyez : c’est encore un mouvement de saisie, une tentative subtile de transformer la grâce en méthode, l’être en devenir. Même cela, vous le laissez passer. Vous n’y touchez pas. Vous laissez cette pensée se dissoudre comme une bulle à la surface de l’eau. Car ce que vous êtes n’a pas besoin d’être entretenu ; cela est, simplement. La véritable pratique est une non-pratique : c’est demeurer là où rien n’est à obtenir, là où il n’y a plus de « quelqu’un » pour atteindre quoi que ce soit. Lorsque surgit le sentiment de devoir faire quelque chose, ou l’idée qu’il manque encore un pas, laissez ce mouvement se déposer dans le silence. Ce silence, c’est vous. Rien à poursuivre, rien à retenir. Ce qui est suffit et révèle le bonheur que nous sommes déjà.

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