Depuis mes derniers articles sur le karma et sur l’impossibilité de trouver, dans l’expérience directe, une entité séparée qui pourrait s’incarner ou se réincarner, de nombreuses discussions ont vu le jour sur Facebook. Parmi elles, un échange m’a particulièrement intéressé, parce qu’il met en lumière une confusion que je rencontre souvent, aussi bien chez des personnes engagées dans le développement personnel que chez celles qui s’intéressent à la réalisation impersonnelle.
Le développement personnel peut être une exploration très riche. Il permet de mieux comprendre le personnage, d’apaiser certains conflits intérieurs, d’ouvrir des chemins de transformation et d’expression. Le Tarot, par exemple, peut jouer ce rôle de miroir symbolique, un livre vivant qui nous renvoie nos dynamiques profondes, nos peurs, nos élans, nos ombres. Rien de tout cela n’est méprisé ici, bien au contraire. Ce sont des approches utiles, parfois belles, parfois nécessaires.
Mais il existe un autre niveau, celui qui ne concerne plus l’histoire du personnage ni ses métamorphoses, mais la source même depuis laquelle toute expérience apparaît. Si l’on cherche la paix durable, la joie qui ne dépend de rien, ou la vérité de ce que nous sommes réellement, aucun travail sur la personnalité ne peut suffire. Ce travail peut améliorer le vécu relatif, mais il ne touche pas ce qui ne naît ni ne disparaît. Pour cela, il faut s’ouvrir à la réalisation impersonnelle, à la reconnaissance directe de notre véritable nature, qui n’est pas une construction psychologique, mais la présence claire et inconditionnée qui connaît toutes les expériences.
C’est précisément ce point qui suscite tant de questions. Certains pensent que s’ouvrir à cette dimension impersonnelle revient à nier la personne, à rejeter le personnage, ou à mépriser son histoire. D’autres imaginent que la réalisation et le développement personnel s’opposent. Rien n’est plus éloigné de ce que j’en fais l’expérience. Ils ne s’opposent pas. Ils se situent simplement sur deux plans différents. L’un appartient au domaine du changement, de l’évolution, du devenir. L’autre appartient à ce qui ne change pas, à ce qui demeure identique au milieu de tous les changements.
L’échange ci-dessous est né d’une de ces interrogations. Il touche à la question de l’humilité devant ce que nous ne pouvons pas connaître conceptuellement, à la tentation de croire en plusieurs incarnations comme si une entité stable se déplaçait de vie en vie, et à l’importance de revenir toujours à ce que l’expérience directe nous montre réellement. J’ai choisi de le partager ici parce qu’il peut éclairer la lanterne de ceux qui se situent à l’intersection du développement personnel et de la quête de la vérité. Il montre que l’un ne remplace pas l’autre, mais que seule la réalisation impersonnelle peut conduire à la paix profonde que nous cherchons parfois à travers mille chemins.
Voici donc cet échange, dans l’espoir qu’il clarifie un point essentiel : il n’y a pas à choisir entre améliorer la forme ou reconnaître la source. Les deux peuvent coexister, mais seule la reconnaissance de la source apporte ce qui ne passe pas.
Commentaire de Valérie :
Le Tarot est ce livre merveilleux de la vie qui a cela de comique qu’il se réécrit sans cesse et n’a jamais de fin. Chaque être en donne une définition, une perception, et chacune est toujours si riche d’enseignement. Merci pour ce partage. Par contre, je ne comprends pas pourquoi l’être humain s’évertue à parler de choses auxquelles il n’a pas accès. Comment affirmer que nous avons plusieurs incarnations, qu’il n’y a pas d’évolution à proprement parler d’une incarnation à l’autre etc. Ayons au moins l’humilité de dire qu’il s’agit d’hypothèses.
Ma réponse :
Merci pour ton message Valérie. Je suis très touché par ce que tu dis du Tarot, parce que je partage cette intuition profonde. Le Tarot peut fonctionner comme un miroir vivant, une manière symbolique et poétique d’explorer les mouvements subtils de nos identités, de nos peurs, de nos élans, de nos zones d’ombre. C’est un outil précieux pour éclairer les mécaniques du personnage et comprendre comment l’esprit se construit et se raconte. À ce niveau, c’est un véritable art de connaissance de soi.
Mais il existe, selon moi, une autre profondeur, celle qui ne concerne plus les figures ni les archétypes, mais la source même depuis laquelle toute perception surgit. Et c’est là que la métaphore de Ramana Maharshi est si juste. Comme on se sert d’une épine pour retirer une autre épine, puis que l’on laisse tomber les deux, on peut se servir de concepts pour défaire les concepts qui nous enferment. Il ne s’agit jamais d’établir un nouveau système ou de figer des croyances, mais simplement d’enlever ce qui obscurcit la vision.
Concernant les incarnations, tu poses une question essentielle. Comment affirmer que nous avons plusieurs vies, ou qu’il existe une évolution d’une incarnation à l’autre. Tu as raison d’appeler à l’humilité, car tout ce que l’on pense savoir sur l’après ne repose souvent que sur des narrations culturelles très anciennes et sur des projections. Et pourtant ce n’est pas par théorie que j’en parle, mais depuis l’expérience directe, ici et maintenant. Quand je regarde vraiment, je ne trouve jamais l’entité séparée que certaines traditions postulent comme voyageant de forme en forme. Je vois des pensées, des élans, des émotions, des mémoires, des formes qui apparaissent et disparaissent. Mais ce qui connaît ces apparitions n’a pas la forme de ce qu’il perçoit. Ce connaissant n’est jamais né et ne se déplace pas. Il est simplement là, immobile et silencieux, précédant toutes les histoires.
Et c’est seulement après avoir mené l’investigation jusqu’au bout qu’il devient évident qu’aucune entité fixe n’a jamais été trouvée. Non pas parce que l’on adopte une théorie, mais parce que l’on cesse enfin de projeter ce qui n’apparaît pas dans l’expérience directe. Dès lors, toutes les hypothèses sur les vies successives peuvent être entendues comme des métaphores utiles pour certains, mais jamais comme des réalités établies. Elles appartiennent à l’imaginaire spirituel, pas à la vision claire.
Pour moi, la vraie paix naît de cette reconnaissance. Le Tarot peut ouvrir des portes et nous aider à comprendre la structure de nos masques, mais il arrive un moment où l’on est appelé à regarder plus profondément, vers ce qui ne bouge jamais. Ce qui demeure identique au milieu de tous les tirages, de toutes les histoires et de toutes les incarnations supposées. C’est là que réside le cœur de ce que nous cherchons.
Et ce non-savoir que je découvre en moi, lorsque je m’en remets à cette présence qui ne pense pas et ne prétend rien, est précisément ce que Maître Eckhart appelait le royaume. Il disait que l’on ne peut entrer dans ce royaume que lorsque l’on ne sait rien, lorsque l’on ne veut rien et lorsque l’on ne possède rien. Cette humilité n’est pas un effort moral, c’est un dépouillement naturel qui accompagne la vision claire.
Au fond, tous ces échanges que nous avons ne servent qu’à cela. Ils grattent doucement les couches de prétention à savoir, ils dégonflent les certitudes, ils nous rapprochent de ce silence immense où l’esprit cesse d’inventer des mondes pour simplement reconnaître ce qui est déjà là. C’est dans ce non-savoir vivant et ouvert que tout s’éclaire.

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