Feel it !




Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

mercredi 18 juin 2025

Embrasser nos ombres : La voie de l’amour

 


J’ai récemment vu Vice Versa avec ma fille de 6 ans, ce film d’animation qui met en scène les émotions dans la tête d’une petite fille nommée Riley. L’une des scènes m’a particulièrement touché, et je crois qu’elle peut servir de porte d’entrée à une compréhension profonde de notre fonctionnement émotionnel — et même de notre nature véritable.

À un moment du film, Riley est envahie par la peur. L’ombre de cette peur apparaît sur un mur blanc. Elle recule. Mais comme la lumière est derrière elle, plus elle recule, plus l’ombre devient grande. Plus elle fuit, plus l’ombre s’étend, plus la peur semble réelle, gigantesque, écrasante.

Et c’est exactement ce qui se passe en nous, chaque fois que nous reculons devant une émotion que nous ne voulons pas sentir. Chaque fois que nous cherchons à éviter, fuir, contrôler une peur, une tristesse, une colère, nous alimentons son ombre. Plus nous résistons, plus cela persiste. Carl Gustav Jung l’avait déjà formulé ainsi : « Tout ce à quoi je résiste persiste. » Et j’ajouterais simplement : tout ce que j’embrasse s’efface et révèle l’espace de ma vraie nature — cet espace sans trace, sans histoire, sans centre, qui accueille tout sans effort.

La voie du sentir - telle que je la transmets depuis des années - nous invite à faire exactement l’inverse de ce que notre réflexe mental nous suggère. Non pas fuir ou analyser l’émotion, mais la laisser se déplier en nous. Sentir pleinement, dans le corps, dans la texture même de la sensation, ce que la peur ou la douleur raconte. Et plus nous approchons de l’ombre, plus elle perd son pouvoir. Que se passe-t-il si je vais au contact de l’ombre ? Elle disparaît. Elle ne peut pas résister à la lumière du regard conscient. Car l’ombre n’a jamais eu d’existence propre - elle n’est que l’absence apparente de lumière.

Je repense aussi à cette vidéo touchante que l’on trouve en ligne et dont je vous ai mis le lien ci-dessus : une petite fille voit son ombre et en a peur. Elle tente de la fuir, s’énerve, tombe, pleure. Elle ne comprend pas que l’ombre la suit parce qu’elle en est la cause. Et c’est bouleversant, parce que cette petite, c’est nous. Nous, adultes, avec nos peurs et nos désirs inavouables, nos pensées obsessionnelles, nos colères et notre désespoir, nos hontes. Nous croyons que nos ombres sont des ennemies extérieures, alors qu’elles sont simplement des zones en nous que nous avons cessé de regarder.

Dans les contes, une vérité ancienne se glisse parfois sous le masque de la naïveté. Comme cette princesse des frères Grimm qui, en embrassant la grenouille, découvre qu’elle était en réalité un prince charmant. Il en va de même avec nos émotions les plus dures, les plus visqueuses, les plus rejetées : ce sont au final toujours des appels d’amour déguisés. Des messagers nous invitant à redécouvrir l’amour en toute forme et non des menaces. À condition d’oser s’en approcher, de les tenir dans la présence silencieuse de notre cœur éveillé.

Ainsi, dans le théâtre de l’enfance comme dans celui de l’âme, l’ombre nous enseigne toujours la lumière. Que celui qui a des oreilles entende ! 

En réalité, chaque recul nous appelle, doucement, à faire le pas contraire - à revenir vers ce qui fait peur, à s’asseoir dans la tempête et le chaos de nos vies pour y découvrir l’immuable Présence. À chaque fois que nous osons rester, sentir, embrasser, être avec sans la pensée, tactilement, vibratoirement, sensoriellement, c’est notre vraie nature - libre, paisible et infinie - qui se révèle, au cœur même de ce que nous voulions fuir.

 Ça c’est la voie du sentir - la voie de l’Amour ou la voie de l’inclusion - la voie tantrique, l’autre grande voie non duelle de révélation de notre véritable nature, que j’ai suivi avec mon maître Frédéric Moreau, ostéopathe à Aix en Provence, de 1994 à 2012. À ses côtés j’apprenais, au travers de son toucher et de sa Présence silencieuse, à accueillir toutes mess zones d’ombre et « descendre amoureusement dans mes émotions refoulées et mes refus, pour révéler encore et encore la même Présence qu’ultimement je suis, mais que j’avais momentanément et par ignorance cru être l’apanage exclusif de sa personne. 

Toi aussi sœur ou frère de lumière, Tu peux au travers de la voie du sentir, tout sentir, et reconnaître ta véritable nature de pure conscience en embrassant ton ombre au lieu de la fuir.  


Le piège du “tout est parfait” : quand l’absolu devient une excuse à l’inaction et à l’à-quoi-bonisme

 


Le piège du “tout est parfait” : quand l’absolu devient une excuse à l’inaction


Il est une phrase que l’on entend souvent dans les milieux de la non-dualité : « Tout est parfait tel que c’est. » Et à juste titre. Car du point de vue absolu, il ne peut y avoir d’erreur. Pas la moindre poussière hors place, pas la moindre émotion de trop, pas le moindre sursaut existentiel inutile. Chaque souffle, chaque pensée, chaque naissance, chaque mort, chaque injustice apparente – tout surgit de la même source silencieuse, au millimètre près, à la virgule près, comme une onde unique dans l’océan infini de la Conscience. 

C’est ce qu’Adi Shankaracharya exprime dans l’Atma Bodha (v. 8) : « Tout ce qui est perçu est le Soi, car en dehors de Lui, rien n’existe. » Et Ramana Maharshi le résume avec une pureté déconcertante : « Il n’y a ni monde, ni ignorance, ni libération. Il n’y a que Cela, ce que vous êtes déjà. » (Upadesa Saram, vers 30 ; voir aussi Talks with Sri Ramana Maharshi, n°33)

Mais je vais ici tenter de mettre quelques points sur le i de ce hic qui apparaît de façon récurrente au cœur des Satsang. Car — et c’est là que commence la lucidité — cette reconnaissance peut devenir un piège, une prison dorée une torpeur spirituelle. Car si cette vérité est captée mentalement, sans être intégrée dans la chair, dans le cœur et dans les gestes de la vie quotidienne, elle se transforme en une anesthésie. Une façon élégante de ne plus sentir. De ne plus agir. De se retirer du vivant sous prétexte qu’on l’a déjà "compris".

C’est cette posture que Serge Gainsbourg appelait, avec son humour noir caractéristique, l’aquabonisme — du refrain de la chanson “Envie de rien” (1976) : « À quoi bon chercher plus loin ? À quoi bon courir après ? À quoi bon tout court ? » Désabusé, le personnage chanté par Gainsbourg s’enfonce dans une nonchalance presque mystique, mais totalement fermée à la vie.

Et dans le domaine spirituel, cette attitude devient une maladie non-duelle par excellence — bien sûr entre guillemets, mais pas sans gravité. Un état de désengagement sournois, où l’on justifie la colère, l’inertie, le jugement, la dépression… sous prétexte qu’ils sont « déjà accueillis », « déjà Cela », ou « ce que le Soi a choisi d’expérimenter ». Mais si cela était vraiment vécu comme le Soi, cela brûlerait toute résistance. Le Soi ne justifie pas la colère : il l’éclaire jusqu’à ce qu’elle se dissipe. Il n’approuve pas la jalousie : il la traverse d’une lumière si vaste qu’elle s’évanouit dans l’espace qu’elle tentait de contracter. Lorsque l’illusion est vue depuis le cœur du Réel, elle ne peut subsister. Elle ne peut se maintenir dans le feu de la Présence. Elle n’est pas “tolérée” — elle est embrassée jusqu’à sa dissolution.

Ce n’est donc pas l’émotion elle-même qui pose problème : c’est ce que nous en faisons. La maintenir en l’habillant de non-dualité, ou la laisser se consumer dans l’espace clair de ce que nous sommes vraiment — voilà la différence. Dans le premier cas, on appelle cela sagesse. Dans le second, on découvre le silence.

Il faut alors rappeler que même les plus grands sages ont traversé cette zone grise. Et que dans les grands textes non duels, ce moment de désillusion, de fatigue existentielle, ou de confusion spirituelle, est toujours suivi d’une rencontre : celle d’un Sage qui vient remettre la lumière.

Dans l’Ashtavakra Gita, le roi Janaka est éveillé intellectuellement, mais intérieurement paralysé. Il est comme figé dans sa vision de l’Absolu, incapable de vivre ou d’aimer depuis cette reconnaissance. Le jeune sage Ashtavakra vient alors lui rappeler que la sagesse véritable n’est pas l’extinction, mais la transparence : « Tu n’es pas le corps. Tu n’es pas l’esprit. Tu es pure conscience, libre et éternelle. Pourquoi donc t’inquiéter ? » (Ashtavakra Gita, I.4)

Dans la Bhagavad Gita, Arjuna tombe à genoux sur le champ de bataille, submergé de doute et de compassion, refusant de se battre. Il dit : « Mieux vaut vivre comme un mendiant que de tuer mes proches. » (BG II.5) Mais Krishna, le Maître intérieur, lui rappelle que l’inaction n’est pas la paix. Que refuser son dharma sous prétexte de non-violence apparente est en réalité une peur déguisée. Il lui enseigne l’action sans attachement : « Agis, mais ne sois jamais l’auteur. Laisse le fruit te traverser. » (BG II.47)

Dans le Yoga Vasistha, le prince Rāma revient de pèlerinage en ayant perçu l’irréalité du monde. Et il tombe dans un profond découragement : « Je ne vois plus de sens à cette vie. Tout me semble fade, illusoire, éphémère. » Vasistha entreprend alors une longue transmission — l’un des plus longs enseignements de la tradition indienne — pour l’aider à reconnaître la liberté non comme un retrait du monde, mais comme un regard neuf posé sur lui. Une vacuité qui embrasse, qui joue, qui aime.

Même le Bouddha, avant son éveil, tombe dans l’extrême ascèse et se vide de toute vitalité. Ce n’est que lorsqu’il abandonne les extrêmes, qu’il trouve la Voie du Milieu, et entre dans la véritable clarté.

Aujourd’hui encore, ce scénario se répète. Un chercheur sincère entend : « Il n’y a rien à faire. Tout est Cela. » Il en fait une devise. Puis une forteresse. Et peu à peu, il s’éteint. Plus de désir. Plus d’action. Plus d’aspiration. Mais aussi… plus de joie.

Il continue à dire : « La colère est Cela. La jalousie est Cela. » Mais la colère est toujours là. Elle revient. S’installe. Non pas comme un orage traversé, mais comme un fauteuil dans lequel il s’est assis. Il n’accueille pas réellement la colère, il cohabite avec. Il ne voit pas directement, il théorise.

Et si cela était vraiment vécu comme le Soi, cela brûlerait toute résistance.

Ce que Léo Hartung appelle dans S’éveiller aux rêves (2020), une « prise d’otage de l’absolu par l’ego spirituel » est l’un des pièges les plus raffinés sur le chemin. Il écrit : « Le danger n’est pas dans la colère ou l’inaction. Il est dans la tentative de les sanctifier. Lorsque le chercheur utilise l’Absolu pour éviter son humanité, il trahit la vérité même qu’il croit incarner. » (chap. 6)

Alors comment discerner cette confusion ? Voici quelques exemples concrets :

Quelqu’un t’insulte, et une colère vive monte. Tu dis : « C’est la colère du Soi, c’est accueilli. » Mais tu rumines encore pendant deux jours, tu as le cœur fermé et tu évites la personne. La vérité, c’est que tu n’as pas accueilli, tu as camouflé ton émotion. On appelle ça le refoulement et surtout la mauvaise foi. 

Ton corps souffre, et tu te dis : « C’est parfait ainsi. » Mais tu ne prends pas soin de lui. Tu refuses même les massages ou l’exercice sous prétexte de détachement. En réalité, tu as confondu l’absence d’attachement avec l’indifférence.

Tu compares ton chemin à celui des autres, et tu sens de l’envie, mais tu déclares : « Tout est déjà Cela, même la comparaison. » Oui… mais tant que tu compares, c’est que l’illusion est toujours active. Elle n’est pas vraiment vue. Elle est décorée. 

Le véritable accueil est un embrasement. Lorsque la colère est accueillie comme une expression du Soi, elle n’a plus d’objet. Elle ne peut demeurer et elle brûle en silence. Lorsque la comparaison est vue, elle fond dans l’unité. Lorsque le découragement est reconnu dans la lumière du Soi, il devient silence et pas un retrait.

Et c’est là que l’on comprend le message des sages : Il n’y a rien à faire, certes. Mais cela ne signifie pas « ne rien vivre ». Cela signifie : il n’y a personne pour faire. Et quand cela est vu, l’action s’ajuste d’elle-même, la parole devient juste, et l’amour coule sans obstacle.

Comme le disait Nisargadatta Maharaj : « Ce n’est pas ce que vous faites, mais d’où vous le faites. Si c’est depuis le silence, tout est paix. » (Je suis, entretien 73)
Et Ramana Maharshi : « L’action correcte vient de la paix intérieure. Si vous vous sentez en paix, même la vaisselle devient prière. »

Alors oui, tout est parfait. Mais ce n’est pas une phrase. C’est un embrasement.

Et dans cet embrasement, on se lève, on prend soin, on répond à un appel, on fait la vaisselle et on passe l’aspirateur, on ne fuit pas le conflit par peur de sentir des émotions inconfortables. Et ce n’est pas parce qu’on "doit", mais parce qu’il n’y a plus d’entrave. Parce que l’Amour se suffit à lui-même.

dimanche 15 juin 2025

La Vision Sans Tête et la thérapie non duelle

 

Quand on parle de la « Vision Sans Tête », beaucoup croient à une image, une métaphore ou une drôle d’idée venue d’un mystique anglais. En réalité, ce que Douglas Harding a nommé ainsi, c’est une proposition radicale, simple, presque enfantine, mais d’une puissance étonnante : regarder ce que je suis vraiment, ici, maintenant, sans passer par l’image mentale que j’ai de moi.


La plupart du temps, je me crois être un individu : une personne, avec un nom, un âge, une histoire, une apparence. Quand je pense à moi, ce que j’imagine, c’est une silhouette. Une tête, un visage, un corps. C’est ce que je vois dans le miroir. C’est ce que les autres voient de moi. Mais ce que je crois être là-bas, vu de l’extérieur, est-il ce que je suis réellement ici, vu de l’intérieur ?


Douglas Harding invite à retourner la flèche de l’attention. Non pas pour penser à soi, ni pour méditer sur son passé ou sa psychologie, mais pour regarder ce que je suis exactement maintenant, à zéro centimètre de distance, avant toute pensée.


Quand je regarde le monde, je vois des formes, des couleurs, des objets. Mais si je retourne le regard vers la source même de la perception — vers ce qui regarde — qu’est-ce que je vois ?


Je vois deux bras, un torse peut-être… et puis, au-dessus des épaules, je ne vois rien. Pas de tête. Pas de frontière. Pas de forme. Juste une ouverture. Un espace. Une clarté. Tout ce qui apparaît est vu dans cet espace.


Et là se produit un basculement. Je découvre que je ne suis pas ce que je croyais. Je ne suis pas un visage ou un objet situé quelque part dans le monde. Je suis le lieu même où le monde apparaît. Je ne suis pas enfermé dans un corps, je suis cet espace vaste, conscient, silencieux, dans lequel surgissent les sons, les couleurs, les mouvements… et même l’idée de « moi ».


La Vision Sans Tête, ce n’est pas une théorie. C’est une manière directe d’entrer dans l’expérience. C’est voir, simplement, que je suis vide pour ce qui est plein, clair pour ce qui est coloré, sans limite pour ce qui a une forme.


Et cette reconnaissance n’est pas psychologique. Elle ne dépend pas de mes émotions, de mon humeur, de mes blessures passées. Elle n’est pas liée à ce que je pense de moi. C’est quelque chose de plus fondamental que mes pensées ou mes ressentis. C’est une vérité d’expérience, observable ici et maintenant, sans rien croire.



Harding a souvent dit que le drame humain commence quand on prend pour soi l’image qu’on a vue dans le miroir ou dans les yeux des autres. Je dis que je suis ici ce que je parais être là-bas. Je prends une représentation pour une réalité. Et je m’identifie à un objet que je ne perçois même pas directement. Cette confusion crée un exil. Je sors de moi. Je me perds dans une image. Je quitte le centre vivant de l’expérience pour vivre à la périphérie. Et avec cette identification vient le stress, la peur, la comparaison, le besoin de prouver, de corriger, de s’améliorer.


Mais si je reviens ici — non pas dans un effort d’introspection, mais dans la pure attention — je vois que je suis l’espace d’accueil, non l’histoire. Je suis ce qui voit, non ce qui est vu. Ce que je suis n’a pas de contour, pas de limite, pas d’âge. Je ne peux pas me voir moi-même comme une chose. Et pourtant, je suis.


La Vision Sans Tête est un art de voir. Voir ce qu’on est vraiment, en amont de toute pensée, de toute construction mentale. Harding a conçu une série d’exercices très simples, très concrets, pour nous ramener à cette évidence. Pointer vers l’extérieur, puis vers l’intérieur. Observer le champ visuel. Sentir que la conscience ne fait pas de bruit, n’a pas de forme, ne peut pas être divisée.


Cette démarche ne dépend d’aucune croyance. Elle ne réclame aucun maître, aucun système. Elle part d’un fait d’expérience : ici, au centre de la perception, je ne trouve rien. Et pourtant, tout apparaît ici. Ce rien est vivant. Conscient. C’est cela que je suis.


Cette reconnaissance rejoint l’intuition profonde des grandes traditions mystiques. On retrouve la même invitation chez Bouddha, Jésus, Shankara, Nagarjuna, Ramana Maharshi, Nisargadatta, dans la tradition soufie, dans la Kabbale juive, dans le zen, le taoïsme, l’Advaita Vedanta et les Upanishads. Toutes ces voies, malgré leurs langages différents, parlent de ce retournement de la conscience vers elle-même, cette reconnaissance directe qu’il n’y a que la conscience, et que ce que nous sommes ne peut pas être trouvé comme un objet. Maître Eckhart l’a dit dans une formule lumineuse : « L’œil par lequel je vois Dieu et l’œil par lequel Dieu me voit sont un seul et même œil, une seule et même vision, une seule et même connaissance, un seul et même amour. »


Dans ma propre vie, la Vision Sans Tête est devenue un outil à la fois simple et extrêmement efficient pour reconnaître la nature réelle de ce que je suis. Je l’utilise depuis une quinzaine d’années dans une perspective thérapeutique, au cœur d’un accompagnement non-duel. Il ne s’agit pas de nier l’histoire, ni les émotions, ni les blessures du personnage, mais de les accueillir pleinement à partir de cette vision. Dans cette présence ouverte, les conditionnements perdent leur densité. L’identité fabriquée peut fondre doucement dans l’espace de ce que nous sommes vraiment.


C’est aussi l’originalité de “mon approche”

: proposer plusieurs portes d’entrée, plusieurs outils d’investigation, pour reconnaître que nous sommes, en réalité, ce bonheur même que nous cherchons. Il ne s’agit pas d’atteindre un état particulier, ni de devenir quelqu’un d’éveillé. Il s’agit de revenir là où nous n’avons jamais cessé d’être. Ici. Sans tête. Sans histoire. Dans la clarté vivante de la présence.


samedi 14 juin 2025

La paix ne dépend pas des circonstances

 


Je suis assis dans une forêt. Ce n’est pas que j’ai une soif particulière d’éloignement du « bruit du monde urbain », ni un besoin de faire une retraite spirituelle. Je suis juste là avec ce qui se donne à moi dans l’expérience directe. 

Il y a des arbres, de la lumière qui filtre, le bruissement discret d’un insecte, le souffle d’un air chaud qui se glisse entre les branches. Rien d’extraordinaire. Et, en même temps, tout est extraordinairement simple, en paix et tellement vivant. 


Pourtant, à bien y regarder, ce n’est pas la forêt qui est calme. C’est quelque chose d’autre qui s’est tu.


Le mental, ce bavard infatigable, s’est mis sur pause. Il ne dit plus : “Tiens, ça c’est un chêne, ça c’est un érable, voilà une mousse intéressante.” Il ne juge plus : “J’aurais préféré un peu plus de lumière… ou le chant du merle pour une touche poétique supplémentaire ».

Le mental ne commente plus. Il laisse simplement les perceptions apparaître telles qu’elles. 


Dans cet absence de commentaire, se révèle en arrière plan une paix qu’aucun arbre ne produit, mais que leur présence ne vient pas non plus perturber.


Alors je pourrais croire que cette paix vient du décor. Mais en vérité, elle vient de l’absence d’étiquetage.


Et c’est là que quelque chose se retourne : si je ne mets plus d’étiquettes sur la forêt, elle est paisible. Elle me met en joue. Elle pointe simplement vers l’ouverture transparente au-dessus de mes épaules. Mais si je ne mets plus d’étiquettes sur la ville, sur les gens, sur les cris, sur les rires, sur les bruits des Klaxons ou la rumeur continue du périphérique, que se passe-t-il ?


Est-ce que la paix dépend du silence extérieur… ou de l’absence de commentaire intérieur ?


Je chante à l’Opéra. J’ai une famille. Je vis à Paris. Je sais ce que c’est que le tumulte, les sollicitations, les injonctions, les pleurs d’enfant à quatre heures du matin, la fatigue et parfois l’épuisement. Et pourtant, au cœur de ce tumulte, je pressens la même paix qu’en forêt.


Comment est-ce possible ? 


Tout simplement parce qu’il n’y a ici rien à éviter, ni rien à rechercher. Je ne cherche pas à m’évader du tumulte. Je cesse simplement de vouloir que l’instant présent soit autre chose que ce qu’il est. Je laisse tomber les filtres, les jugements, les préférences mentales. Et immédiatement une douce évidence affleure, même au cœur du chaos.


Ramana Maharshi disait que la paix est notre véritable nature, et qu’il n’est pas nécessaire de la chercher ailleurs que là où nous sommes. Nisargadatta Maharaj - mon maître posthume - disait : « ce n’est pas le monde qui vous trouble, c’est votre attachement à vos propres idées à son sujet ».


La forêt n’est pas calme. Elle est simplement perçue sans commentaire.


Et si l’on pouvait appliquer cela à chaque instant ? Si l’on regardait un visage humain comme on regarde un arbre : sans attente, sans jugement, sans projet ? Alors même une foule de métro devient sacrée. Même le brouhaha des enfants devient silence.


Le silence n’est pas l’absence de bruit. C’est la présence pure, sans commentaire. Et cette présence, on ne peut pas la faire venir par une pratique. Il suffit de reconnaître qu’elle est déjà là. Toujours. Partout. Sous les feuilles, dans la mousse ou les bois morts comme dans un grand magasin bondé, sur la Place de la République au cœur d’une manifestation géante, dans ta voiture pris dans les embouteillages au son des sirènes des ambulances. 


Douglas Harding écrivait que cette vision sans tête et donc impersonnelle est une méditation parfaite, non seulement dans une forêt calme, mais aussi au marché, dans la rue, dans la foule. C’est là toute la beauté : il n’y a plus besoin de conditions spéciales quand la reconnaissance est claire. Ce qui se révèle alors, ce n’est pas que le monde soit soudainement devenu plus silencieux, mais une simple attention libre. Une écoute sans attente, délestée du moi et naturellement présente à ce qui est.


Au final ce n’est pas la forêt qui est calme. C’est toi lorsque tu ne t’identifies plus à aucune image. 

L’expérience de basculement de la Conscience

 

Je te propose une expérience simple. Tu es là. Il y a des pensées, des sensations,  des sons, des images, des émotions ou des tensions peut-être. Et puis cette question surgit : qu’est-ce qui est conscient de tout ça ? La pensée, la sensation, l’humeur du moment … tout cela est perçu. Mais par quoi est-ce perçu ? Par quoi est-ce que toutes ces perceptions sont connues ? 

Laisse une réponse émerger naturellement. 

Ça peut dire : moi, la conscience, Dieu, le Soi, je ne sais pas. Mais même cette réponse-là, elle est perçue aussi. Tu es déjà en train de voir la réponse. De l’entendre. De la ressentir. D’en être le témoin immuable. 

Alors une deuxième question peut naître, naturellement : d’où vient ce que tu viens de dire ? D’où vient ce “moi” ? D’où vient cette idée de conscience ? D’où vient le sentiment d’exister, ou le fait même de se poser la question ? D’où vient le « je ne sais pas » ou « Dieu »… 


Et là… plus rien à quoi s’accrocher. Il n’y a pas de lieu d’où tu viens. Il n’y a pas un point d’origine dans l’espace ou dans le temps où tu pourrais dire : “c’est ici que je suis né en tant que conscience”.

Ce que tu es, ça ne commence pas. Ce que tu es ne peut pas être placé quelque part. Tu ne peux pas te désigner. Tu peux juste te reconnaître. Maintenant.

Pas comme une personne et non plus comme une chose qu’on pourrait définir. Mais comme ce qui est là, toujours là, sans nom, sans image et qui accueille tout ce qui passe.

C’est tout. Pas besoin d’aller plus loin. Deux questions suffisent, parfois, à faire tomber le château de cartes de nos repères mentaux. Et dans cette dissolution, rien n’a disparu. Tout est là, simplement libéré du besoin d’être saisi.


mercredi 11 juin 2025

Trois récits emblématiques de l’éveil pour sortir de l’ignorance

Trois récits, trois époques, trois styles — mais un même appel. Platon, Truman, Neo. À chaque fois, un être humain commence à se poser une question qu’il ne s’était jamais posée : et si ce que je prends pour la réalité n’était qu’une illusion ? Et si ce que je crois être moi n’était qu’un rôle, un masque, un programme ? Et si je n’avais tout simplement jamais vraiment osé voir la réalité telle qu’elle est, sans le filtre des croyances ?


Depuis plus de deux mille ans, le mythe de la caverne, tel que Platon le raconte dans La République, continue d’interpeller ceux qui s’interrogent sur la nature de la réalité. Il décrit un groupe d’êtres humains enfermés dans une grotte, enchaînés depuis leur naissance, ne pouvant voir que le mur devant eux, sur lequel sont projetées des ombres. Pour eux, ces ombres sont le monde. Ils n’ont jamais rien vu d’autre. Et ils n’ont même pas l’idée qu’il puisse y avoir autre chose. Ce qu’ils perçoivent leur suffit. Ils vivent dans une illusion, mais ils n’en sont pas conscients. Ils sont parfaitement adaptés à cette illusion, comme nous le sommes, peut-être, à la nôtre lorsque nous sommes identifiés à ce que nous ne sommes pas : le corps et le mental. Ramana Maharshi nommait cet état où nous ne sommes même pas conscients de notre identification erronée, de notre hypnose, l’ignorante ignorance.


Un jour pourtant, l’un d’eux se retourne. Peut-être est-il libéré par quelqu’un, peut-être est-ce un mouvement intérieur. Ce n’est pas précisé dans l’histoire. Mais il se retourne. Et il voit, pour la première fois, autre chose que les ombres. D’abord, il est aveuglé. Il ne comprend pas. La lumière lui fait mal aux yeux. Il est tenté de revenir en arrière. Mais peu à peu, il s’habitue à cette clarté. Il découvre les objets réels, puis le feu qui les éclaire. Il finit par sortir de la grotte. Et là, il découvre le monde à ciel ouvert, la lumière du soleil, la source de toute vision.


Ce qu’il découvre est renversant : tout ce qu’il croyait réel n’était qu’un reflet, un simulacre. Et ce qu’il prenait pour la vérité n’était qu’une illusion. C’est le cœur même de l’éveil : non pas une acquisition de quelque chose, mais la fin de l’illusion. Un retournement radical. Le réel ne change pas. C’est le regard qui soudain s’ouvre.


Dans The Truman Show, Truman Burbank vit sans le savoir dans une gigantesque émission de télé-réalité. Depuis sa naissance, chaque détail de sa vie est mis en scène. Ses parents, ses amis, sa femme : tous sont des acteurs. Sa ville : un décor. Le ciel : une coupole peinte. Tout est faux, mais tout semble cohérent. Il est filmé en permanence, observé par des millions de spectateurs à travers le monde, mais lui n’en sait rien. Il croit vivre une vie ordinaire. Et comme nous tous, tant que rien ne l’invite à en douter, il ne se pose pas de question.


Mais un jour, un projecteur tombe du ciel. Un détail, une fissure. Puis d’autres viennent troubler l’ordre parfait : un inconnu l’appelle par un autre nom, une voix étrange surgit dans la radio, il surprend des comportements trop mécaniques. Peu à peu, le doute s’infiltre. Il commence à questionner la réalité. Ce monde si bien réglé commence à sonner creux.


Et c’est là que le retournement s’amorce. Truman cherche à sortir. Il est prêt à affronter la peur, le ridicule, le rejet. Tout semble se liguer contre lui : sa femme tente de le calmer, ses amis le distraient, la peur de l’eau — instillée depuis l’enfance — l’empêche de s’évader. Mais il persiste. Il prend un bateau et affronte la mer. Il brave la tempête, réelle ou artificielle, peu importe. Il veut voir ce qu’il y a au-delà. Et soudain, son embarcation heurte un mur : littéralement, le mur du ciel, le bord du décor. Il comprend alors. Il touche la frontière de l’illusion.


Ce moment est bouleversant. Il ne découvre pas une autre vérité. Il découvre que ce qu’il prenait pour le monde n’était qu’une fabrication. Et ce qu’il quitte n’est pas un lieu, mais un conditionnement. En ouvrant la porte qui mène au-dehors, il ne s’évade pas : il émerge. Ce n’est pas une fuite, c’est un passage. Ce n’est pas un combat, c’est une reconnaissance. Une sortie de l’ignorance. Ce que nous appelons parfois l’éveil.


Dans Matrix, Neo est un jeune homme en proie à une étrange sensation : il sent que quelque chose ne colle pas. Une impression d’irréalité, de décalage. Un doute silencieux, mais tenace. Il mène une double vie : le jour, programmeur ; la nuit, hacker clandestin. Et dans cette quête souterraine, un nom revient sans cesse : Morpheus. Puis un message mystérieux s’affiche sur son écran : « Réveille-toi, Neo. »


Quand il rencontre enfin Morpheus, celui-ci lui propose un choix décisif. Deux pilules : la bleue pour continuer à dormir dans l’illusion ; la rouge pour découvrir la vérité. « Je ne t’offre que la vérité, rien de plus. » Neo prend la pilule rouge. Et ce qu’il découvre est vertigineux : le monde dans lequel il croyait vivre n’est qu’un programme informatique. Une simulation contrôlée par des machines qui exploitent les humains comme sources d’énergie. Son corps réel était plongé dans une cuve, maintenu endormi. Il n’a jamais vécu ce qu’il croyait avoir vécu.


Ce réveil est brutal, douloureux, mais nécessaire. Car ce qu’il découvre, ce n’est pas seulement une autre réalité : c’est que toute sa perception du réel était une projection, une construction mentale. Il voit enfin les rouages. Il découvre ce qui est vu depuis la conscience, et non plus dans la conscience. Et c’est ce qui le rend libre. La liberté ne vient pas d’un nouveau monde : elle vient de l’arrêt de la croyance en l’ancien.


Mais Neo ne s’arrête pas là. Ayant vu, il aide à réveiller d’autres dormeurs. Il devient un libérateur, non par mission, mais par évidence. Il est passé de l’autre côté du voile, et sa présence invite d’autres à faire ce saut. Non par force, mais par écho. Il ne combat pas seulement un système extérieur, il incarne une rupture avec la fiction identitaire. Il découvre que ce qu’il est ne peut être défini par un programme. Et ce qu’il incarne, au fond, c’est ce que toutes les traditions spirituelles nomment le Soi : la conscience libre, non localisée, non conditionnée, capable d’accueillir toutes les formes sans s’y perdre.


Le mythe de la caverne, The Truman ShowMatrix : chacun de ces récits met en scène une traversée, une rupture avec le connu, un chemin qui ne va nulle part ailleurs qu’au centre même de l’être. Ce qui se fissure, ce n’est pas le monde — c’est les croyances que nous avons sur lui. Ce qui se brise, ce ne sont pas les apparences — c’est l’attachement que nous avons à leur accorder une réalité autonome. Et ce qui naît, dans cette brèche lumineuse, ce n’est pas une nouvelle image, une nouvelle théorie, une nouvelle croyance : c’est la réalité de la conscience infinie et sans âge, et c’est ce que diverses traditions ont nommé la libération.


Sortir de l’esclavage, ce n’est pas fuir la caverne ou détruire le décor. C’est reconnaître qu’il n’a jamais réellement enfermé que notre propre façon de voir. Et ce retournement, même s’il semble extérieur, est d’abord intérieur : un retournement du regard, vers sa source.


Et toi, lecteur, peut-être que cela te parle. Peut-être qu’il t’arrive, en ce moment même, de douter de ce que tu croyais si fermement ? Peut-être que certaines choses de ta vie semblent s’effondrer, non pas parce qu’elles disparaissent, mais parce qu’elles ne te paraissent plus aussi pleines qu’avant. Peut-être que certaines de tes convictions les plus intimes se fissurent ? Peut-être que tu commences à voir que ce que tu appelles « toi » n’est pas aussi solide, aussi séparé que tu le pensais ?


Tu continues à vivre ta vie, à prendre des décisions, à penser, à ressentir. Mais il y a peut-être des instants où tout cela te semble un peu étrange, comme si tu assistais à ta propre existence depuis un autre endroit. Comme si, soudain, ce que tu prenais pour la réalité n’était plus tout à fait crédible. Tu n’as pas forcément les mots pour le dire. Ce n’est pas toujours spectaculaire. C’est souvent même très discret. Mais quelque chose perçoit tout ça. Quelque chose voit que ce que tu prenais pour le monde est, en fait, vu. Que tout cela apparaît quelque part. Et ce quelque part, c’est Toi.


Tu n’as pas besoin de croire à une théorie. Tu n’as pas besoin de changer de vie. Tu peux juste regarder depuis ce regard neuf, frais, désencombré.


Est-ce que tout ce que tu perçois — les sons, les objets, les pensées, les émotions — n’apparaît pas en toi ? Est-ce que ce que tu appelles le monde ne se présente pas, toujours, à la conscience ? Et cette Conscience, n’est-ce pas ce que tu es au plus intime de toi-même ? Et cette Conscience, as-tu jamais été séparé d’elle ? N’est-elle pas là depuis toujours ? N’est-elle pas le dénominateur commun de chacune de tes expériences ?


Et si le monde n’était pas simplement ce que tu vois autour de toi, mais ce par quoi tu vois — ce qui rend toute perception possible ? Tu vois des objets, des visages, des paysages. Tu entends des sons, tu touches des choses, tu ressens des émotions. Tout cela, tu l’appelles le monde, le corps, le mental. Mais tout cela se présente à toi, dans la Conscience. Rien n’est perçu en dehors de cette Conscience. Le monde entier apparaît dans ton expérience. Ce que tu perçois comme extérieur est toujours déjà intérieur à ta perception.


Le monde change tout le temps. Les formes passent, les pensées vont et viennent, les sensations se transforment. Mais ce qui voit tout cela, ce par quoi tout cela est vu, ne change pas. C’est silencieux. Présent. Inaperçu. Mais toujours là. Tu ne peux pas le voir comme un objet, mais sans cela, rien ne serait jamais vu.


Peut-être alors que tu n’es pas un être séparé dans un monde extérieur. Peut-être que le monde est une apparition dans ce que tu es vraiment. Et que ce que tu es, c’est cet espace de conscience dans lequel tout cela a lieu.


Ce n’est pas une idée ou un concept. C’est une évidence à retrouver, ici et maintenant. Tu n’as rien à atteindre. Tu n’as qu’à reconnaître ce qui a toujours été là.