Je suis assis dans une forêt. Ce n’est pas que j’ai une soif particulière d’éloignement du « bruit du monde urbain », ni un besoin de faire une retraite spirituelle. Je suis juste là avec ce qui se donne à moi dans l’expérience directe.
Il y a des arbres, de la lumière qui filtre, le bruissement discret d’un insecte, le souffle d’un air chaud qui se glisse entre les branches. Rien d’extraordinaire. Et, en même temps, tout est extraordinairement simple, en paix et tellement vivant.
Pourtant, à bien y regarder, ce n’est pas la forêt qui est calme. C’est quelque chose d’autre qui s’est tu.
Le mental, ce bavard infatigable, s’est mis sur pause. Il ne dit plus : “Tiens, ça c’est un chêne, ça c’est un érable, voilà une mousse intéressante.” Il ne juge plus : “J’aurais préféré un peu plus de lumière… ou le chant du merle pour une touche poétique supplémentaire ».
Le mental ne commente plus. Il laisse simplement les perceptions apparaître telles qu’elles.
Dans cet absence de commentaire, se révèle en arrière plan une paix qu’aucun arbre ne produit, mais que leur présence ne vient pas non plus perturber.
Alors je pourrais croire que cette paix vient du décor. Mais en vérité, elle vient de l’absence d’étiquetage.
Et c’est là que quelque chose se retourne : si je ne mets plus d’étiquettes sur la forêt, elle est paisible. Elle me met en joue. Elle pointe simplement vers l’ouverture transparente au-dessus de mes épaules. Mais si je ne mets plus d’étiquettes sur la ville, sur les gens, sur les cris, sur les rires, sur les bruits des Klaxons ou la rumeur continue du périphérique, que se passe-t-il ?
Est-ce que la paix dépend du silence extérieur… ou de l’absence de commentaire intérieur ?
Je chante à l’Opéra. J’ai une famille. Je vis à Paris. Je sais ce que c’est que le tumulte, les sollicitations, les injonctions, les pleurs d’enfant à quatre heures du matin, la fatigue et parfois l’épuisement. Et pourtant, au cœur de ce tumulte, je pressens la même paix qu’en forêt.
Comment est-ce possible ?
Tout simplement parce qu’il n’y a ici rien à éviter, ni rien à rechercher. Je ne cherche pas à m’évader du tumulte. Je cesse simplement de vouloir que l’instant présent soit autre chose que ce qu’il est. Je laisse tomber les filtres, les jugements, les préférences mentales. Et immédiatement une douce évidence affleure, même au cœur du chaos.
Ramana Maharshi disait que la paix est notre véritable nature, et qu’il n’est pas nécessaire de la chercher ailleurs que là où nous sommes. Nisargadatta Maharaj - mon maître posthume - disait : « ce n’est pas le monde qui vous trouble, c’est votre attachement à vos propres idées à son sujet ».
La forêt n’est pas calme. Elle est simplement perçue sans commentaire.
Et si l’on pouvait appliquer cela à chaque instant ? Si l’on regardait un visage humain comme on regarde un arbre : sans attente, sans jugement, sans projet ? Alors même une foule de métro devient sacrée. Même le brouhaha des enfants devient silence.
Le silence n’est pas l’absence de bruit. C’est la présence pure, sans commentaire. Et cette présence, on ne peut pas la faire venir par une pratique. Il suffit de reconnaître qu’elle est déjà là. Toujours. Partout. Sous les feuilles, dans la mousse ou les bois morts comme dans un grand magasin bondé, sur la Place de la République au cœur d’une manifestation géante, dans ta voiture pris dans les embouteillages au son des sirènes des ambulances.
Douglas Harding écrivait que cette vision sans tête et donc impersonnelle est une méditation parfaite, non seulement dans une forêt calme, mais aussi au marché, dans la rue, dans la foule. C’est là toute la beauté : il n’y a plus besoin de conditions spéciales quand la reconnaissance est claire. Ce qui se révèle alors, ce n’est pas que le monde soit soudainement devenu plus silencieux, mais une simple attention libre. Une écoute sans attente, délestée du moi et naturellement présente à ce qui est.
Au final ce n’est pas la forêt qui est calme. C’est toi lorsque tu ne t’identifies plus à aucune image.
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