Je me suis souvent interrogé sur ce que ce mot désignait exactement, dans la langue de Ramana. Car Ramana Maharshi, bien qu’il lisait le sanskrit, s’exprimait la plupart du temps en tamoul. Et par souci de clarté et simple curiosité, j’ai fait quelques recherches pour découvrir quel mot tamoul se trouvait derrière ce mot anglais « abide ». Il s’agit du verbe நிலைத்தல் (nilaiththal) - qui signifie : demeurer, rester établi, être fermement enraciné, non pas dans un lieu extérieur, mais dans le Soi, dans la source, dans ce qui ne bouge pas. Lorsqu’il dit abide in the Self, c’est en tamoul (suyatthil nilaiththiruththal) et signifie donc rester établi dans le Soi, se tenir sans se distraire dans ce qui est déjà là, silencieux.
Mais comment traduire cela en français ? Rester ? Demeurer ? Habiter ? Aucun mot ne me satisfait complètement. Ils disent chacun quelque chose, certes, mais n’épuisent pas tout ce que le mot anglais suggère. Alors ce petit texte qui suit est né comme une tentative ludique de laisser le mot apparaître et résonner en français depuis le cœur, et au final, l’occasion d’une méditation sur le soi, sur ce que nous sommes déjà, avant toute traduction, avant même le mental.
Je parle la langue anglaise, et ce mot, abide, revient souvent, comme une invitation de maîtres comme Ramana Maharshi et d’autres. C’est un peu comme un murmure de la conscience à Elle-même, un chuchotement presque inaudible, mais qui dit tout si l’on veut bien prêter l’oreille. To abide in the Self, to abide in silence, to abide as awareness.
En un sens, je comprends ce mot, de l’intérieur. Je le reconnais dans l’expérience. Mais je n’arrive pas à le traduire. Aucun mot français ne semble lui correspondre tout à fait. Rester, demeurer, habiter, se tenir… tout cela est juste, mais ça ne me satisfait pas encore complètement. Il manque quelque chose. To abide ne parle pas d’un lieu spécifique, ni d’un état qui l’on pourrait nommer, mais d’un retour sans réel voyage de retour, parce qu’on est déjà là. C’est simplement constater qu’on est déjà là. C’est comme si, dans ce mot, il y avait à la fois la fin de la quête et l’invitation à ne pas repartir dans une nouvelle quête, mais à rester là. Rester dans le sens de cesser de fuir, comme on cesse de faire, comme on cesse d’être inattentif, comme on cesse de faire semblant d’être ailleurs qu’ici, ou ailleurs que maintenant, rester comme on cesse de faire semblant de devenir autre chose que l’on est déjà.
Quand Ramana Maharshi parle de self-inquiry, de l’investigation du Soi, il ne propose pas une recherche mentale, il ne suggère pas de comprendre ou de visualiser quoi que ce soit, il dit simplement : « Who am I ? », et il nous invite à demeurer dans la source de cette question. Dans le texte Nan Yar, qui n’est pas de sa plume mais qui retranscrit ses réponses, il ne parle pas d’un chemin à parcourir, mais d’un retour silencieux à ce qui est déjà là, à ce que nous sommes toujours, sans le savoir. L’investigation du Soi n’est pas une activité que l’on fait, c’est une immersion, une reconnaissance, un abandon dans ce que je suis déjà, toujours, sans besoin de grâce particulière ou de mérite.
Abide in the Self, cela veut dire : demeure dans le Soi, demeure dans ce que tu es, avant de penser être quoi que ce soit, demeure dans cette conscience sans nom, sans limite et sans forme. Et si l’on devait chercher une expression française, vivante, incarnée, peut-être qu’on dirait simplement : reste tranquille en toi-même, demeure sans effort dans ce qui ne change pas, laisse-toi être, sois ce que tu es déjà, durant toute cette vie, pas en tant que pensée, mais comme conscience pure, silence qui accueille, simple présence accueillant sans tension tout ce qui apparaît.
To Abide n’est pas une action : c’est la cessation de toutes les actions mentales, c’est revenir à la maison, sciemment, cesser de s’exiler dans l’imaginaire d’un avenir ou d’un passé, ou d’une quelconque image de soi.
Alors peut-être que la meilleure traduction n’est pas un mot, mais juste un geste intérieur, un mouvement au cœur de l’immobilité, un repos profond. Et si je devais, moi, le traduire librement, je pourrais aussi le dire ainsi : reconnais avec une tendresse silencieuse que tu es déjà ce que tu cherches, et qu’au fond, il n’y a rien à traduire, c’est simplement savourer le simple fait d’être.

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