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Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

samedi 6 septembre 2025

La métaphore de l’acteur et le grand Théâtre de la Conscience

 


De la même façon qu’un acteur, en endossant le costume, le masque, le passé, l’histoire, les désirs d’un personnage, semble momentanément s’oublier lui-même sur scène ou dans le scénario d’un film, la conscience une semble, elle aussi, se diviser en une multitude d’individualités. Chacune vient avec sa couleur, son caractère, ses drames, ses élans. Mais en réalité, tout cela se joue dans une seule et même présence, comme une scène unique où se déploie l’infinité des possibles.

La métaphore de l’acteur est éclairante. Prenons le personnage de Hamlet qui est également le titre d’une de mes pièces préférés de Shakespeare. Le comédien qui l’incarne doit le faire avec une incroyable intensité : il vit la douleur de la mort du père, la trahison de la mère, l’ombre étouffante de l’oncle, le désespoir qui mène à la folie. Mais une fois le rideau tombé, il abandonne le masque et le costume du rôle. Il se rappelle qu’il n’est pas Hamlet. Il quitte la paranoïa, la rancœur, le goût amer de la vie, et retrouve son être ordinaire. 

Comme le disait Shakespeare : « Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. » La métaphore parle d’elle-même. De même pour nous humains, l’illusion est si forte que nous en venons à croire que nous ne sommes que ce petit personnage façonné d’habitudes, de désirs inavouables, de blessures et d’histoires personnelles. Cette identification que la plupart des humains vivent à leur corps, diverses histoires et croyances limitantes est comme si un acteur, après avoir quitté la scène, continuait de se prendre pour Hamlet et de souffrir des fantômes du personnage qu’il incarnait sur scène. 


Si cette identification au personnage sur scène advenait la question deviendrait alors : comment dissoudre cette souffrance ? Est-ce en analysant les divers conflits du rôle ? En réglant les comptes de Hamlet avec son oncle et sa mère ? Bien sûr que non : cela n’a de sens que sur scène. Le chemin consiste à reconnaître directement que nous ne sommes pas le personnage, mais l’acteur. De la même façon, l’Investigation du soi est un déshabillage direct et patient de toutes nos histoires pour retrouver la Conscience pure. Si un acteur commence à se confondre avec le personnage qu’il incarne sur scène, et souffrir des maux de son rôle, il s’agit de lui rappeler sa véritable identité. 


C’est ce qu’avait pressenti Luigi Pirandello dans Six personnages en quête d’auteur. Ses créatures, coincées dans leur rôle, cherchent désespérément un dramaturge pour les libérer de leur condition. Elles vivent leur drame comme s’il était réel, mais leur tragédie est précisément de ne jamais pouvoir sortir de la scène. Pirandello révèle ici la frontière fragile entre illusion et réalité : nous sommes pris dans des personnages qui nous semblent solides, mais qui ne tiennent que par le regard d’un spectateur. La pièce met en lumière notre propre aveuglement : nous oublions d’être l’auteur, et nous restons prisonniers du rôle.


Un metteur en scène comme Peter Brook l’a magnifiquement montré au théâtre. À travers ses mises en scène, notamment à l’ancien théâtre des Bouffes du Nord, dont j’ai eu la chance d’assister à certaines, il cherchait toujours à faire tomber les artifices pour révéler la présence vive de l’acteur et du spectateur. Il écrivait : « Le théâtre est un moment où la vie est concentrée, intensifiée, où l’essence du présent est rendue visible. » C’est cela : faire apparaître la vie même, plutôt que de nous enfermer dans des personnages. J’ai eu la chance de voir son travail sur Hamlet, et c’était frappant de constater comment l’acteur, sous sa direction, pouvait incarner totalement un rôle, et en même temps, laisser filtrer une humanité plus vaste qui dépasse le rôle.


Tout cela résonne profondément pour moi, car j’interprète moi-même des rôles tous les soirs dans les chœurs de l’Opéra. Le costume, le maquillage, le masque, le personnage : ce sont pour moi des expériences quotidiennes. Je sais ce que c’est que de disparaître un instant dans une figure imaginaire et de revenir ensuite à ma vie ordinaire. Peut-être que c’est là aussi le sens originel du bal masqué, si présent autrefois dans nos traditions et si rare aujourd’hui. Sous le masque, on pouvait se permettre toutes sortes de jeux, toutes sortes de libertés, tout en sachant qu’il ne s’agissait que d’un rôle. Le masque montrait justement qu’il y avait quelque chose de plus profond, une liberté en retrait, une vérité non masquée.


Et pour ne pas conclure, peut-être est-ce justement là que la vision sans tête de Douglas Harding nous offre une expérience lumineuse. Nous croyons porter un masque, celui du visage aperçu dans le miroir, celui que nous offrons aux autres comme s’il disait qui nous sommes. Mais ce visage change sans cesse, il se transforme au fil des années, il se ride, il s’anime, il se défait. Et pourtant nous lui attribuons une continuité magique. Pourtant, la véritable continuité, ce n’est pas ce masque, c’est l’espace clair et vivant qui l’accueille à chaque instant. Si je regarde du côté de mes propres épaules, je ne trouve pas de visage. Je trouve seulement une ouverture, une transparence. Le masque est de l’autre côté, offert au monde, mais de mon côté il y a une liberté infinie. La vision sans tête n’est pas une idée, mais une expérience directe : se défaire du masque de la personne, et retrouver la clarté sans limite que nous sommes.


Alors, il n’y a plus de rôle qui enferme, plus d’histoire qui emprisonne. Le théâtre de la vie continue, les voix s’élèvent, les costumes se portent et se défont, les masques apparaissent et disparaissent. Mais derrière, ou plutôt en deçà, demeure un silence ouvert, une clarté consciente, un espace qui ne joue pas et qui pourtant rend possible le jeu de tout.


Ici, à zéro distance de moi-même, nul masque.

Ici, se révèle un espace toujours ouvert et accueillant. 

Ici, je ne suis personne.

Et pourtant, toute perception, toute expérience, toute forme, toute créature apparaît à 0 distance de l’ouvert et est par conséquent fait 

de l’espace que je suis. Je suis le Sans Firme qui prend toute forme. 


Tat Tvam Asi nous dit la Chandogya Upanishad. Tu es Cela. 

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