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Paroles et musique de Dan Speerschneider
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jeudi 11 septembre 2025

La nature de Bouddha n’appartient à personne

 


Un des kōans les plus célèbres de la tradition zen raconte l’histoire suivante : un moine demanda à maître Joshu (Zhaozhou en chinois) : « Un chien a-t-il la nature de Bouddha ? » Et le maître répondit d’une seule syllabe : « Mu ! »  - que l’on traduit souvent par « Non, pas du tout ».

Pour comprendre la portée de ce bref échange, il faut revenir au contexte. Dans le bouddhisme mahāyāna, il est enseigné que « tous les êtres ont la nature de Bouddha ». C’est un principe universel : rien n’est exclu de la réalité ultime, ni l’animal, ni la plante, ni la pierre. On pourrait donc s’attendre à ce que Joshu réponde « Oui, bien sûr ». Mais il choisit l’opposé, il coupe net. Son « Mu » n’est pas une contradiction doctrinale, il est une mise en garde contre la manière dont la question est posée. Car demander « Est-ce que le chien a la nature de Bouddha ? » suppose que la nature de Bouddha est une sorte d’attribut que l’on possède ou non, comme on aurait une patte, une voix ou une idée. Joshu brise cette illusion.


La nature de Bouddha n’est pas quelque chose qui appartient à une forme particulière. Elle n’est pas stockée dans un corps ou dans une conscience individuelle. Elle est ce qui s’exprime à travers toutes les formes : chien, humain, pierre, fleur. C’est pourquoi le « Mu » ne nie pas la nature de Bouddha, il nie la validité même de la question. En d’autres termes : il n’y a pas « quelqu’un » qui possède la nature de Bouddha. C’est la nature de Bouddha qui, par jeu, se déploie sous forme de quelqu’un, de quelque chose, de chaque chose.


Je vous invite à cet égard de consulter mon article : « Quand Nagel (l’auteur du fameux article : « Quel effet cela fait-il d’être une chauve-souris? » rencontre la non dualité publié ce sur blog le 22 Mai 2025. Il évoque exactement le même thème. 


Cette intuition se retrouve dans bien d’autres traditions authentiques c’est à dire non duelles. Ibn Arabi, le grand maître soufi, écrivait : « Dieu dort dans la pierre, rêve dans la plante, bouge dans l’animal, s’éveille dans l’homme. » Dans l’hindouisme, on parle du jeu de Shiva qui se cache et se retrouve à travers ses propres manifestations. Dans le christianisme mystique, Maître Eckhart affirmait : « L’œil par lequel je vois Dieu est l’œil par lequel Dieu me voit. » Autant de formulations qui disent la même chose : ce que nous appelons « Dieu », « Bouddha-nature » ou « l’Absolu » n’est pas un objet que l’on possède, mais la source même qui se reconnaît dans toutes ses formes.


« Pratiquer avec ce kōan », c’est donc entrer dans ce « Mu » comme dans un espace brûlant qui consume les questions trop bien formées. Le mental veut savoir, comparer, trancher : « a » ou « n’a pas ». Le « Mu » dissout cette alternative et ouvre un espace où la réponse ne peut être qu’expérimentée. Lorsque l’on cesse de découper le réel en catégories, ce qui demeure est une présence vivante, silencieuse, qui n’appartient ni au chien ni à l’homme mais qui s’exprime à travers chacun d’eux et en tant que chacun d’eux.


Comment en faire l’expérience directement ? 

Non pas en cherchant un concept supplémentaire, mais en se laissant toucher directement par l’ordinaire : écouter un aboiement sans jugement, sentir le vent sur la peau, voir la lumière scintiller au travers des branches et feuillages d’un arbre, ou simplement s’étonner d’être en train d’être. 

À cet instant, il n’y a plus un sujet qui demande si l’objet « a » ou « n’a pas » la nature de Bouddha ; il y a simplement la nature de Bouddha elle-même, se déployant comme ce moment unique, insaisissable et pourtant infiniment simple.

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