Le Vijñāna Bhairava Tantra est l’un des textes essentiels du tantrisme cachemirien. Cette tradition subtile et non-duelle montre que la conscience pure, Bhairava, est toujours présente, ici et maintenant, au cœur de l’expérience. Certaines stances du texte proposent de réaliser la conscience infinie et temporelle par des pratiques simples, accessibles dans la vie quotidienne. Je l’étudie et le mets en pratique depuis 25 ans.
Deux versets illustrent particulièrement cette approche :
“Quand, par une attention intense, l’esprit se fixe sur un objet sans distraction, il entre dans un état où il n’y a plus de pensée, plus de perception, plus de sensation. Il est alors absorbé dans la conscience pure, le Bhairava.”
– Vijñāna Bhairava Tantra, verset 29, traduction Lilian Silburn
“En fermant les ouvertures des sens avec les mains, et en perçant le centre entre les sourcils, on perçoit le bindu (point de lumière). Lorsqu’il se dissout progressivement, on atteint l’état suprême au centre.”
– Vijñāna Bhairava Tantra, verset 36, traduction Lilian Silburn
Ces versets nous invitent à une expérience radicale : suspendre les sens, le flux de la pensée et les distractions, pour toucher directement la conscience pure.
En satsang, nous proposons parfois de faire comme si les cinq sens et la pensée n’existaient plus. Fermer les yeux, les oreilles, la bouche… un peu comme les trois singes de mon enfance, sculptés chez mes parents : un qui ferme les yeux, un qui ferme les oreilles, un qui ferme la bouche. Même dans ce jeu innocent, j’ai pu constater que je restais toujours là, conscient, simplement vivant.
Cette expérience rappelle aussi celle d’Hélène Keller, qui, privée de la vue et de l’ouïe, a découvert par l’intuition et la sensation directe un accès à la réalité de son être. De la même manière, lorsque nous suspendons les perceptions et la pensée, ce qui demeure n’est ni un objet, ni une idée, ni une sensation : c’est la présence pure, immuable et non-duelle, Bhairava.
Et c’est là que se révèle quelque chose de plus profond encore : cette conscience n’a pas de limites, elle est infinie et intemporelle. Elle n’a pas d’histoire, pas de passé ni de futur ; elle est avant toute chose, exactement comme Jésus disait : “Avant qu’Abraham fût, je suis”. Elle est silencieuse et aimante, accueillant tout ce qui est, imprégnant chaque manifestation, chaque phénomène. Tout apparaît à zéro distance de cette conscience : elle est omnisciente, omnipotente, omni-imprégnante. Ce n’est pas un concept : c’est ce qui est découvert ici et maintenant, directement, dans l’expérience, lorsqu’on ferme les portes de la perception et que l’on reste dans le simple être.
Observer cela, se tenir dans cet espace silencieux et dépouillé, c’est goûter à la liberté absolue de l’être, à la rencontre de la conscience infinie et intemporelle qui imprègne tout, qui est tout, et qui est toujours là. Les versets 29 et 36 du Vijñāna Bhairava Tantra deviennent alors des guides vers cette découverte ultime : nous sommes déjà Bhairava, présence pure, infinie, intemporelle et accueillante, ici et maintenant.

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