L’aquabonisme est un état qui traverse de nombreux chercheurs spirituels. Le terme a été inventé par Serge Gainsbourg dans une chanson des années 70 pour exprimer ce « à quoi bon ? » qui surgit quand rien ne semble plus satisfaire profondément. On retrouve ce même état dans les grands textes de la non-dualité : l’Ashtavakra Gita, la Bhagavad Gita et le Yoga Vasishtha. Dans chacun de ces textes, un disciple désespéré confie à son maître qu’il ne voit plus de sens à sa vie, et c’est de là que commence l’enseignement. Dans la tradition chrétienne, on parlait autrefois d’acédie : ce moment où le moine, au milieu de ses prières, perd le goût de tout et ne sait plus pourquoi il est là.
L’aquabonisme est de la même nature. C’est ce « à quoi bon ? » qui surgit quand on a épuisé les illusions d’un bonheur extérieur. Je vois que ni les relations, ni les réussites, ni les possessions ne m’offrent le bonheur ou la tranquillité que je cherche. Tout retombe, et reste une nostalgie qui ne se laisse pas combler.
Souvent, nous essayons d’échapper à cet état. Nous inventons de nouveaux projets, nous changeons de décor, nous nous accrochons à une nouvelle promesse de satisfaction. Mais à un certain moment, l’expérience se répète : rien ne dure, rien ne suffit. L’aquabonisme se fait alors plus insistant.
Par contre, quand on cesse enfin de le fuir et que l’on entre en intimité avec lui, vibratoirement, sensoriellement, tactilement, quelque chose se révèle. Cette intimité avec le désespoir n’écrase plus, elle ouvre. On le goûte dans le corps, dans le souffle, comme dans la voie du sentir : on ressent pleinement cette lassitude, cette nostalgie, ce vide apparent. Et c’est là que tout se transfigure. On réalise que la souffrance elle-même n’est jamais autre chose que de l’amour en quête de lui-même, cherchant à retrouver sa propre plénitude.
Alors, l’aquabonisme cesse d’être une dépression spirituelle pour devenir un signe de maturité. Il ne dit plus : « tout est vain », mais « rien de ce qui est objectif ne peut me combler ». Et cette fidélité sans objet, ce consentement à l’évidence, se transmute en pressentiment vivant : la reconnaissance que la paix, la joie et l’amour ne viendront jamais d’un objet, mais jaillissent de la Source elle-même — l’espace clair que nous sommes.
En ce sens, l’aquabonisme est une grâce. Il brûle nos illusions, il démasque nos attachements, et il ouvre à ce silence vivant où rien ne manque déjà.
Cette nostalgie traverse les plus grandes œuvres de l’humanité. L’Odyssée en est l’une des premières. Après avoir guerroyé et erré sans fin, Ulysse n’aspire plus qu’à une seule chose : rentrer à la maison, retrouver Pénélope. Ce retour est plus qu’un voyage, il symbolise le retour à soi, après toutes les dispersions du dehors. La musique révèle la même structure : tout système harmonique s’éloigne de sa note d’origine, explore tensions et dissonances, puis revient enfin à la tonique, à la note fondamentale. Ce retour est vécu comme une délivrance.
L’aquabonisme, accueilli par la voie du sentir, devient une fidélité à la simple réalité de l’instant. Il révèle que toute attente et toute souffrance, lorsqu’elles sont senties dans leur intensité, portent le germe de l’amour qui cherche à se reconnaître. Et cette reconnaissance est tranquille, immédiate, sans direction. Point. C’est la conscience qui se reconnaît elle-même. C’est Dieu qui s’éveille, en nous, comme le disait Ibn ‘Arabi.
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Paroles de la chanson « L’aquoiboniste » de Serge Gainsbourg qui est l’inventeur de ce terme …

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