Jalâl ad-Dîn Rûmî, Divân-e Shams-e Tabrîzî (traduction libre).
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Dans ces vers, Rûmî ne défend pas l’islam dont il est pourtant issu, il parle depuis un lieu où toute identité s’efface naturellement. Dire « je ne suis ni chrétien, ni juif, ni musulman » ne signifie pas se placer contre les traditions, mais reconnaître ce qui les précède toutes. Lorsqu’un être reconnaît sa vraie nature, les appartenances peuvent demeurer, mais elles ne définissent plus l’essentiel. Elles deviennent des formes d’expression, non des lignes de séparation.
Ce que Rûmî nomme renoncement à la dualité n’est ni un rejet du monde ni une posture spirituelle. C’est une évidence vécue, celle où les oppositions perdent leur caractère absolu. C’est aussi ce vers quoi j’invite dans la pratique, dans ce jeu de révélation du « ni l’un ni l’autre ». Sans faire référence à la mémoire ni à la pensée, il s’agit de reconnaître qu’en deçà de l’un ou de l’autre, c’est-à-dire en deçà des deux pôles de toute dualité mentale, quelque chose est déjà là. Lorsque la mémoire se tait et que la pensée ne tranche plus, on ne cherche pas une troisième position. On se laisse simplement glisser dans le « ni l’un ni l’autre », dans ce qui est antérieur aux polarités, dans ce qui les rend possibles sans jamais s’y enfermer.
À cet endroit, il y a la reconnaissance de l’Un, qui n’est plus une idée à défendre, mais la réalité la plus simple et la plus intime de chacun d’entre nous.
Cet universalisme n’est ni un syncrétisme religieux ni un projet idéologique. La véritable tradition, ici, n’est ni temporelle ni géographique. Elle est le courant vivant de la présence, accessible à chacun, quelles que soient ses références culturelles ou spirituelles. Jésus dit la même chose lorsqu’il affirme « Avant qu’Abraham ne fût, je suis ». Ce « je suis » ne renvoie pas à une identité historique, mais à cette présence atemporelle qui précède toute filiation, toute appartenance, toute croyance.
C’est ni plus ni moins la réalisation que j’ai fait à mon septième anniversaire, assis dans la cour l’immeuble où j’habitais alors à Copenhague, en train de jouer par terre. Je me suis alors posé cette question toute simple : qu’est-ce que cela signifie avoir sept ans ? Ma septième année semblait se célébrer dans le temps, avec une date, un âge, un chiffre, mais je voyais clairement que cela avait lieu maintenant, et que lorsque j’aurais huit ans, ce serait encore maintenant. D’une façon ou d’une autre, j’ai intuitionné qu’il n’y avait que maintenant, et que c’était le même maintenant depuis toujours. Ce questionnement profond m’a soudainement projeté hors de la temporalité. Il n’y avait plus de succession, plus d’avant ni d’après, mais une présence ouverte. J’ai alors senti un ravissement profond, sans objet, une évidence silencieuse qui s’est présentée de nombreuses fois au fil de ma vie, jusqu’à ce qu’en 2012, à l’âge de quarante-cinq ans, je réalise que cela avait toujours été ma vraie nature, et que ce souvenir de ce dont la mémoire ne peut pas se souvenir devienne un vécu direct et permanent.
C’est aussi ce qui m’émerveille dans nos rencontres non-duelles bi-mensuelles, dans les stages, dans les rencontres individuelles. Des femmes et des hommes d’origines chrétiennes, musulmanes, laïques, hindouistes, animistes, de tous les âges et de tous les horizons, se retrouvent sans avoir besoin de partager une même croyance. Dans cette présence atemporelle, les identités se déposent d’elles-mêmes, non par rejet, mais par reconnaissance de cet essentiel qui les imprègne toutes.
Rûmî fait partie de ces êtres qui non seulement se sont éveillés à leur vraie nature, mais ont su la partager avec une originalité et une poésie d’une fécondité hors normes.
Gratitude à lui et tous ceux qui entretiennent le feu de cette reconnaissance à notre véritable nature.
Amor Fati

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