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Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

lundi 1 décembre 2025

L’adoration dans une perspective non duelle

 


Question posée sur ma page Facebook :

« Qu'est-ce que l'adoration du point de vue non duelle stp ? Merci 🙏☀️🙏 » (France, une amie) 


Ça c’est une belle question qui me mérite que l’on creuse un peu la réponse. 


L’adoration, dans une perspective non duelle, n’est jamais le geste d’un moi séparé cherchant à se soumettre à un autre ou à un Dieu extérieur. C’est au contraire le mouvement spontané du cœur lorsque la conscience reconnaît sa propre source. C’est ce moment où l’on voit que ce que l’on aime avec le plus d’intensité n’a jamais été extérieur. Rumi l’a exprimé mieux que quiconque. Dans ses poèmes, l’amant et l’aimé se dissolvent l’un dans l’autre, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que l’amour lui-même. « Je suis la prière et celui qui prie » dit-il en substance. Cela ne signifie pas que la dévotion est niée, mais qu’elle est « purifiée » de toute séparation. Quand Rumi s’incline, ce n’est pas devant un autre. Il s’incline dans ce qui, en lui, a toujours été ouvert, vivant, vibrant. Il laisse la conscience se reconnaître comme amour.


Ramakrishna, de par son « parcours d’éveil si particulier » , incarne parfaitement cette rencontre entre connaissance et dévotion. Il expliquait souvent que la voie de l’amour et la voie de la connaissance mènent au même sommet. Celui qui distingue encore l’amant et l’aimé n’a pas encore vu. Quand il se prosternait devant Kali, ce n’était pas devant une divinité extérieure. Il se prosternait devant le Soi, qui se manifestait pour lui sous une forme aimée. Il disait que lorsque la dévotion devient pure, celui qui adore disparaît dans ce qu’il adore. La dévotion n’est pas pour lui une annihilation de l’individu, mais une fin de l’illusion de la séparation. L’adoration devient alors un accueil, une disponibilité, un abandon confiant dans ce qui en nous ne change jamais. C’est un geste de gratitude, un élan d’amour qui ne cherche rien, qui ne veut rien obtenir. Une célébration, une réverbération de ce que nous sommes déjà.


Vue ainsi, l’adoration n’est en rien un geste enfantin ou naïf susceptible d’amener toutes sortes de confusions. Elle est un chemin de connaissance, parfois même plus direct que l’analyse conceptuelle. Elle ramollit les défenses du moi, ouvre le cœur, dissout la rigidité mentale. Elle nous fait reconnaître que la beauté que nous contemplons dans un maître, dans un visage, dans un chant, est la beauté de la Présence même qui voit. Dans la non-dualité, adorer signifie laisser tomber la distance et laisser l’unité se manifester comme émerveillement.


C’est ici que la vision sans tête de Douglas Harding que tu connais bien, rejoint profondément cette compréhension. Harding ne parlait jamais de dévotion, pourtant son expérience en révèle la racine. C’est du moins mon expérience directe et intime. Regarder le monde sans tête, le voir apparaître dans un hublot de transparence impersonnel et sans fond, c’est se redécouvrir comme ouverture illimitée. « Devant », il y a formes, couleurs, visages, mouvements. Mais ici, à zéro distance, il n’y a pas de tête. Il y a un espace clair, transparent, accueillant. Et dans cet espace tout apparaît, sans effort. Douglas disait que l’on perd une tête pour gagner un monde. Ce n’est pas une simple métaphore d’ordre symbolique ou métaphysique. C’est exactement ce qui se passe lorsque l’on voit directement. En cessant de se cramponner à une identité fixe, le moi s’efface et laisse place à quelque chose de plus vaste, de plus simple, de plus intime.


Et c’est justement dans cet effacement, que l’adoration non duelle trouve sa forme la plus épurée. Car dans la vision sans tête, le visage de l’autre n’est plus en face de toi, il est en toi. Il surgit dans l’ouverture que tu es. Il n’y a plus un adorateur d’un côté et ce qui est adoré de l’autre. Il n’y a que l’unité qui se regarde elle-même sous la forme d’un visage, d’un geste, d’une parole. Adorer revient alors à reconnaître que tout ce qui apparaît est accueilli dans la même ouverture silencieuse à 0 distance. C’est laisser les phénomènes monter et se dissoudre dans l’espace sans limite qui est notre vraie nature.


Rumi dit que l’amour est l’océan dans lequel l’amant disparaît. Ramakrishna dit que le dévot accompli devient un avec l’objet de son amour. La pratique de la Vision Sans Tête Douglas nous montre que ce qui apparaît n’est jamais séparé de l’espace où cela apparaît.


À mes filles de six et huit ans j’enseigne parfois la posture de l’enfant en yoga, que l’on appelle aussi le pranam. Dans cette posture le front touche le sol, les genoux se replient sous la poitrine, et c’est toute une attitude intérieure qui s’éveille. Le pranam signifie littéralement que l’on place le mental plus bas que le cœur, comme si l’intelligence vive de la présence retrouvait sa juste place. Je ne parle pas de cela à mes filles, ce serait trop abstrait. Je leur dis simplement que les pensées glissent vers le la terre, qu’elles peuvent tout laisser reposer quelques instants. Et pourtant, quand elles se redressent, elles me parlent d’un calme vibrant, d’un silence doux qui les traverse. Ce qu’elles décrivent touche précisément à ce que j’appelle l’adoration dans une perspective non-duelle, cette disponibilité à ce qui est, sans résistance. La posture de l’enfant, ou pranam, n’est pas une soumission au sens courant mais une reconnaissance, une façon de laisser la réalité être ce qu’elle est. Cela rejoint ce que Ramana Maharshi exprimait lorsqu’il disait que tout ce qui doit arriver arrivera, et que tout ce qui ne doit pas arriver n’arrivera pas. C’est dans cet esprit que je signe presque toujours une lettre par la locution latine amor fati, qui signifie amour des faits, amour de ce qui est là, et qui invite à aimer ce qui vient non par résignation mais par reconnaissance. Inclinés ainsi, mental plus bas que cœur, nous retrouvons quelque chose d’une simplicité ancienne. Même un enfant peut le sentir.

 L’adoration non duelle est pour moi un geste d’effacement, un retour à l’ouvert, une reconnaissance que le cœur et le monde s’appartiennent mutuellement. Et dans cette reconnaissance, il ne reste qu’une joie tranquille. Une évidence silencieuse. L’unité qui se célèbre elle-même.


Chaleureusement 


Amor Fati 

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