Feel it !




Paroles et musique de Dan Speerschneider
un album pour célébrer la vie ;-)

vendredi 29 août 2025

Vivre avec ce qui se présente


On rêve souvent d’une vie sans heurts : un esprit tranquille, un corps léger, des émotions apaisées, une famille unie, un environnement confortable. Et quand la peur, la colère ou la fatigue ou l’ennui surgissent, on se dit : « ça ne devrait pas être là ». Ce réflexe paraît logique, tant on nous l’a répété, mais c’est en réalité c’est lui qui entretient la souffrance. Vouloir se débarrasser de ce qui se présente, c’est ajouter une seconde couche de tension à la première. C’est ce que je nomme la double peine, celle qu’il n’est nullement nécessaire de s’infliger. 

Là où il y a résistance, il y a souffrance. C’est inexorable. Résister, signifie vouloir un autre instant que celui qui est déjà là. Mais attention, accueillir n’est pas une technique, c’est du bon sens et un simple consentement à ce qui est déjà en train de se présenter. C’est juste être avec ce qui est donné, tel que c’est donné.


Regarde une insomnie par exemple. Nous avons tous connu cette impossibilité de dormir j’imagine. La nuit, les arborescences de pensées fleurissent de toutes parts. Les images mentales tournent

en des cercles vicieux, le corps ne trouve point la position idéale pour le repos et ne cesse de se retourner. Le mental propose des solutions, et calcule les heures jusqu’au réveil. Plus on veut dormir, plus le sommeil s’éloigne. Si, au lieu de lutter, tu te laisses être éveillé, quelque chose se détend. La fatigue ne disparaît pas, mais le drame s’allège. Tu sens le poids de la couverture, l’appui du matelas, la respiration qui va et vient. L’éveil nocturne devient une simple sensation, parfois même une présence discrète, tranquille. La situation extérieure n’a pas changé ; la posture intérieure, si et complètement.


Regarde une dispute. Une phrase couperet tombe, trop sèche, le corps se crispe, la chaleur monte. Le réflexe peut être de répondre, se justifier, se défendre ou riposter. 

Et si, une seconde, tu laissais la réaction passer sans la nourrir ? Tu remarques la tension dans la poitrine, le ventre serré, la gorge étroite. Tu laisses les sensations se déployer, tu les laisses faire leur travail de vague. Parfois la parole vient ensuite, plus claire, plus simple. Parfois elle ne vient pas. Dans les deux cas, la situation est déjà moins compacte.

 

Regarde un trajet banal. Le métro est en retard, la rame est pleine, la chaleur est collante. Tout en toi semble réclamer que ça s’arrête. Tu peux t’autoriser ce constat sans y ajouter l’idée que « ça ne devrait pas être comme ça ». Tu sens la sueur sur la peau, le sol sous les chaussures, le souffle qui te traverse. Rien de magique ne se produit, et pourtant l’instant devient respirable. Un minimum de paix se fraie un passage dans la cohue.


Regarde une journée de travail. Les mails s’empilent, la tâche du jour te pèse, la tête voudrait déjà être ailleurs. Tu t’arrêtes dix secondes. Tu sens les mains sur le clavier, la nuque lourde, les yeux un peu secs. Tu reconnais simplement : « voilà, en ce moment, c’est ça ». Cette reconnaissance n’est pas de la résignation, c’est un retour dans le réel. De là, l’action juste devient plus simple, et après tout : une chose après l’autre.


Et puis il y a la maison. Les enfants rentrent, la fatigue aussi. Les cartables s’ouvrent, les chaussettes traînent, les voix montent, quelqu’un réclame à manger, quelqu’un ne veut pas se laver, quelqu’un d’autre pleure parce que le verre n’est pas le bon. Tu sens le seuil à l’intérieur : encore un peu et ça déborde. On voudrait imposer le calme, faire taire le bruit, remettre la pièce en ordre, que les enfants respectent les règles qui ont déjà été édicté des centaines de fois. On se contracte, on parle plus fort, on tente de tenir la digue. On a vite de fait de confondre autorité et autoritarisme sans le réaliser tout de suite. Le chaos extérieur se double alors d’un chaos intérieur : le bruit des enfants et le bruit de la lutte pour que le bruit cesse. On se crée une double contrainte qui devient en réalité un cercle vicieux qui s’auto-entretient. 


Et si, à cet instant précis, tu ne cherchais pas à réparer la scène ? Tu constates simplement ce qui se passe en toi. La nuque raide, les mâchoires serrées, l’envie de fuir, la chaleur qui monte. Tu t’accordes quelques respirations, les pieds bien posés au sol, le regard impersonnel (en vision sans tête cel s’entend) posé sur un détail simple, la lumière sur la table, la vapeur qui sort de la casserole. Tu ne supprimes rien. Tu laisses l’orage traverser ton propre corps. Ce simple accueil change la densité de la pièce. Le tumulte est toujours là, mais tu n’es plus en guerre contre lui.


Alors seulement, tu t’abaisses à hauteur d’enfant. Tu parles lentement, sans froideur. Tu dis « oui » à l’émotion, et « non » à certains gestes si nécessaire. Accueillir n’est pas céder à tout. On tombe tous dans le piège à un moment donné, peut-être, mais un « non » clair peut naître de la présence, sans la charge de la colère. Tu soutiens un regard, tu poses une main, tu proposes un choix simple, tu nommes ce qui se passe : « tu es fâché », « tu es déçu », « tu es trop fatigué ». Souvent, cela suffit à faire tomber d’un cran la pression. Pas toujours, et ce n’est pas grave. « Rien ne doit être rejeté », écrit Jean de la Croix ; cela vaut aussi pour nos limites, notre lassitude, nos maladresses. Elles font partie du temps de la maison, comme le rire, les histoires du soir, les larmes sans raison et la vaisselle qui attend.


Tout cela n’a rien d’héroïque. C’est simple, sobre, humain. Ce n’est pas un « chemin » au sens d’un programme à suivre, c’est un retournement très ordinaire : au lieu d’essayer de fabriquer un autre instant, tu entres dans celui-ci. C’est ce que l’on pourrait appeler la voie du sentir appliquée au quotidien. Sentir, accueillir, observer ce qui se présente, c’est exactement la pratique qui transforme sans que tu la provoques, qui ouvre un espace intérieur et révèle ce fond tranquille qui avait toujours été là.


La transformation se fait d’elle-même, sans que nous la commandions, à son propre rythme, comme une graine qui germe quand le sol est prêt. Tu ne tires pas sur la tige pour la faire grandir. Tu offres un sol plus simple : moins de refus, moins de commentaires, plus d’attention. Parfois, pendant des semaines, rien ne semble bouger. Puis, un soir, au milieu du même désordre, tu remarques une différence ténue : une seconde de silence avant de parler, un regard qui s’adoucit, une fatigue qui devient claire au lieu d’être contre tout. C’est discret, mais c’est réel.


Et ce que révèle cette transformation n’est pas une « version améliorée » de toi-même. Tu tomberais alors dans le piège d’une sorte de fierté, de justification ou de validation individuelle qui ne ferait que subrepticement renforcer la résistance.


Ce qu’elle révèle, c’est la présence qui était là depuis toujours. Elle n’est pas une émotion, ni une pensée, ni une sensation particulière. Elle est ce fond silencieux qui connaît la peur, qui connaît la colère, qui connaît la joie, qui connaît le vacarme de la maison et le calme de la nuit. Elle était là pendant l’insomnie, pendant la dispute, dans le métro, à la cuisine, à côté du bain qui déborde et de la table mal essuyée. Elle ne dépend pas de l’ordre ou du désordre. Elle est l’espace même où tout apparaît.


Vivre avec ce qui se présente, c’est reconnaître cela. Rien n’est à obtenir, rien n’est à rejeter. Les formes changent, les humeurs passent, les saisons de la vie se succèdent, et pourtant le fond demeure. On pourrait le dire autrement : ce qui arrive n’est jamais séparé de ce qui accueille. Dans cette reconnaissance, la souffrance perd son caractère de scandale ; elle devient une porte. La joie perd son caractère de propriété ; elle devient un don. Le quotidien cesse d’être un obstacle spirituel ; il devient l’allié le plus direct.


Alors la maison, avec ses cris, ses rires, ses portes qui claquent et ses câlins du soir, devient un monastère sans murs. Le métro devient une cellule de silence au milieu du bruit. Le bureau (ou plutôt l’opéra de Paris pour moi, la scène, les coulisses, ) devient un lieu d’alignement, et ainsi, une chose après l’autre. 


Rien n’est plus à corriger d’abord pour vivre ensuite. Vivre, c’est maintenant, avec ce qui est là. La transformation se fera à son propre rythme. Et ce qu’elle dévoilera, à chaque fois, c’est la même évidence simple : la présence n’avait jamais manqué. La voie du sentir, appliquée ainsi dans le quotidien, nous ramène toujours à ce fond immobile, déjà là, toujours disponible, et toujours entier.


Au fond nous pourrions dire et c’est exactement ce que j’ai pressenti lors de ma découverte de Krishnamurti que non dualité n’est qu’un mot pour désigner le bon sens. 


Amor Fati 

Le Yoga Vasishta : Un texte majeur non duel



En ce moment, j’ai repris avec une grande joie la lecture du Yoga Vasiṣṭha dans sa traduction française. Ce livre n’est pas seulement un texte à étudier intellectuellement, mais un véritable catalyseur. Pour certains, il peut ouvrir la voie à l’éveil, et pour d’autres, il approfondit et intensifie la joie de l’éveil déjà présent.

En le lisant, je découvre à nouveau la profondeur abyssale de ce texte et la sagesse infinie qu’il contient. Je conseille vivement à tout lecteur de s’en procurer un exemplaire et de l’étudier profondément, car c’est vraiment l’un des grands joyaux de l’humanité, une des perles non duelles capables d’éveiller l’homme à sa vraie nature.

Qui étudie ce texte et en saisit l’enseignement n’est plus le jouet de l’apparence du monde. Quand on s’aperçoit que le serpent mortel qui se trouve là-bas n’est qu’un simulacre, on n’en a plus peur. Quand l’apparence du monde est envisagée en tant qu’apparence, elle ne produit ni joie ni tristesse.

Il est vraiment fort regrettable, alors que de tels enseignements sont capables de réorienter nos faux désirs vers le bonheur qui est déjà en nous, que les gens continuent à chercher le bonheur à l’extérieur. Cette ignorance-là, que Ramana Maharshi appelait l’ignorante ignorance, est la cause de la plupart des conflits dans le monde.

Extrait du Yoga Vasiṣṭha :

Les paraboles n’ont qu’un seul but, permettre à qui les entendent d’accéder à la vérité. La découverte de la vérité est si essentielle que toute méthode raisonnable visant à y parvenir est justifiée, bien que les paraboles elles-mêmes puissent être imaginaires. Les paraboles ne sont applicables qu’en partie à la vérité qu’elles sont chargées d’illustrer, et il convient de ne s’attacher qu’à cette partie et de ne pas tenir compte du reste. L’étude et la compréhension des écritures au moyen d’exemples et avec l’aide d’un instructeur compétent ne sont nécessaires que tant qu’on n’a pas réalisé la vérité. Je répète que cette étude doit se poursuivre jusqu’à la réalisation de la vérité. On ne devrait pas s’arrêter avant l’éveil complet. Une connaissance partielle de ce texte sacré entraîne une confusion qui perturbe encore davantage. Ne pas reconnaître l’existence de la paix suprême dans le cœur et admettre la réalité de facteurs imaginaires représentent deux errements imputables à une connaissance imparfaite et à la logique tordue qui en résulte. De même que l’océan est le substrat de toutes les vagues, seul l’expérience directe est le fondement de toutes les preuves, l’expérience directe de la vérité telle qu’elle est. Ce substrat est l’intelligence en état d’expérience, qui devient elle-même la personne qui vit l’expérience. Le fait de l’expérience est l’expérience elle-même. Seule l’expérience en train de s’accomplir est le fait. Pourtant, dans un état de non-compréhension, cette expérience occupée à s’accomplir donne l’impression d’avoir un sujet, la personne qui fait l’expérience. La sagesse née de l’esprit d’investigation dissipe cette non-compréhension et l’intelligence indivise brille dans son propre éclat. À ce stade, même l’esprit d’investigation devient superflu et se dissout.

Extrait du Yoga Vasiṣṭha 2.1, traduit du sanskrit en anglais par Swami Venkatesananda, puis de l’anglais en français par Patrick Repusseau, éditions InnerQuest (années 1990).

Vasiṣṭha le dit avec force. Les paraboles n’ont qu’un seul but : aider celui qui les entend à accéder à la vérité. La plupart des enseignements spirituels, qu’il s’agisse du Christ ou du Bouddha, reposent sur des paraboles, des histoires.

Mais le Yoga Vasiṣṭha se distingue particulièrement par son usage de l’imaginaire. Contrairement à un texte comme l’Ashtavakra Gita, très direct et presque dépourvu de paraboles, le Yoga Vasiṣṭha déploie un véritable débordement d’histoires : des récits enchâssés dans d’autres récits, des rêves imbriqués dans des rêves.

Cette inflation d’imaginaire n’a pas pour but de distraire, mais paradoxalement de libérer le lecteur de l’attachement aux images et aux scénarios. On pourrait très facilement s’attacher aux destins des personnages, aux rêves vécus par Rama, mais Vasiṣṭha, à travers ces enchaînements, montre que toute affliction et tout désir éprouvé dans le rêve n’existent qu’en tant que rêve.

Comme lorsqu’on se réveille d’un cauchemar ou d’un rêve merveilleux, on prend conscience que l’attachement était vain, car tout n’était qu’un artefact illusoire. Cette utilisation audacieuse de l’imaginaire constitue l’une des spécificités majeures du Yoga Vasiṣṭha.

Toutes les vagues naissent et disparaissent sur l’océan. De même, toutes les expériences apparaissent et disparaissent sur le fond silencieux de la conscience. Ce qui est réel, c’est l’expérience en train de s’accomplir et non un sujet séparé qui la produirait. Croire qu’il existe un auteur personnel de l’expérience est une surimposition, née de la non-compréhension. Voir cela, c’est reconnaître que la conscience est le seul substrat, la seule réalité stable et indivise.

L’esprit d’investigation a ici un rôle essentiel. Il dissipe l’illusion en ramenant sans cesse la question à la racine : qui fait l’expérience, qui est le je qui croit voir ou agir ?

Cette interrogation simple mais radicale défait peu à peu le nœud de l’identification. C’est exactement ce que Ramana Maharshi a repris et radicalisé en faisant de la question « Qui suis-je ? » le cœur de son enseignement, une arme directe contre l’illusion du sujet séparé.

Pourtant, lorsque la vérité se révèle pleinement, même cette investigation devient inutile. Elle se dissout comme une échelle qu’on abandonne une fois le sommet atteint, ou comme un radeau qu’on laisse sur la rive une fois la traversée accomplie.

Cet usage des moyens qui s’effacent devant la réalisation directe n’est pas propre au Yoga Vasiṣṭha. On le retrouve dans le bouddhisme mahāyāna, où les moyens habiles n’ont de sens que jusqu’à la reconnaissance de la vacuité, et dans la mystique chrétienne, où les maîtres insistent sur la nécessité de dépasser les images et les concepts pour entrer dans la lumière de Dieu.

Dans l’Advaita, enfin, Śaṅkara rappelait déjà que seule l’expérience directe peut fonder une certitude définitive.

Ainsi, les paraboles, l’étude et l’investigation sont de précieuses aides, mais elles n’ont de valeur qu’en tant qu’elles conduisent à ce qui est déjà présent au cœur de chacun : la conscience indivise, l’expérience immédiate de la vérité telle qu’elle est, pure et simple.

De la même façon que le doigt, dans l’expérience du retournement de la conscience à 180 degrés vers elle-même, dans les expériences de Douglas Harding, nous conduit vers l’espace ouvert au-dessus de nos épaules, il n’y a pas lieu de vénérer le doigt en lui-même. Il n’y a pas lieu de s’attacher au doigt qui nous a permis de revenir vers l’espace.

Une fois que l’espace ouvert s’est redécouvert lui-même, ce qui a semblé avoir le pouvoir de nous y faire accéder est relégué au second rang.

Comme l’océan qui demeure immobile dans chacune de ses vagues, la paix suprême se révèle dans chaque instant.

Amor Fati 


mercredi 27 août 2025

Je suis qui se fait moi pour que moi redevienne je suis


Je suis qui se fait moi pour que moi redevienne je suis


Quand on se demande : « Qui est je suis ? », la réponse immédiate est souvent : c’est moi. Moi conscient, moi séparé des autres. Mais dès que l’on y prête attention, cette évidence se fissure : d’où vient ce sentiment d’être « moi » ? Est-ce une découverte profonde de notre être ? Une illusion de la pensée ? Ou une limite de ce dont nous avons conscience ?

Kant l’avait pressenti : « Posséder le Je dans sa représentation. Ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la Terre. Par là, il est une personne et, grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne… »

(Emmanuel Kant, Anthropologie d’un point de vue pragmatique, trad. Michel Foucault)


L’unité de la conscience, ce fil invisible qui relie chaque instant de notre vie, est ce qui nous fait sentir comme la même personne. Mais Kant ne va pas plus loin. Il ne nous pousse pas à interroger : si ce fil n’est ni le corps ni le mental - qui changent constamment - d’où vient-il vraiment ?


Car le corps grandit, vieillit, se transforme. Le mental bouge, s’agite, s’oublie lui-même. Pourtant, au milieu de ces changements, quelque chose reste. Nous sentons toujours que c’est moi, le même moi que nous étions hier, que nous serons demain. Cette continuité, si évidente et si immédiate, ne peut venir ni de la matière ni des pensées.


C’est là que la perspective non-duelle nous éclaire. En faisant honnêtement l’investigation du Soi très vite vous réaliserez comme Nisargadatta Maharaj que : « Vous n’êtes pas ce corps, vous n’êtes pas cet esprit. Vous êtes la conscience, le témoin qui est toujours présent. »


Ramana Maharshi dont l’enseignement spirituel est notamment connu par le fait qu’il a simplifié et popularisé l’investigation du Soi invitait à retourner à cette évidence :

« Cherchez celui qui est conscient, et non ce dont il est conscient. »


Et pourtant… il reste toujours quelque chose. Un espace dans lequel surgissent et disparaissent toutes ces formes. On pourrait l’appeler conscience pure, simple « je suis ». Puis vient la conscience de soi, le fait d’être sujet. Enfin, la conscience incarnée, ce « moi » qui vit dans un corps.

Certains disent que ce « moi » est une illusion, qu’il faut le dissoudre pour revenir à la pure conscience. D’autres voient au contraire dans cette incarnation le passage même par lequel la conscience se révèle.

Et voici l’expérience concrète que chacun peut faire ici maintenant, lecteur : prenez un instant pour pointer, avec l’index vers l’« absence de tête », au-dessus de vos épaules comme dans la vision sans tête. Vous pouvez placer un doigt vers ce à partir vous imaginez percevoir à savoir la tête et soudain, vous remarquez que ce regard, cet espace qui voit, n’a pas de bords, de forme, de couleurs… Vous découvrez quelque chose de très concret : il y a toujours cet espace, cette présence, cette ouverture accueillant toute perception, même quand tout le reste bouge et change.


Cette expérience montre que la continuité que nous ressentons n’est pas attachée à une forme particulière, ni au corps, ni au mental. Elle est ce champ de conscience toujours là, immuable, qui traverse toute notre vie. Le « moi » que nous croyons suivre à travers les années est en réalité cette présence inaltérable.


Peut-être alors que le mouvement fondamental est double : je suis devient moi, pour que moi redevienne je suis. Le relatif - le corps, le mental, la personnalité - se manifeste, et à travers lui, la conscience pure se révèle. La continuité de la personne n’est plus un mystère : elle est l’évidence de ce témoin silencieux, qui traverse chaque instant sans jamais disparaître. La personne est relégué à ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : un mot désignant une singularité humaine, un corps mental. Et quand on sait que le mot personne vient étymologiquement du mot persona signifiant masque on comprend que ce n’est pas ce que l’est ultimement. Le masque est ce que je donne à voir aux autres. C’est ma personne publique, ma 3e personne. Mais au centre de moi-même, il n’y personne, juste une présence consciente impersonnelle, infinie et atemporelle. 


Et quand on vit cette reconnaissance pleinement, la vie entière change de texture. Le moi n’est plus un poids, ni un personnage coincé dans un corps ou dans des pensées. Il devient une fenêtre ouverte sur ce qui est toujours là, un souffle qui traverse tout, un espace vivant dans lequel tout apparaît et disparaît. C’est exactement ce que révèle la vision sans tête : l’absence de centre, l’immensité présente, l’évidence de ce qui est toujours là.


En revenant vers cet espace, encore et encore, on comprend que la continuité que nous avons toujours sentie n’a jamais été ailleurs : elle est notre vraie nature, la présence immuable à laquelle chaque « moi » participe, et dans laquelle chacun de nous peut se reconnaître ici et maintenant.

lundi 25 août 2025

Un seul ou deux Soi ?


Question d’un ami de Facebook : 

 « Je sais que l’ego est une illusion, mais pourquoi me paraît-il si réel ? Parfois, j’ai l’impression qu’il y a deux moi en moi : le petit moi agité, et la présence silencieuse de la conscience. Pourquoi cette sensation de séparation ? »

Réponse : C’est une question naturelle et profonde. Elle révèle ce qui est toujours là : ce sentiment d’être, cette conscience qui observe tout, silencieuse et constante.

L’ego n’est pas inexistant. Il est réel, mais pas comme il semble l’être. Une illusion n’est jamais irréelle : elle existe, mais elle n’est pas ce qu’elle paraît être, ni ce qu’elle prétend être, ni ce que nous croyons qu’elle est.

L’eau d’un mirage scintille, mais la lumière qui la fait apparaître est réelle. Le serpent aperçu au crépuscule est illusoire, mais la corde qui le sous-tend est bien là. Dans un film, le paysage projeté est une image, mais l’écran qui le reçoit existe toujours.

Comme le dit Huang Po :

“Les gens ignorent ce dont l’illusion est faite.”

Cette remarque nous rappelle que l’illusion possède une substance réelle, mais que nous en confondons la nature avec ce qu’elle semble être.

De la même manière, le « moi séparé » tire sa réalité de ce qui ne passe jamais : la conscience. Le simple fait que tu ressentes « je suis » est absolument vrai. Ce qui voile ce sentiment, c’est l’identification aux formes de l’expérience : pensées, émotions, mémoire, et conditionnements.

Comme le rappelle Nisargadatta Maharaj :

“Le ‘Je suis’ est réel ; tout le reste n’est connu qu’à travers lui. L’ego n’est qu’une notion qui le recouvre, mais le Soi est toujours là.”

Saint Augustin écrivait aussi : « Je ne puis douter que j’existe, car même si je doute, j’existe. » Et c’est exactement cela : la conscience ne dépend pas de ce qu’elle observe. Elle est la source de tout, et pourtant elle brille toujours en toi, même lorsque le petit moi se croit maître.

Le petit moi et le grand Soi ne sont donc pas deux. Ils ne sont qu’un seul et même mouvement de présence. L’ego, si nous voulons lui donner un nom, n’est rien d’autre qu’une mise en vibration momentanée et apparente de la conscience une. Il apparaît pour permettre à cette conscience unique et infinie d’avoir des points de vue sur un monde, de se manifester dans un corps humain avec des « lunettes de réalité augmentée » faites de perceptions et de pensées.

Et puis, au sein de cet humain, l’identification survient : nous prenons nos pensées et nos sensations pour notre soi. Mais il est toujours possible de revenir, de respirer, de relâcher cette identification, et de réaliser que tout cela - le petit moi, le grand Soi, la vibration de l’ego - est une seule et même conscience, indivisible et éternelle.

Ramana Maharshi nous le rappelle également :

“La réalisation de ton propre Soi est le plus grand service que tu puisses rendre au monde. Saches que le ‘Je’ que tu cherches est déjà conscience pure, immuable et libre.”

Reconnaître cette vérité, c’est commencer à démêler l’irréel du réel. Et là, doucement, la conscience s’éveille à elle-même, libre, ouverte, entière… et l’éclosion peut se produire, ici et maintenant, dans la simplicité de l’instant.


Le retournement de la Conscience.

 


 Hier soir, dimanche 24/08/25, lors du Satsang, nous étions une soixantaine d’amis, par Zoom et en présentiel, réunis pour explorer la nature de notre être. Chaque UN avait rendez-vous avec Lui-même. 

Le Satsang est là pour permettre à la Conscience de se révéler, de se réaliser Elle-même au cœur de l’être humain et de ce rêve-ci que l’on nomme l’état de veille. 

Nous pourrions aussi le formuler comme indiqué : Le Satsang est là pour que Dieu puisse s’éveiller finalement. Comme le dit Ibn Arabi : « Dieu dort dans le rocher, Dieu rêve dans la plante, Dieu bouge dans l’animal, Dieu s’éveille dans l’homme. »

Quand tu te demandes : Est-ce que je suis en train d’être ? - tu remarques un mouvement intérieur.

Il y a d’abord la question qui surgit, comme une flèche. Et puis, presque aussitôt, une réponse silencieuse, simple : oui, je suis.

Ce moment n’est pas une création nouvelle. Ce n’est pas que la conscience se soit réveillée d’un coup, ou qu’elle ait découvert quelque chose qui n’existait pas avant. La conscience était déjà là, entièrement là.

Ce qui se passe, c’est autre chose : la question agit comme un rappel. Elle détend l’attention, qui était tendue vers mille objets - pensées, sensations, projets, souvenirs - et la laisse revenir à sa source.

La conscience cesse de courir après ce qui apparaît, et se repose dans ce qu’elle est déjà.

Alors, un basculement subtil : au lieu d’être absorbée dans le contenu de l’expérience, la conscience se reconnaît elle-même comme conscience.

C’est comme un miroir qui, après avoir reflété mille formes, se découvre lui-même en train de briller, libre de toute image.

Et dans ce retournement, tu n’as pas besoin d’effort. Tu n’as pas besoin de fabriquer une nouvelle expérience. C’est déjà donné : être conscient, être présent.

La question « Est-ce que je suis en train d’être  ? » ne crée pas cette évidence, elle l’éclaire. Elle révèle ce qui n’a jamais cessé d’être.

Tu te rends compte alors que tu n’as pas à maintenir cette présence. Elle est là avant la question, pendant la question, après la question. Elle est ce qui rend toute question possible.

Et en la reconnaissant, la conscience se repose, paisible, ouverte, silencieuse… consciente d’être consciente.

Et c’est peut-être cela, au fond, l’insoutenable légèreté de l’être : l’être n’a pas besoin d’être soutenu par la pensée. Et l’éveil, ce que nomme l’eveil spirituel n’est nullement une expérience exotique ou extraordinaire mais la simple reconnaissance de cette Conscience d’elle-même, en Elle-même et par Elle-même. 


mercredi 20 août 2025

L’action juste

 


Je vous partage un questionnement en rapport avec l’action juste de Stéphane et mon mail réponse. Merci pour ton partage. 

« Existe-t-il une action juste ? Qu’est-ce qui rend vraiment un acte juste ? Est-ce un concept intellectuel ou quelque chose que l’on peut éprouver directement dans l’instant ? »

L’action juste ne naît manifestement pas de la personnalité, de nos désirs ou de nos calculs. Sinon ça se saurait. Elle jaillit de la situation elle-même, naturellement, et ne laisse aucun résidu, c’est-à-dire qu’elle ne génère ni culpabilité, ni frustration, ni regret. La réaction, elle, est conditionnée par la mémoire, par ce qui a été, et laisse toujours une trace dans notre esprit.

Dans la Bhagavad Gita, Krishna dit : « Agis sans être attaché aux fruits de tes actions. » Le sage agit, mais ne se fixe pas sur le résultat. L’action se réalise dans un état de non-attachement, comme si l’acte venait de l’univers lui-même plutôt que de l’ego. C’est l’inaction dans l’action et l’action dans l’inaction, un état où agir et être se confondent.

Nisargadatta Maharaj rappelle la même idée : le vrai savoir de soi est que ce que nous sommes déjà est la source de toutes nos actions. L’action juste jaillit spontanément de cette conscience globale, sans effort, sans calcul, simplement parce qu’il n’y a pas de séparation entre le soi et la situation. Rumi l’exprime avec poésie : « Ne cherche pas à faire quelque chose. Sois, et l’acte surgira de toi. »

Dans ce cadre, l’action juste n’est pas une question de morale, ni de technique, ni de réussite. Elle est fonctionnelle, harmonieuse, et provient de l’amour, de la présence. Même si quelqu’un d’autre la perçoit mal ou la juge, l’intention pure de l’acte demeure intacte.

Alors, comment être au plus juste dans l’agir ?Observer la situation sans filtre de l’ego. Laisser jaillir la réponse spontanée, sans calcul ni peur. Ne pas chercher de résultat, mais être entièrement présent à ce qui se passe. Accepter l’aide et les outils nécessaires pour accomplir ce qui doit être fait. 

L’action juste n’est pas un idéal abstrait. Elle est l’expérience vivante du Je Suis dans l’instant, où agir et être deviennent un seul mouvement. Et lorsque nous vivons ainsi, même la vie quotidienne, avec ses défis et ses choix, devient un espace de clarté et de liberté.

Amor Fati