N’éveillez pas l’amour avant l’heure de son désir
Parfois, on voudrait que l’éveil arrive vite, qu’il bouleverse tout d’un coup, qu’il soit immédiat.
Il y a cette attente d’un avènement qui changerait tout et qui se situe dans un futur et un ailleurs imaginaires. Mais l’éveil - c’est à dire la reconnaissance de notre vraie nature - comme l’amour ou toute vraie transformation, ne se commande pas. Il suit son propre rythme, celui de la vie elle-même. Le laisser venir à son heure, sans forcer ni précipiter, c’est déjà commencer à être en paix avec ce qui est.
« Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs : n’éveillez pas, ne réveillez pas l’amour, avant qu’il le veuille. »
Cette phrase, qu’on trouve trois fois dans le Cantique des cantiques, agit comme un refrain sacré. Une mise en garde poétique à la fois douce et ferme : ne précipitez pas l’amour. Ne le forcez pas à apparaître. Il viendra de lui-même, quand il sera prêt, quand le cœur pourra le recevoir. Ce poème biblique, à la fois charnel et mystique, a souvent été lu comme un dialogue entre l’âme et le Bien-Aimé, entre le chercheur et le cherché, entre la conscience et sa source.
Dans ce contexte, le mot “amour” ne parle pas seulement du désir humain, mais du désir de la Conscience de se reconnaître Elle-même. Cet amour-là ne se programme pas, ne se provoque pas. Il se donne, ou pas. Il s’éveille selon une logique qui n’est pas la nôtre, qui n’est pas compréhensible par un mental humain. Et toute tentative de le forcer, de le faire naître avant l’heure, mène à la confusion et éventuellement à des simulacres d’éveil.
Je pense souvent à cette phrase quand je vois certaines démarches spirituelles vouloir aller vite, tout comprendre, tout vivre maintenant comme dans le Néo-Advaïta où l’enseignement consiste essentiellement à dire que tu es déjà ce que tu cherches, comme si cette information seule suffisait pour que l’essentiel se révèle.
Mais la conscience ne s’ouvre pas sur commande. Elle a son propre rythme, son propre silence, son propre désir. Vouloir l’éveiller avant l’heure, c’est comme vouloir cueillir un fruit encore vert - il sera amer, indigeste. Ce serait un peu comme forcer une fleur à s’ouvrir - on ne fait que la détruire.
C’est ce que j’avais raconté, dans l’article « La leçon des coquelicots » qui est paru en 2014 sur mon blog éclore-en-conscience.blogspot.fr .
Il y avait ces champs parsemé de fleurs rouges que j’aimais, et ces fleurs encore fermées, prêtes à éclore. Par impatience, ou par tendresse maladroite, je tirais doucement sur les pétales pour les aider à s’ouvrir. Mais du coup, elles mouraient dans mes mains. Elles n’étaient pas prêtes, tout simplement. J’ai compris bien plus tard que la beauté ne se donne qu’à qui sait attendre. Qu’il y a un temps pour tout, et que l’amour, comme l’éveil, demande d’être accueilli, pas provoqué.
C’est comme une graine que l’on plante dans la terre. On peut l’arroser, lui donner de la lumière, choisir un bon terreau, mais on ne peut pas tirer sur la tige pour qu’elle pousse plus vite. Si on gratte trop la terre pour voir si elle germe, on risque de l’abîmer. La vie a son propre rythme, invisible, que nous devons apprendre à respecter.
Et c’est pareil pour un enfant qui apprend à marcher. On ne peut pas le mettre debout trop tôt, le forcer à avancer avant qu’il ait trouvé son équilibre. On peut l’encourager, le soutenir doucement, mais c’est son corps, sa confiance, son temps intérieur qui décideront du premier pas. Vouloir précipiter ce moment, c’est risquer la chute, et même freiner son développement naturel.
Ce que mon grand-père disait d’une autre manière : « on ne peut pas aller plus vite que la musique ». On peut apprendre à écouter, à être là, à rester proche, mais le moment juste ne se décrète pas. On peut surtout constater que l’on n’écoute pas ce qui révèle l’écoute omniprésente. Il se laisse approcher. Et quand il vient, on le reconnaît sans peine car même s’il ne fait pas de bruit, il ouvre.
Ce rythme silencieux, cette patience infinie, c’est la nature même de la conscience. Elle n’est pas une chose à saisir ni un état à atteindre, mais l’espace ouvert où tout vient à être. En respectant ce temps, en accueillant ce silence, nous cessons de lutter contre ce qui est, et laissons se déployer ce qui doit l’être, à son heure juste.
L’amour, l’éveil, la vie même, ne demandent rien d’autre que cette confiance tranquille dans le film qui apparaît sur l’écran que Je suis ainsi que dans le mouvement invisible qui me traverse, car rien de perceptible peut réellement atteindre la Présence consciente que Je suis.
Alors mon ami(e) aies confiance, et sois patient(e). Non pas d’une patience qui attend quelque chose, mais d’une patience ouverte ancrée dans la présence, une attente sans attente comme
disait Jean Klein.
Amor Fati

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