Un disciple s’approche du maître Ma-tsu et dit :
- Maître, mon esprit est agité. Je voudrais le pacifier.
Ma-tsu lui répond :
- Très bien. Apporte-moi ton esprit, et je le pacifierai.
Le disciple, un peu interloqué, se retire. Il médite, cherche, scrute l’intérieur. Puis revient, quelques jours plus tard :
- Je l’ai cherché partout, mais je ne trouve pas mon esprit.
Et Ma-tsu lui dit simplement :
- Alors, il est déjà pacifié.
Ma-tsu (709–788), figure centrale du Chan chinois - ancêtre du zen japonais - enseignait par des réponses abruptes, souvent déconcertantes, qui visaient à briser l’identification mentale et éveiller la reconnaissance directe de ce qui est.
Ce court échange est une flèche vers l’essentiel. Le disciple, croyant que son esprit est agité, suppose qu’il est une entité saisissable, un objet que l’on pourrait amener, observer, calmer. Mais en l’invitant à le chercher vraiment, Ma-tsu retourne la flèche de l’attention vers ce qu’il y a de plus fondamental : y a-t-il un esprit, un moi, que tu puisses réellement trouver ?
Et voilà le paradoxe : en cherchant le moi, on ne le trouve pas. Et en ne le trouvant pas, on découvre ce qui cherchait.
Ce n’est pas un néant, mais une vacuité vivante, une ouverture silencieuse et pleine, d’où tout émerge et vers quoi tout retourne. Ce n’est pas une chose, ce n’est pas non plus une absence : c’est ce que tu es, avant toute définition. Une présence sans contours, qui ne dépend d’aucun effort pour être là.
Ce n’est pas un oubli de soi, mais la disparition de l’idée d’un soi séparé. Quand l’agitation mentale s’effondre dans l’impossibilité de trouver un centre, le centre se révèle être partout - ou nulle part. Il ne reste qu’un savoir sans forme, une reconnaissance nue : il y a conscience.
C’est exactement cela que pointe l’investigation du Soi selon Ramana Maharshi : si tu suis rigoureusement la question « Qui suis-je ? », sans relâche, sans croire ce que dit la pensée, tu constates que le moi n’est nulle part localisable. Et dans cette absence de moi personnel, ce qui est là, c’est ce que tu es : une présence simple, sans commencement ni fin, silencieuse et éveillée.
Mais attention : cette reconnaissance n’est pas une idée. Ce n’est pas une conclusion intellectuelle. C’est ici que le chemin devient subtil. Car un esprit brillant, ayant compris que le moi est introuvable, pourrait conclure qu’il n’a plus rien à chercher. Et c’est là l’un des plus grands pièges.
Il ne suffit pas de savoir qu’il n’y a rien à trouver. Il faut chercher jusqu’à ce qu’il n’y ait vraiment, en soi, rien à trouver. Pas une idée de rien. Une absence évidente, irréfutable, non théorique. Une absence qui révèle une présence.
Comme le dit Jésus dans l’Évangile de Thomas (logion 2) :
« Que celui qui cherche ne cesse de chercher jusqu’à ce qu’il ait trouvé. Lorsqu’il aura trouvé, il sera troublé. Ayant été troublé, il sera émerveillé. Et il régnera sur le Un. »
Cette parole résume parfaitement ce retournement. Il faut vraiment chercher. Non pour trouver un objet caché, mais pour constater - avec tout son être — l’impossibilité de trouver quoi que ce soit de solide à nommer « je ». Et dans ce creux, dans cette absence, quelque chose d’inattendu se révèle : une intimité sans forme, une joie nue, un être sans bord.
Il ne s’agit pas de répéter « il n’y a rien à faire » comme une maxime spirituelle. Il s’agit de voir - de ses propres yeux intérieurs - que le chercheur n’a jamais existé, et que l’être est là, silencieusement présent, depuis toujours.
Comme le dit Ramana :
« Le Soi n’est jamais quelque chose de nouveau à atteindre. Tout ce que vous avez à faire, c’est de cesser de prendre ce que vous n’êtes pas pour ce que vous êtes. » (Talks with Sri Ramana Maharshi, n° 273)
Et Ma-tsu, par sa simplicité, ne dit rien d’autre :
- Tu ne trouves pas ton esprit ? Alors il est pacifié.
Car ce n’est pas le moi qui s’apaise…
C’est la disparition du moi illusoire, la fin d’une fausse croyance, la cessation d’une erreur d’attention - qui révèle la paix.

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